L’euro fort, une passion française
Depuis plusieurs semaines, les responsables politiques français semblent les seuls en zone euro à se plaindre de la cherté de l’euro, appelant la Banque centrale européenne à agir. A y bien regarder, l’euro est très surévalué pour les exportateurs français, mais cela n’est guère vrai pour le reste de la zone euro. La BCE agira probablement en juin, à la marge, mais pour une autre raison, à savoir créer un peu plus d’inflation.
Le thème de l’euro fort est un thème récurrent de la vie politique française. En 2007, quand l’euro-dollar s’établissait au-dessus de 1,45, le président Sarkozy réitérait ses attaques contre la BCE, sans recevoir de soutien de la part de ses pairs européens. La situation actuelle ressemble de beaucoup à celle de 2007, avec un niveau plus faible de l’euro-dollar, à 1,38. Le Premier ministre Valls et M. Montebourg ont appelé à une «politique monétaire plus adaptée» pour faire baisser l’euro. Une fois encore, ils n’ont reçu nul soutien de leurs pairs. Comme l’indiquait il y a peu le gouverneur de la BCE, Benoît Cœuré, «la fascination pour le taux de change est une passion française, unique en Europe».
Il y a des raisons objectives à cette singularité française. Pour la France, le taux de change de l’euro est pénalisant. Ce n’est pas le cas de la plupart des autres pays, l’Allemagne en tête, qui considèrent que l’euro à son niveau actuel offre des gains de pouvoir d’achat, puisque l’on paie moins cher les produits importés, l’énergie en particulier. La France est le seul pays de la zone euro dont les comptes extérieurs sont déficitaires, avec un déficit courant représentant 1,5 % du PIB en 2013. L’Espagne, l’Italie, le Portugal ont des comptes extérieurs à l’équilibre. L’euro ne fait pas de mal à l’Allemagne, qui dégage un excédent courant astronomique et historique de 7,3 % du PIB.
Selon l’OCDE et Eurostat, le «juste» niveau de l’euro-dollar, celui qui égaliserait les capacités d’achat (on parle de PPP ou «parité de pouvoir d’achat») serait de 1,30, soit une surévaluation de seulement 6 % de la devise à l’échelle de la zone euro. De telles fluctuations des taux de change, de l’ordre de plus ou moins 10 %, sont fréquentes et ne justifient pas en général une intervention de la part des responsables de la politique économique. Là où cela devient intéressant, c’est que les parités de pouvoir d’achat diffèrent selon les pays de la zone euro. En Espagne, le juste prix se situe à 1,49, au Portugal à 1,67. Pour ces deux pays, l’euro-dollar est bon marché. La France se distingue avec un juste prix à 1,20, soit une surévaluation de 15 %. La raison tient à ce que les prix pour un même bien sont plus chers en France qu’ailleurs en Europe. L’indice Big Mac, qui compare le prix d’un même bien partout dans le monde, est d’ailleurs éclairant. En janvier dernier, il valait 4,96 dollars en moyenne en zone euro, 4,62 aux Etats-Unis, 4,98 en Allemagne, mais 5,15 en France… En termes de taux de change effectif réel (c’est-à-dire en prenant en compte toutes les devises et pas seulement le dollar et en tenant également en compte des différences de prix), le tableau est d’ailleurs encore moins préoccupant puisque l’euro est proche de sa moyenne des vingt dernières années.
Ces chiffres suggèrent qu’une intervention massive de la BCE, dont la cible serait le niveau même de l’euro, est très peu probable. Les banques centrales considèrent en effet que les interventions sur les marchés des changes ne sont efficaces qu’en cas d’action coordonnée au niveau international. En 2013, le G7 avait accepté les interventions de la Banque centrale du Japon, car le taux de change effectif du yen était près de 15 % surévalué. Vu le niveau du taux de change effectif de l’euro, la plupart des banques centrales étrangères considéreraient aujourd’hui comme infondée toute action massive de la BCE sur le change, ce qui entraînerait probablement une guerre des changes dont l’issue serait très incertaine.
Michel Martinez est chef économiste Europe, Société Générale Corporate & Investment Banking
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