Les quatre moteurs de la croissance mondiale ont disparu
Avant d’essayer de prévoir l’évolution future de l’économie mondiale, il faut réaliser que les quatre moteurs de la croissance mondiale, qui avaient tiré l’économie mondiale dans le passé, ont aujourd’hui (depuis le début des années 2010) disparu.
Le premier de ces moteur porte sur les gains de productivité dans les pays de l’OCDE, qui n’ont pas cessé de décliner depuis les années 1980.Les causes de ce déclin des gains de productivité sont multiples : baisse de la taille de l’industrie où les gains de productivité sont plus rapides et créations d’emplois dans les services peu productifs ; baisse de l’efficacité de la recherche & développement ; faible taille du secteur des nouvelles technologies.
La faiblesse des gains de productivité, très claire dans la période récente, déprime l’économie des pays de l’OCDE à la fois du côté de l’offre et du côté de la demande. Du côté de l’offre, en conduisant à une croissance potentielle faible, d’autant plus qu’elle est amputée par le vieillissement démographique. Du côté de la demande, puisqu’en moyenne le salaire réel par tête ne peut pas augmenter plus vite que la productivité par tête, et qu’avec la déformation du partage des revenus en faveur des profits, le salaire réel augmente même moins vite que la productivité.
Le second moteur de la croissance mondiale de la fin des années 1990 à la période récente (2012) était lié au rôle de la Chine. Grâce à sa forte compétitivité-coût, elle concentrait la production industrielle de milieu et de bas de gamme, qui était ensuite réexportée vers les pays de l’OCDE.
Ceci conduisait à une forte croissance en Chine et à un soutien du revenu réel dans les pays de l’OCDE par l’importation de ses produits à bas prix.
L’arrangement monétaire entre la Chine et les pays de l’OCDE empêchait que les délocalisations de productions vers la première freine la croissance des seconds : en effet, la Chine accumulait des réserves de change, ce qui permettait aux pays de l’OCDE de continuer à consommer.
Cette organisation favorable à la croissance disparaît aujourd’hui : la hausse du coût du travail en Chine rend de plus en plus impossible de recourir au pays comme base de production ; on observe le ralentissement des exportations et de l’investissement en Chine, les sorties de capitaux qui résultent de la chute de la rentabilité du capital, les pertes induites de réserves de change.
En parallèle, on observe depuis plusieurs années un freinage de la croissance des pays émergents, une stagnation de la production industrielle. Elle est due à l’apparition de multiples problèmes d’offre : insuffisance de la main-d’œuvre qualifiée (d’où la hausse rapide des salaires et l’inflation), de la production d’électricité, sous-développement des infrastructures de transport. Le sous-investissement, privé et public, massif dans les pays émergents y arrête la croissance.
Lorsque la croissance était forte dans les pays de l’OCDE et en Chine, dans les pays émergents, les prix des matières premières étaient élevés, et en conséquence la croissance des pays exportateurs de matières premières (Russie, pays de l’OPEP, Afrique, mais aussi pays de l’OCDE comme l’Australie et le Canada) était forte.
Aujourd’hui, la faiblesse de la croissance mondiale conduit au contraire à celle des prix des matières premières, accrue dans le cas du pétrole par le changement de stratégie des pays de l’OPEP qui cherchent à gagner des parts de marché en produisant davantage, en faisant baisser les prix et en évinçant aussi les producteurs de pétrole cher.
Dans le passé, les baisses des prix du pétrole soutenaient la croissance mondiale, les gains pour les pays importateurs de pétrole l’emportant sur le recul de la demande dans les pays exportateurs de pétrole. Mais aujourd’hui, la situation des pays exportateurs (croissance, finances publiques, commerce extérieur) est tellement dégradée que la baisse du prix du pétrole conduit à un très fort recul de la demande de ces pays, qui avaient anticipé des prix du pétrole beaucoup plus élevés, et au total la baisse du prix du pétrole réduit aujourd’hui la croissance mondiale.
Il faut donc sortir de la vision cyclique de la croissance mondiale car la faiblesse actuelle de cette dernière est, comme on le voit, due à des causes structurelles durables.
Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.
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