Les retombées inattendues de la facture électronique

Publié le 8 février 2024 à 16h25

François Meunier    Temps de lecture 4 minutes

La facture électronique (FE), obligatoire à compter de 2026 pour les entreprises (un an plus tard pour les PME), va changer bien des choses pour les entreprises et pour les finances publiques. Plus inattendu, elle va accroître considérablement la connaissance statistique de l’économie. Avant cela, deux mots sur le projet lui-même.

La FE reste une facture, c’est-à-dire un document légal attestant d’un contrat de vente et d’une demande de paiement, et portant les mêmes informations que précédemment. Peu de changement donc, si ce n’est qu’elle doit être authentifiée numériquement par les deux parties et surtout qu’elle doit être transmise à l’administration fiscale. Car l’origine du projet vient de là : il s’agit de surveiller la collecte de la TVA pour diminuer l’importante fraude estimée récemment entre 20 à 26 milliards l’an, soit 15 % du total aujourd’hui recouvré. Concrètement, les entreprises remettent leurs factures sortantes à des opérateurs mis en concurrence, les PDP ou plateformes de dématérialisation partenaires, avec déclaration séparée pour les flux interentreprises et pour ceux allant aux entités non soumises à la TVA, essentiellement les particuliers. Le projet vaut à terme pour l’ensemble de l’Union européenne.

La FE est de l’intérêt naturel des entreprises et de fait les grandes entreprises l’ont déjà largement mis en place. Il est même assez honteux qu’en raison d’un retard informatique à la direction des impôts on ait perdu deux ans à l’introduire. C’est la fin des coûteuses factures papier ou pdf ; les délais de paiement seront potentiellement raccourcis et, surtout, le traitement numérique des données de gestion sera fortement amélioré, avec intégration native aux logiciels comptables, aux tableaux de bord, à la gestion des comptes clients et fournisseurs, de la trésorerie, etc. C’est indubitablement pour les entreprises un progrès sensible dans le traitement des données.

Il faut prendre aussi la mesure du projet pour la gestion macroéconomique : pour les milliards de transactions au sein du pays et demain de l’Union européenne, on alimente une base de données faisant figurer l’acheteur, le vendeur, le bien ou service concerné et son prix. Par agrégation, il sera possible d’élaborer des indicateurs à un niveau très fin, sur l’activité, la production et les prix et de suivre presque en temps réel la marche de l’économie. On connaîtra la consommation du bien X par le secteur Y, ce que les économistes appellent la matrice de Leontief. Dit ironiquement, c’est presque une surveillance orwellienne de l’économie et de ses entreprises qui se met en place.

Connaître les flux B2B permettra aussi de suivre la trajectoire de tout produit dans l’économie. Est-ce un rêve fou de statisticien ? Pas du tout. C’est ce que font déjà les comptables nationaux du Chili car, oui !, le Chili est bien en avance sur la France dans ce domaine. Là-bas, les comptables font une recension exhaustive d’une liste de ces biens (carburants, ciment, gaz…) auprès de la base de données centrale du service des impôts. Ils savent donc qui vend et qui achète ces biens, de sorte qu’ils disposent des émissions directes de CO2 (dites scope 1) de chaque secteur d’activité. La méthodologie utilisée pour le carbone permet de pister tout autre produit jugé polluant, le plastique par exemple.

Disposer d’un support électronique pour les transactions permet à terme d’enrichir l’information que souhaitent se transmettre les entreprises. Par exemple, sachant l’enjeu majeur du dérèglement climatique, il devient envisageable que les entreprises déclarent sur leurs factures l’émission directe et, progressivement, indirecte de CO2 des produits vendus. On passerait d’une procédure où, dans l’établissement des bilans carbone, la charge du calcul se fait aujourd’hui chez l’acheteur, vers une procédure où ce serait donc le fournisseur qui rendrait le service de la transmission en aval de la donnée. Je vous vends ce produit, et j’indique, outre le prix, le montant des émissions carbone que sa production a occasionnées. Ce mécanisme en cascade, très similaire à la trajectoire de la TVA, est vertueux car il permet de produire à peu de frais une information importante. Il pourrait être intégré de façon identique, dans un parallélisme complet avec la TVA, dans la comptabilité des entreprises.

Ainsi, la facture électronique va permettre des gains importants dans la gestion des entreprises. Elle ouvre aussi un champ gigantesque à la statistique publique pour le suivi macroéconomique du pays.

François Meunier responsable ,  Vox-Fi (DFCG)

François Meunier est économiste, ancien président de la DFCG

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