La remontée du prix du pétrole : des conséquences difficiles à prévoir

Publié le 15 avril 2016 à 15h58    Mis à jour le 15 avril 2016 à 17h10

Patrick Artus

Nous nous interrogeons sur la séquence suivante d’évolutions : le prix du pétrole va très probablement remonter ; l’inflation de long terme, «normale» devrait rester faible, autour de 1 % ; mais avec la remontée du prix du pétrole, l’inflation de court terme (au 1er semestre 2017) devrait passer largement au-dessus de cette inflation d’équilibre de 1 %.

Que va faire alors la BCE ? Comment vont réagir les taux d’intérêt à long terme ?

Le prix du pétrole va probablement remonter (vers 50-60 $) d’ici le premier semestre 2017. En effet, au prix bas du pétrole du début de 2016, la demande mondiale de pétrole augmente rapidement (de 2 % par an) et l’investissement en production de pétrole diminue fortement, la production mondiale de pétrole recule légèrement (avec le recul de la production aux Etats-Unis).

Sans remontée du prix du pétrole, il y aurait rapidement comblement de l’écart entre production et consommation (hors stocks) de pétrole (1,5 milliard de barils par jour aujourd’hui). La remontée du prix du pétrole vise fondamentalement à rendre profitable à nouveau la production des pétroles de coût de production intermédiaire, en particulier du pétrole de schiste aux Etats-Unis.

Malgré la remontée du prix du pétrole, l’inflation de long terme, «normale» de la zone euro devrait rester voisine de 1 % (ce qui correspond à peu près à l’inflation sous-jacente de la période récente). Cette faiblesse de l’inflation de long terme, «normale», vient de la concurrence accrue dans les services (ouverture des services protégés, effets du numérique), d’où l’affaiblissement du prix des services ; de la flexibilité accrue des marchés du travail, d’où le freinage des salaires et des coûts salariaux unitaires.

Mais, avec la remontée du prix du pétrole, l’inflation de la zone euro devrait passer nettement au-dessus de l’inflation de long terme au 1er semestre 2017. Avec notre hypothèse pour le prix du pétrole (retour vers 50-60 $ au 1er semestre 2017), l’inflation de la zone euro va passer nettement au-dessus de l’inflation de long terme et va se rapprocher de l’objectif d’inflation au 1er semestre 2017, avec une inflation supérieure à 1,5 % au début de 2017.

Le redressement de l’inflation va aussi avoir pour effet de faire reculer les salaires réels, la consommation et la croissance de la zone euro, mouvements opposés de ceux observés en 2014-2015. On devrait donc avoir au 1er semestre 2017 dans la zone euro une inflation voisine de l’objectif d’inflation et une croissance faible.

Quelle va être la réaction de la BCE à ces évolutions ? Aujourd’hui, la BCE est confrontée à une inflation sous-jacente de 1 % et à une inflation totale nulle. Il est donc normal qu’elle mène une politique monétaire très expansionniste.

Mais, au 1er semestre 2017, la BCE devrait être confrontée, on vient de le voir, à une croissance plus faible ; à une inflation de long terme toujours voisine de 1 % ; mais à une inflation proche de l’objectif de 2 %. Que va-t-elle alors décider de faire ? Profiter de ce que l’inflation devient proche de l’inflation objectif pour commencer à sortir du quantitative easing et éviter le «piège japonais» où le quantitative easing devient irréversible parce que les taux d’intérêt à long terme sont restés trop longtemps très faibles ? Ou au contraire, maintenir une politique monétaire très expansionniste parce que l’inflation de long terme reste faible et parce que la croissance ralentit ?

Comment vont réagir les taux d’intérêt à long terme ? A court terme, les taux d’intérêt à long terme de la zone euro deviennent très faibles avec l’augmentation de la taille du quantitative easing, avec la faiblesse de l’inflation qui tire vers le bas l’inflation anticipée.

Mais quelle va être l’évolution des taux d’intérêt à long terme à la fin de 2016 et au début de 2017 ? Vont-ils rester faibles parce que l’inflation de long terme reste faible et que la croissance ralentit ? Vont-ils, au contraire, se redresser parce que l’inflation passe au-dessus de 1,5 % ? Si la BCE utilise la hausse de l’inflation pour commencer à sortir du quantitative easing, alors certainement les taux d’intérêt à long terme de la BCE vont se redresser, comme on l’a vu en 2013 aux Etats-Unis quand la Réserve fédérale a annoncé la fin du quantitative easing pour 2014.

Les investisseurs ne regardent pas assez les effets de la remontée du prix du pétrole. Les investisseurs sont concentrés aujourd’hui sur le risque de déflation, sur l’extension du quantitative easing dans la zone euro. Ils devraient regarder de près les effets de la probable remontée du prix du pétrole sur l’inflation et la croissance de la zone euro, sur les décisions de la BCE, et sur les taux d’intérêt à long terme.

Patrick Artus Membre du Cercle des Economistes

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.

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