Le Smic atrophie la politique salariale des entreprises françaises

Publié le 14 février 2014 à 16h25    Mis à jour le 26 août 2014 à 10h31

François Meunier

Au moment où l’Allemagne met en place un Smic, où le gouvernement Cameron pense accroître le Smic britannique de 15 %, où Obama veut faire accepter par le Congrès américain le passage du Smic de 7,25 dollars à 10,50 dollars, il est bon de s’interroger sur notre Smic français.

Peu de gens en contestent encore l’utilité. Il s’agit d’une protection de base des salariés quand la règle du contrat ou l’action collective n’y suffisent pas. Il pousse vers le marché du travail des gens qui autrement s’en abstiendraient en raison d’une paie insuffisante. Un salaire plus élevé, parce qu’il renchérit le coût du travail, pousse l’employeur, quand il en a les moyens, vers l’innovation et la hausse de la productivité.

Mais on connaît les défauts d’un Smic «trop» élevé. N’étant pas contractuel mais imposé par la loi, il colle mal au terrain. Un salaire mensuel brut de 1 445 euros est très bas pour celui qui habite la région parisienne, moins s’il habite la Lorraine, sans parler de La Réunion. Un Smic «trop» élevé évince du marché du travail les personnes dont la productivité est inférieure au niveau du salaire minimum, en premier lieu les jeunes non qualifiés qui démarrent ou voudraient démarrer dans la vie active.

La question est de savoir où placer le «trop», tout en admettant ce qu’il y a de heurtant à désigner par «trop élevé» le salaire de celui qui ne gagne que 1 445 euros. Les nombreux travaux sur le sujet indiquent que le Smic français semble être dans ce cas, en tout cas s’agissant des jeunes et des personnes non qualifiées. Pour ces derniers, les Smic britannique, néerlandais ou belge, qui sont à peu près du même niveau qu’en France (respectivement 1 264, 1 469 et 1 502 euros), prévoient chacun d’eux des modulations. De plus, leurs règles d’évolution sont moins automatiques qu’en France et permettent une souplesse conjoncturelle.

Mais le «trop» vient aussi d’un effet pervers mal identifié : le Smic atrophie la politique salariale. Il rend les DRH paresseux, du moins dans les entreprises ayant une proportion importante de main-d’œuvre peu qualifiée. Ici, la gestion salariale est désespéremment simple : il suffit d’attendre ce que dira la revalorisation légale annuelle. Peu ou pas de modulation du salaire selon la performance. Sachant la force de la convention qu’est le Smic, qui simplifie à l’extrême la négociation salariale à l’embauche, sachant aussi l’effet de cascade d’une hausse du Smic sur les salaires plus élevés (qui résulte d’un écart entre salaire médian et Smic très faible en France), on hésitera avant d’augmenter un salarié peu qualifié au-delà du Smic. Quelle sera alors la motivation de celui qui pendant vingt ans est payé au Smic et le restera, s’il garde son emploi, les vingt ans qui suivent ?

Paresse des DRH, mais paresse également des syndicats qui n’ont au mieux à se mettre sous la dent que le niveau de l’augmentation générale. Cela n’accroît ni leur crédibilité ni leur professionnalisme. Avoir un Smic plus bas imposerait d’autres formes de défense des salariés face à l’arbitraire de certains employeurs : des contrats d’entreprise, ou des conventions de branche, ou des actions de terrain qui renforceraient le rôle des syndicats et leur crédibilité.

On ne baissera pas le Smic en France. Il sera dur de le moduler selon l’âge et l’expérience au travail. L’échec cuisant du gouvernement Villepin dans sa tentative d’imposer le CPE pour les jeunes refroidit tout ministre qui voudrait s’y risquer. On pourrait le régionaliser, sur le modèle canadien. Mais surtout en freiner l’évolution sur la durée. Le gouvernement Fillon, conscient du problème, l’a fait : aucun coup de pouce au Smic entre 2007 et 2012. Mais le même François Fillon, en tant que ministre du Travail du gouvernement Raffarin, n’a su répondre au choc de la loi sur les 35 heures que par une hausse inconsidérée du Smic horaire, de 18 % entre 2002 et 2005, ceci au moment où l’Allemagne prenait les mesures restrictives qu’on connaît. Le gouvernement Ayrault, après un coup de pouce symbolique de 0,6 %, se contente à ce jour de l’indexation simple sur l’inflation et réfléchit à des règles d’indexation moins automatiques.

Hélas, ce freinage mettra du temps à réintroduire une souplesse contractuelle. A défaut, cela devient un des enjeux de la baisse programmée des cotisations famille à la charge des employeurs : il faut souhaiter qu’elle donne de l’air aux DRH et aux syndicats pour assouplir la relation salariale en rétrocédant de façon ciblée sur les salaires une partie de la baisse des charges.

François Meunier responsable ,  Vox-Fi (DFCG)

François Meunier est économiste, ancien président de la DFCG

Du même auteur

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…