Jusqu’où iront les taux d’intérêt ?

Publié le 30 septembre 2022 à 16h20

Michel Martinez    Temps de lecture 4 minutes

La question peut paraître simple, pourtant la réponse est peu évidente. Personne ne sait vraiment quel sera le degré de restriction monétaire nécessaire pour apaiser les tensions inflationnistes, à commencer par les banques centrales, laissant les marchés sans véritable ancrage. Début 2022, les marchés anticipaient que le principal taux directeur de la BCE remonterait de - 0,5 % à 1 % en 2023. Désormais, ils le voient à 3,3 % l’an prochain. Aux Etats-Unis, le pic des taux des Fed Funds en 2023 (que l’on appelle « taux terminal ») est aujourd’hui anticipé à 4,5 %, contre 2,0 % début 2022. La palme revient à la Banque d’Angleterre, dont le principal taux directeur est désormais attendu à 5,8 % l’an prochain, contre 2,0 % début 2022.

D’où viennent ces remontées rapides ? Alors que ,depuis le début de l’année, les nuages semblent s’amonceler sur l’économie mondiale – guerre en Ukraine, inflation à près de deux chiffres, crise de l’énergie, Chine en récession –, les banques centrales des pays avancés font le constat (tout comme nous) que, malgré ces chocs, leur économie domestique reste en tension, que la demande excède l’offre. Bref, que l’inflation n’est pas que de nature externe (énergie, produits importés). On le voit sur les marchés des biens. Les choix sont réduits, les délais de livraison sont longs (l’exemple le plus frappant étant celui de l’automobile). Cela se traduit par des hausses de prix que nous n’avons pas connues depuis des décennies. En zone euro, l’inflation des prix des biens est proche de 6 % sur un an, à comparer à une moyenne de 0,6 % pendant deux décennies avant la pandémie. On le voit aussi du côté des services, en particulier dans les services « sociaux » (restauration, tourisme, services à la personne), avec les mêmes manifestations : moindre choix et prix beaucoup plus élevés. On le voit enfin sur les marchés du travail. En zone euro, le taux de chômage se situe à 6,6 %, un plus bas depuis cinquante ans. Il y a désormais en France 3,5 chômeurs par emploi vacant, contre 15 de 2000 à 2015… Les hausses des salaires s’accélèrent donc : 4,6 % sur un an en juin en zone euro, 6,3 % sur un an en France.

Dès lors, pour que les pressions inflationnistes disparaissent, il faut ou bien que l’offre augmente pour combler cet écart, ou bien que la demande ralentisse ou baisse, au risque de la récession. Sachant que l’offre ne s’ajuste à la hausse qu’avec beaucoup de retard et au prix de beaucoup d’investissements et de réformes, la conclusion évidente est qu’il faut peser sur la demande. En théorie, il faudrait que les politiques économiques, budgétaire et monétaire, s’alignent et deviennent restrictives. Pour la politique budgétaire, cela signifierait des politiques de soutien ciblées sur les ménages et entreprises les plus vulnérables, mais plus que compensées par des hausses d’impôt ou baisses de dépenses publiques ailleurs. Cependant la réalité est que les politiques budgétaires ne se durcissent guère. La charge du ralentissement pèse donc de plus en plus sur la politique monétaire. Au cours des dix derniers jours, on a même assisté à une confrontation au Royaume-Uni, entre une politique budgétaire très expansionniste et une politique monétaire qui se voyait en conséquence encore plus restrictive, entraînant une volatilité extrême sur les marchés.

Nul ne doute que le ralentissement, voire la récession, viendront. Ce n’est pas encore le cas en zone euro. Mais la question pendante, pour les banques centrales, est de savoir quel degré de ralentissement et donc de durcissement monétaire est nécessaire pour résorber assez rapidement les déséquilibres entre offre et demande, éviter les fameuses boucles prix-salaires et revenir ainsi à des taux d’inflation proches de 2,0 %. Avant la crise financière de 2008, banquiers centraux, économistes et observateurs disposaient d’outils assez efficaces pour déterminer le degré de durcissement monétaire, dont le plus connu est la règle de Taylor. Ces outils sont devenus quasi inopérants depuis les années 2010, marquées par une inflation faible, largement inexpliquée, et le recours massif au quantitative easing (achats de titres obligataires). Toutefois, si l’on suppose que nous avons changé de régime inflationniste avec les chocs récents pour entrer dans une ère que l’on pourrait appeler « Trichet, Greenspan 2.0 », où la règle de Taylor fonctionnerait à nouveau, alors les marchés pourraient bien avoir raison. Ils pourraient même encore sous-estimer les remontées de taux nécessaires, comme banques centrales et marchés l’ont fait tout au long de l’année.

Michel Martinez Chef économiste Europe ,  Société Générale Corporate & Investment Banking

Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking

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