L’investissement : maillon faible de la reprise

Publié le 18 septembre 2015 à 17h06    Mis à jour le 25 septembre 2015 à 16h43

Isabelle Job Bazille

Ne pas investir aujourd’hui, c’est hypothéquer la croissance future, laquelle doit se nourrir d’innovation et de progrès technique pour améliorer les gains de productivité. C’est aussi un moyen de créer de nouveaux besoins servis par une offre de produits ou de services novateurs. Investir aujourd’hui, c’est préparer les emplois de demain en améliorant les perspectives de profits et de demande qui finissent normalement par se transformer en nouvelles embauches selon un schéma auto-entretenu et vertueux. L’investissement revêt donc une importance particulière dans tout processus de reprise en en conditionnant la qualité et le degré d’autonomie.

Alors que la reprise européenne est là, soutenue par de puissants facteurs cycliques avec le triptyque pétrole euro et taux bas, l’investissement peine à redémarrer.

D’abord, dans la période pré-crise, les projets d’investissement ont été calibrés en fonction de perspectives flatteuses de croissance et de demande qui se sont finalement avérées erronées. La crise a donc laissé des cicatrices avec des excès de capacités qu’il va falloir résorber dans la durée et des besoins de renouvellement qui s’en trouve limité. Par ailleurs, ces investissements ayant été souvent financés à crédit, la chute de la demande et des profits a plongé nombre d’entreprises en situation d’excès d’endettement, avec d’autres choix que de se délester de ce poids avant de se remettre à investir.

Ensuite, avec la crise financière, les bilans bancaires ont été fragilisés surtout là où l’éclatement de bulles, immobilière et de crédit, couplé à une récession sévère ont entraîné des vagues de défauts et ce, au moment même où la réglementation est devenue plus contraignante ; l’ensemble a conduit à une raréfaction de l’offre de crédit ce qui a durablement pesé sur la capacité à financer de nouveaux investissements. Le phénomène déterminant a été l’interaction entre les cycles, économique et de crédit. Là où la croissance a pu être préservée et où les canaux de transmission d’une politique monétaire très accommodante sont restés opérants, le crédit est resté accessible et sa résilience a permis en retour de soutenir l’activité. C’est le cas de la France où les banques ont continué à prêter à l’économie et en particulier aux entreprises, qui ont pu emprunter à des coûts abordables pour financer de nouvelles dépenses en capital. En revanche, au sud de l’Europe, dans les pays durement frappés par la crise des dettes souveraines, la récession économique et la contraction du crédit se sont mutuellement alimentées, le recul des débouchés et le resserrement des conditions de crédit ayant alors provoqué une lourde chute de l’investissement.

Sur ce volet cyclique, l’embellie conjoncturelle combinée à des conditions, monétaire et financière, très souples devrait favoriser la reprise de l’investissement sachant que les banques, en meilleure santé, semblent désormais capables d’accompagner ce mouvement par une distribution de crédits plus généreuse aux aléas réglementaires près. On pourrait même assister à un effet de rattrapage dans les pays où les contraintes financières ont été les plus fortes et où la correction de l’investissement a été la plus marquée. Reste à savoir si le crédit est le bon antidote dans une région qui souffre déjà d’une surcharge de dette… Il est en effet possible, comme le Japon en son temps, que les capacités d’autofinancement des entreprises dictent ce nouveau cycle d’investissement, d’où des délais plus longs entre le redémarrage de l’activité et la reprise de l’accumulation du capital.

Plus structurellement, une Europe vieillissante recèle sans doute moins d’opportunités d’investissements au sens physique du terme, avec une faiblesse chronique de la demande, miroir d’une épargne abondante, qui limite les besoins d’extension des capacités productives pour satisfaire des besoins matériels, des biens d’ailleurs souvent produits ailleurs et à moindre coût. On peut certes encore chercher à améliorer l’efficacité des processus productifs avec l’émergence d’une industrie 4.0, synonyme d’investissements de productivité en machines et en robots toujours plus intelligents et interconnectés afin de produire encore moins chers et attirer de nouveaux clients.

Cependant, dans nos sociétés post-industrielles emportées par la lame de fond de la révolution numérique, la nouvelle économie de service qui émerge est certes gourmande en investissements matériels, informatique et logiciels, mais la création de valeur tient surtout au développement de concepts originaux et de nouvelles idées pour renouveler l’expérience clients, un capital immatériel aujourd’hui totalement absent des statistiques…

Isabelle Job Bazille Directrice des Etudes Economiques ,  Crédit Agricole S.A.

Titulaire d’un Doctorat de Sciences Economiques de l’Université de Paris X Nanterre, Isabelle Job-Bazille a débuté sa carrière chez Paribas en 1997 comme Analyste risque-pays en charge de la zone Moyen-Orient-Afrique. Elle a rejoint Crédit Agricole S.A. en septembre 2000 en tant qu’économiste spécialiste du Japon et de l’Asie avant de prendre la responsabilité du Pôle Macroéconomie en mai 2005. Dans le cadre de la ligne métier Economistes Groupe, elle a été détachée à temps partiel, entre 2007 et 2011, dans les équipes de Recherche Marchés chez Crédit Agricole CIB à Paris puis à Londres. Depuis février 2013, elle est directeur des Etudes Economiques du groupe Crédit Agricole S.A.

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