La BCE ne peut pas tout
Même si on peut parfois lui reprocher d’avoir tardé à entrer en action, la Banque centrale européenne (BCE) a joué un rôle essentiel dans la gestion de la crise. En abreuvant, dès 2008, le secteur bancaire en liquidité bon marché, sur des maturités allongées et contre une gamme élargie de collatéraux, elle a contribué à limiter la contraction du crédit et, par suite, la durée et la profondeur de la récession. En endossant à l’été 2012 un rôle de prêteur en dernier ressort, elle a mis fin au mouvement de panique sur le marché des obligations souveraines, qui mettait en péril l’intégrité même de la zone euro tout en inhibant le canal de transmission de la politique monétaire. Crise aiguë de liquidité et crise souveraine étant derrière nous, la BCE se concentre désormais sur son mandat d’ancrage nominal.
En tant que gardienne de la stabilité des prix à moyen terme, la BCE n’a pas réussi à conjurer le risque d’une inflation trop faible, symptôme d’une croissance durablement anémiée. Certes, à court terme, la désinflation peut être bonne si elle soutient le pouvoir d’achat des ménages sans trop grignoter la profitabilité des entreprises. Mais, elle peut, à terme, devenir néfaste en empêchant notamment les taux réels de baisser, ce qui alourdit la pression sur les emprunteurs, dégrade leur solvabilité (notamment celle des Etats lourdement endettés) et finit par renchérir le coût de l’assainissement des bilans, privés et publics, au risque de plonger la zone euro dans une spirale déflationniste. Si des efforts réels demeurent nécessaires, la croissance nominale reste de ce point de vue le meilleur garant de la soutenabilité des dettes.
Or la stratégie européenne de sortie de crise, qui mêle de l’austérité budgétaire pour réduire les déficits et les dettes, et de l’austérité salariale pour regagner de la compétitivité, a mis l’ensemble de la zone euro dans une logique d’étiolement et non d’expansion pour résoudre ses problèmes d’endettement. L’absence de relais de croissance interne au sein d’une région intégrée commercialement demeure un des freins à la reprise, ce d’autant que la traction attendue en provenance de l’extérieur n’a pas délivré à ce jour les promesses attendues.
La BCE ne désarme pas et va encore plus loin dans l’assouplissement. Tout est fait notamment pour favoriser l’accès à la liquidité (TLTRO), abaisser son coût (taux au plancher) et soulager les bilans des banques (achats de créances titrisées) afin de remettre en état de fonctionnement le canal du crédit bancaire, un tremplin pour relancer l’investissement et la croissance.
Mais, encore faut-il que cette offre de crédit trouve en face une demande solvable. Or, en phase de basses eaux conjoncturelles, la fragilisation cyclique du tissu des entreprises, notamment les PME-PMI, essentiellement tournées vers leur marché intérieur, incite les banques à la prudence, ce d’autant que les régulateurs les encouragent à réduire leurs engagements porteurs de risque, trop coûteux en capital. En même temps, en l’absence de débouchés et compte tenu de perspectives incertaines, les entreprises, elles-mêmes, ne sont guère encouragées à emprunter pour investir, sans compter que beaucoup d’entre elles cherchent à se désendetter. La demande de crédit a donc tendance à s’essouffler en phase avec l’affaiblissement conjoncturel, ce qui contribue à prolonger la période d’atonie.
La BCE n’est pas omnipotente ; elle achète du temps mais ne peut, seule, stimuler l’activité et in fine combattre le risque de déflation. C’est en substance le message lancé par Mario Draghi qui, sans occulter le besoin de réformes structurelles pour moderniser l’offre, la rendre plus flexible et plus compétitive, a reconnu pour la première fois une insuffisance chronique de demande agrégée en zone euro. La politique budgétaire a, de ce point de vue, un rôle à jouer en permettant de fixer la demande globale à un niveau satisfaisant pour que la restructuration nécessaire de l’offre s’opère dans de bonnes conditions, en garantissant des débouchés suffisants et un niveau d’emploi acceptable. Il ne s’agit en effet pas d’opposer logiques d’offre et de demande, mais plutôt d’y voir une forme de complémentarité. La flexibilité laissée par le Pacte de stabilité et de croissance doit être pleinement utilisée avec l’octroi de nouveaux délais, pour lisser les ajustements dans le temps, en échange d’un engagement de réformes et des mesures plus stimulantes dans les pays, Allemagne en tête, qui disposent de marges financières. L’orientation de la politique budgétaire doit donc être pensée à l’échelle européenne sur fond de coordination renforcée et d’action collective pour relancer l’investissement. Soutenir la demande à court terme est aussi un moyen de susciter l’adhésion collective au moment où les populations, dont certaines ont fait d’importants sacrifices, doutent de l’Europe et risquent de succomber aux sirènes populistes.
Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.
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