Le Spac, est-ce de l’IPO, du M&A, du private equity ?
Objet financier apparu nouvellement dans le monde de la finance d’entreprise, le Spac tient de trois univers : un peu des introductions en Bourse (IPO), un peu d’un processus de fusion-acquisition, enfin il a des traits propres au private equity. Reprenant certains des avantages de ces trois procédures par lesquelles s’organise classiquement la circulation du capital, le Spac, au-delà des excès spéculatifs qui ont entouré sa naissance, est probablement là pour durer.
De quoi parle-t-on ? Un Spac (Special Purpose Acquisition Company) s’analyse en deux temps. Temps un, c’est un véhicule mis en place pour collecter l’argent d’investisseurs et se faire coter en Bourse, avec un formalisme réduit sachant qu’il ne porte que du cash. Temps deux, il se met en chasse d’une entreprise à acquérir et, la chose faite, organise sa fusion avec elle, ce qu’on appelle le « despacking ». Cela donne accès immédiat à la Bourse pour l’entreprise ainsi acquise. Le temps de recherche d’une cible est limité à deux ans, les investisseurs du Spac ayant l’option de sortir si aucune acquisition n’est faite à ce terme ou si la cible proposée ne les satisfait pas. Voilà en gros l’ossature du mécanisme.
On a trop rapidement analysé les Spac comme un moyen détourné de mettre en Bourse des entreprises sans la relative lourdeur d’un tel processus. Il y a toujours tentation d’arbitrage réglementaire, ce sur quoi veillent les autorités de marché à présent qu’elles connaissent mieux cet objet boursier. Mais c’est négliger le deuxième temps de vie du Spac, celui où il devient un acheteur stratégique d’entreprise.
Car on entre alors dans un processus M&A habituel, où des financiers professionnels, les sponsors du Spac, discutent d’un prix, d’une stratégie, avec la possibilité de diligences approfondies. La mise en Bourse n’est pas un processus à l’aveugle, elle repose sur un prix normalement informé, le Spac ayant été mis en concurrence avec d’autres acheteurs. On rend ici le service de produire une information sur laquelle peut se reposer l’investisseur. La recherche du bon prix est souvent plus tâtonnante lors d’un IPO : il y a bien les documents de Bourse, mais la volatilité des prix post-mise sur le marché atteste d’un processus souvent hasardeux, qui décourage les aspirants à une entrée en Bourse.
Le Spac a cela de similaire au private equity que ce sont des financiers qui s’impliquent, un temps au moins, dans la gestion de la cible acquise, comme le feraient des actionnaires activistes. La différence est que les investisseurs d’un Spac sont tenus à l’illiquidité pendant une période de deux ans et non les cinq ans classiques des clauses de partenariat du private equity. Le Spac offre une solution intermédiaire entre la liquidité immédiate d’un placement en Bourse et la liquidité verrouillée d’un placement private equity.
La vague des Spac des deux dernières années a connu son habituelle série d’excès, avec un emballement grotesque des prix d’acquisition, trop d’argent chassant trop peu de marchandises. Et retour de flamme, on a vu des investisseurs exiger la dissolution du Spac ; on a vu des Spac coter moins que leur valeur d’actif, ce qui est un comble si l’on considère que ce dernier n’est qu’une simple cagnotte. La finance n’innove que par excès, écoutant tant et plus le poète William Blake qui disait : « You never know what is enough unless you know what is more than enough. » Si le produit a du sens, un régulateur à casquette de plomb entre dans la pièce et les choses se remettent en ordre.
Depuis maintenant un demi-siècle, la relation entre l’actionnaire final et l’entreprise s’est vue progressivement intermédiée par un ensemble d’agents, les gérants de fonds de toutes sortes, prenant en charge pour l’investisseur la fonction de sélection et, il faut l’espérer, de surveillance des cibles d’investissement. C’est tout l’enjeu de la gouvernance. Mais on assiste depuis une dizaine d’années à une segmentation plus fine dans cette fonction d’agence, les fonds gestionnaires ne gardant qu’un rôle minime dans la surveillance et la sélection (qu’on pense à la gestion indicielle) ; et d’autres, plus activistes, allant jusqu’à s’impliquer dans la gestion des entreprises qu’ils choisissent pour le compte de leurs investisseurs (dont les fonds non activistes). Le Spac est une brique de plus dans cette spécialisation.
François Meunier est économiste, ancien président de la DFCG
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