La problématique de l’investissement à long terme et du risque de liquidité
L’objectif de cet article est de présenter différents thèmes actuellement traités par la recherche académique et en lien avec l’investissement à long terme et la gestion du risque de liquidité. Le contexte financier actuel est marqué par les faibles rendements des classes d’actifs traditionnelles. Les investisseurs constatent que les actifs risqués liquides ont des rendements faibles. La tendance actuelle est donc de se tourner vers des actifs pouvant fournir des rendements additionnels. C’est par exemple le cas des actifs long terme tels que les investissements en infrastructure ou l’achat de parts de fonds de private equity. Si ces actifs intéressent historiquement des investisseurs spécialisés tels que les fonds de pension, la frontière entre les investisseurs court terme et long terme a désormais tendance à disparaître. Cela a bien évidemment des conséquences sur la gestion d’un portefeuille et de ses risques. En particulier, la question de la gestion optimale d’un fonds ouvert mélangeant actifs liquides et illiquides se pose.
Plusieurs questions sont liées aux évolutions du comportement d’investissement. Les premières portent sur la valorisation des actions illiquides. La plupart des investisseurs sont habitués à avoir des actifs liquides «volatils», dont ils observent l’évolution du prix en temps réel. Avec des actifs illiquides, on dispose de beaucoup moins d’information et cela rend la valorisation à court terme plus difficile. Il est alors dangereux de mesurer le risque de ces actifs avec les mêmes indicateurs que ceux utilisés pour des actifs liquides, la volatilité notamment. Il y a également des questions en matière de diversification, notamment sur le bon équilibre entre actifs liquides et illiquides dans le contexte de fonds ouverts. Des changements de méthodes sont nécessaires et plusieurs travaux académiques récents s’intéressent à ces questions[1],[2].
Comment gérer un fonds investi en actifs liquides et illiquides ? L’approche théorique permet de réfléchir aux évolutions des modèles d’allocation habituels. Le modèle de référence[3] est celui proposé par Harry Markowitz en 1952. Il s’agit d’un modèle statique sur une seule période. Les actifs considérés sont infiniment liquides et il n’y a pas d’impact des transactions sur les prix des actifs. Au final, la taille du portefeuille n’a pas d’importance. La première avancée est de proposer un modèle de gestion du risque de liquidité d’un fonds, lorsque celui-ci fait simultanément face à des chocs de liquidité côté clients et côté portefeuille. Le premier choc est fondamentalement un choc de liquidité de financement. Il correspond au rachat d’un certain pourcentage des fonds sous gestion. Le second choc est un choc de liquidité de marché. Il correspond à une décote appliquée à la valeur des actifs illiquides dans les cas de vente forcée. Un modèle d’allocation doit intégrer les deux types de chocs et permettre de calculer la quantité optimale des liquidités permettant de couvrir les sorties. Un tel modèle peut également servir à mesurer l’impact des restrictions de liquidité imposées aux clients.
Quel lien entre le risque de liquidité et le comportement des investisseurs ? Des gérants d’actifs commencent à travailler avec des chercheurs académiques pour une meilleure appréhension du risque de liquidité au passif des fonds ouverts[4],[5]. Ces approches empiriques partent du comportement observé des investisseurs et tiennent ainsi compte de cette dimension du risque de liquidité. Ces collaborations permettent d’accéder à de nouvelles données sur les achats/ventes des investisseurs. Il est alors possible de fractionner les flux nets observés au niveau du fonds. La persistance des flux peut également être modélisée afin de prévoir les flux futurs de chaque investisseur, ou pour le fonds dans son ensemble. Ces thèmes de recherche ont été exposés le 30 août 2018 lors de l’«Université d’été de l’asset management» organisée par l’Université Paris-Dauphine[6].
[1] Darolles, S. (2018). Gérer le(s) risque(s) de liquidité - Application aux différents styles de hedge funds, Conseil scientifique de l’AMF, 10 avril 2018.
[2] Darolles, S. et G. Roussellet (2018). Managing hedge fund liquidity risks, Working paper, Université Paris-Dauphine.
[3] Markowitz, H. (1952). Portfolio selection. The Journal of Finance, 7, 77-91.
[4] Darolles, S. (2017). Liquidity risk and investor behaviour: Issues, data and models, AMF Scientific Advisory Board Review.
[5] Darolles, S., Le Fol, G., Lu, Y. et R. Sun (2017). A self-exciting model for mutual fund flows, Working paper, Université Paris-Dauphine.
Serge Darolles est professeur à l’Université Paris-Dauphine.
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