La transmission internationale des déflations

Publié le 27 novembre 2015 à 18h29    Mis à jour le 21 janvier 2016 à 16h21

Patrick Artus

Une déflation est une situation où il y a excès d’épargne par rapport à l’investissement, ou bien de manière équivalente, excès de la demande domestique d’actifs financiers par rapport à l’offre domestique de ces actifs qui ne peuvent pas être corrigés par la baisse des taux d’intérêt. Aujourd’hui, nous pouvons prendre l’exemple de la zone euro, du Japon ou de la Chine.

Nous nous demandons comment le fait qu’une région soit en déflation influence les autres régions et leur transmet la déflation. Les canaux sont multiples : amélioration de la balance courante de la région en déflation conduisant à une dégradation de celle des autres pays, donc à une perte de croissance dans les autres pays ; recherche d’actifs financiers à l’étranger par les épargnants de la région en déflation, d’où appréciation excessive des devises des pays émettant les actifs financiers (aujourd’hui Etats-Unis, Suisse…) ; tentative de dépréciation du change des pays en déflation qui essayent de stimuler leur activité, «guerre des changes», ce qui aussi transmet la déflation aux autres pays. L’utilisation d’une politique budgétaire expansionniste dans les pays en déflation est donc préférable à celle d’une politique monétaire expansionniste.

Il faut commencer par examiner ce qu’est vraiment une déflation. C’est une situation où, même avec des taux d’intérêt très bas et butant sur la contrainte de positivité des taux d’intérêt nominaux, il subsiste un excès d’épargne par rapport à l’investissement ; de manière équivalente, il subsiste un excès de la demande domestique d’actifs financiers sur l’offre domestique d’actifs financiers. Cette situation s’observe aujourd’hui en particulier en Chine, au Japon et dans la zone euro, avec la faiblesse de l’investissement, le niveau élevé de l’épargne, en conséquence l’excédent extérieur, l’absence d’inflation, le tout malgré les taux d’intérêt très faibles et la politique monétaire très expansionniste.

Nous nous intéressons ici aux mécanismes de transmission de la déflation aux autres pays. Nous voyons trois mécanismes. Le premier passe par le commerce extérieur : un pays en déflation développe un excédent de sa balance courante, qui génère une dégradation de la balance courante des autres pays (aujourd’hui, par exemple des pays émergents et exportateurs de matières premières en contrepartie de l’excédent de la zone euro, de la Chine et du Japon), ce qui affaiblit l’économie des autres pays.

Le second mécanisme passe par les marchés financiers et par le flux de capitaux internationaux. Comme on l’a vu plus haut, un pays en déflation est un pays où la demande domestique d’actifs financiers l’emporte sur l’offre domestique d’actifs financiers. Les épargnants du pays vont donc chercher à acheter des actifs financiers à l’étranger, ce qu’on voit dans la zone euro, au Japon, en Chine. Si la déflation correspond à une situation de forte aversion pour le risque, ces actifs financiers vont être essentiellement des actifs financiers sans risque (dettes publiques) émis dans les pays «refuge». Cela explique les entrées de capitaux par exemple aux Etats-Unis et en Suisse et l’appréciation du dollar et du franc suisse. Cette appréciation des devises des pays «refuge» dont les actifs financiers sont demandés par les épargnants des pays en déflation transmet la déflation à ces pays «refuge».

Le troisième mécanisme de transmission des déflations est la «guerre des changes». Les pays en déflation sont confrontés à l’insuffisance de la demande et ils essaient de la corriger par la dépréciation de leur taux de change, ce qu’on a vu dans la période récente au Japon et dans la zone euro. Cela implique bien sûr la perte de compétitivité d’autres pays (Etats-Unis, Suisse, Corée, par exemple aujourd’hui), l’appréciation excessive de leur taux de change, donc la transmission internationale de leur déflation.

La déflation est donc transmise d’une région à l’autre par les échanges commerciaux, par les flux de capitaux internationaux, par les politiques de change. Cela permet de réfléchir aux politiques économiques à mener dans les pays (régions) en déflation, du point de vue de la coordination des politiques économiques entre les pays. Si les pays en déflation mènent une politique monétaire expansionniste, il y a le risque qu’elle conduise surtout à une dépréciation du taux de change de ces pays, transmettant donc la déflation aux autres pays.

Il est donc préférable que les pays en déflation utilisent la politique budgétaire expansionniste, ce qui va améliorer leur situation économique mais aussi celle des autres pays.

Patrick Artus Membre du Cercle des Economistes

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.

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