Chili : comment les fonds de pension financent la relance
Le Chili, c’est une surprise, est le pays dont le plan de relance post-Covid est le plus élevé au monde : 25 % du PIB environ. Avec un chiffre de 13 %, les Etats-Unis sont loin derrière, malgré l’énorme plan Biden faisant suite à celui voté à la fin de la présidence Trump. Seconde surprise, le plan chilien est le seul au monde qui soit financé à près de 80 % par l’épargne de la population plutôt que par l’Etat. Comment cette chose étrange a-t-elle pu se produire ?
Le Chili avait choisi dans les années 1980 de remplacer un financement de la retraite basé sur la répartition par un système reposant exclusivement sur des comptes d’épargne individuelle, alimentés par une cotisation obligatoire de 10 % du salaire brut. Nous étions aux temps très libéraux de la dictature militaire et l’argument de vente de cette réforme majeure était : « Voyez ! Cet argent que vous épargnez, c’est le vôtre ! Jamais l’Etat ne pourra vous le prendre ! » Sous-entendu, la répartition n’est autre qu’une prédation par l’Etat.
Cette réforme a eu sa part de succès : au fil des années, l’épargne accumulée a atteint de l’ordre de 100 % du PIB et l’industrie de la gestion de fonds s’est fortement développée. Les institutions internationales l’ont saluée et quantité de pays, en Amérique latine ou en Europe de l’Est, ont envoyé des missions à Santiago pour voir comment répliquer le modèle. Le côté moins réussi de la réforme tient à des pensions versées extrêmement basses, dans un pays où le travail informel reste important et où les carrières sont souvent discontinues. Endormis sur leur succès, les politiques avaient laissé ces cotisations de 10 % beaucoup trop basses, alors que la démographie est désormais alignée sur le modèle européen où les taux sont couramment du double.
Pensions très basses, mais aussi institutions privées en charge de la gestion des fonds (appelées les AFP) extrêmement gourmandes. Le coût de gestion et leurs profits ajoutent près de deux points aux 10 % évoqués, c’est-à-dire près d’un sixième de l’argent collecté, alors qu’aujourd’hui, dans un univers devenu très concurrentiel, les grands gestionnaires de fonds facturent des commissions cinq à dix fois moins élevées. Bref, un cocktail rendant les AFP immensément impopulaires.
Quand la crise Covid est venue, le gouvernement a lancé son propre programme d’aide aux personnes car, confinées à la maison, beaucoup d’entre elles n’avaient tout simplement plus le moindre revenu pour vivre. Mais il l’a fait très chichement, dans son habitude louable d’une gestion ultra-rigoureuse des finances publiques. Pourtant, la dette publique n’atteignait alors que 24 % du PIB, ce qui laissait une marge de manœuvre. D’où l’idée, imposée par la rue mais appuyée par une large part du spectre politique, de permettre aux gens de retirer 10 % de leur épargne de retraite accumulée. « L’argent est à nous, nous le prenons ! », disait la rue, oubliant qu’il s’agissait d’une épargne obligatoire et que l’argent qui partait n’y serait plus au moment de la retraite. Un retrait, retiro en espagnol, de 10 % a été voté.
L’argent distribué était le bienvenu. Les parlementaires en mesuraient la popularité auprès de leurs électeurs. On a donc vite plaidé, contre l’avis du gouvernement, pour un second retiro de 10 %. Qui a été voté. Puis un troisième, voté lui aussi. La chambre basse du Congrès vient d’approuver un quatrième retiro, mais cette fois le Sénat a ouvert les yeux et bloqué de justesse la mesure, qui sera désormais arbitrée entre les deux chambres. A ce jour, ce sont plus de 50 milliards de dollars qui ont été libérés sur un an. Les motivations sont multiples : nécessité fait loi pour les gens dans le besoin ; arbitrage fiscal chez les plus riches voyant que les retiros étaient dégrevés d’impôts ; plaisir caché de mettre à bas un système détesté ; et enfin aléa moral, c’est-à-dire une sorte de garantie que l’Etat ne pourra refuser de sortir son portefeuille le jour où beaucoup partiront en retraite sans le moindre peso.
Et voilà comment on finance une relance, par l’épargne même des gens, et des plus modestes d’entre eux, alors qu’elle profite à tous. Et profite même à l’excès : la masse de liquidités dégagée se déverse en hausse des prix et en importations, l’appareil productif ne pouvant tenir la cadence malgré une croissance à plus de 10 % prévue en 2021. La bourde de politique économique est immense. Il aurait mieux valu que l’Etat ouvre plus vite et plus grand les cordons de la bourse pour éviter ce gâchis.
François Meunier est économiste, ancien président de la DFCG
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