Les banques centrales et l’antibol de punch

Publié le 18 juillet 2014 à 10h11    Mis à jour le 18 juillet 2014 à 16h45

Jean-Paul Betbèze

+ 0,4 % et + 6,3 % : sur douze mois, les crédits aux entreprises françaises ont augmenté de 0,4 % et leurs financements obligataires de 6,3 %. Les entreprises ont compris que des taux aussi bas ne dureraient pas et qu’il fallait en profiter. C’est «l’effet bol de punch». La question est alors : les banquiers centraux ont-ils bien compris que les entreprises avaient compris ? Pas si sûr.

«Bol de punch» : la métaphore est célèbre et vient d’Alan Greenspan. Selon lui, le travail du banquier central est de «bien» faire monter la température du bol de punch. Alors les convives en prennent plus, du punch-crédit s’entend. La température de la boisson monte doucement, l’euphorie économique et sociale avec. Le tout dure jusqu’au moment où, devant les tensions inflationnistes venant des salaires, il faut baisser la température en augmentant les taux d’intérêt. Le bon banquier central doit «assez» faire naître la fête, puis la freiner «assez» tôt pour qu’il n’y ait pas d’excès, mais pas trop tôt. Dans ce contexte, Alan Greenspan a été trop bon en meneur de revue. Nous ne sortons pas encore de la double party (nouvelle économie puis subprimes) qu’il a menée – en la faisant durer trop longtemps. Ce fut même la crise.

«Antibol de punch» : que s’est-il passé depuis ces excès corrigés trop tard ? Eh bien les banquiers centraux ont fait l’inverse de ce qu’ils avaient fait auparavant. Ils ont abaissé vite et fort leurs taux courts et longs en regrettant chaque jour de ne les avoir pas montés plus haut plus tôt, plus des galons de punch ! Mais ils font le symétrique d’avant : ils laissent ces taux trop bas trop longtemps. C’est l’antibol de punch : toujours trop de liquidité trop peu chère.

Allons-nous alors passer des «excès du bol du punch» aux «excès de l’antibol de punch» ? Allons-nous passer du temps où nous n’avons pas monté assez vite et fort les taux à une autre période où nous les avons laissés trop bas trop longtemps ? Le hic est que les excès dans un sens ne compensent ceux faits dans l’autre. Ils créent de nouvelles bulles et de nouvelles instabilités.

De nouvelles bulles ? Oui, mais pas dans les biens et services mais dans les actifs. Bulle dans l’obligataire privé d’abord : comme les taux longs sont très bas, les entreprises, les opérateurs financiers s’endettent de plus en plus, surtout de plus en plus long. Les entreprises s’endettent pour en acheter d’autres. Les acquisitions battent leur plein, avec une Bourse qui monte, monte, mais pas la croissance. Bulle dans l’immobilier ensuite : avec ces taux, les prix des actifs montent, alors que la construction ne repart pas assez.

De nouvelles instabilités ? Oui, parce que ce sont les pays émergents qui achètent la dette des pays industrialisés et qui permettent à cette montée de la température du punch de se faire, sans problème jusqu’à maintenant. Jusqu’au moment de la correction.

Alors : couper la température du bol de punch en montant les taux ? Non disent les banquiers centraux ! La grande (et dangereuse) nouveauté du moment est que les banquiers centraux disent qu’ils ne vont pas le faire. Janet Yellen le 2 juillet (Monetary Policy and Financial Stability) pour la Fed et Benoit Coeuré le 3 juillet (Price stability as the basis of a sustained recovery) pour la BCE viennent de dire, en réponse au rapport de la BRI (29 juin 2014) qui les alarme, qu’ils voulaient plutôt utiliser des outils macro-prudentiels. Il s’agit pour eux de continuer à soutenir la reprise en surveillant les banques et leurs crédits plutôt que de monter les taux. Outre qu’on ne sait pas vraiment comment ces nouveaux outils fonctionnent, le risque est double :

-    que les marchés financiers opposent actions macro-prudentielles à hausse des taux, alors qu’elles ne peuvent être que conjointes ;

-    qu’ils pensent que ces dernières pourraient agir assez rapidement, alors qu’elles sont préemptives, étant plus lentes à agir.

Pendant ce temps, la température du punch monte.

Jean-Paul Betbèze Professeur émérite à l’université Panthéon Assas

Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.

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