Mais où vont donc les dividendes ?
Voilà une question éternelle, surtout en un temps où les distributions de dividendes apparaissent très « copieuses ». Pour y répondre, deux préalables. Premièrement, quand l’entreprise distribue un dividende, ses actifs se réduisent à hauteur de l’argent qui va vers l’actionnaire. Par conséquent, celui-ci s’enrichit du dividende reçu, mais s’appauvrit de la baisse de valeur patrimoniale de l’entreprise. En net, il y a nul enrichissement pour lui.
Deuxièmement, l’actionnaire qui reçoit l’argent a un problème immédiat : où vais-je replacer cet argent ? En consommation pour une part, notamment quand les fonds de pension s’en servent pour payer les retraites. Mais, pour l’essentiel, les actionnaires, compagnies d’assurances, fonds d’investissement ou très riches personnes physiques replacent leurs fonds ailleurs, c’est-à-dire dans l’économie réelle, et pour une bonne part dans d’autres entreprises.
On entend alors : non ! L’argent n’est pas réinvesti dans l’entreprise, car l’actionnaire qui touche son dividende le replace le plus souvent sur le marché secondaire qu’est la Bourse ou dans l’immobilier. Joli sophisme ! Car celui qui a vendu une action ou un appartement audit actionnaire, où replace-t-il l’argent qu’il vient de recevoir ? On n’échappe pas à une égalité incontournable : une fois les flux consolidés, l’argent est forcément dépensé en biens de consommation ou d’investissement.
Le versement du dividende participe donc largement à la circulation du capital vers les entreprises qui offrent les meilleures perspectives de rendement financier, souvent d’ailleurs vers des entreprises non cotées en Bourse et, de plus en plus, des start-up.
Vient alors la vraie question : comment l’entreprise obtient-elle de meilleurs rendements ? Il y a une bonne façon et une moins bonne façon. La bonne façon, c’est l’innovation technique, la qualité accrue, l’intelligence des processus de production. C’est ainsi que l’entreprise gagne en compétitivité (notamment pour éviter que les actionnaires réinvestissent dans des entreprises étrangères). Une telle entreprise n’a jamais de mal à se financer même si elle verse des dividendes, car les banques et les marchés financiers se pressent pour lui prêter. La mauvaise façon, c’est de jouir d’une position de force ou même de monopole et d’en profiter pour pressurer ses salariés, ses fournisseurs ou ses clients. Le problème n’est plus alors le dividende en soi, mais l’abus de position dominante ou le manque de capacité des salariés à s’organiser. Mauvaise façon enfin, qu’on voit chez certains grands groupes où les dirigeants semblent manquer d’imagination et d’esprit d’entreprise. Sans avoir le génie entrepreneurial d’Elon Musk, les dirigeants restreignent trop souvent leur rôle à rationaliser tant et plus, à peaufiner les organisations matricielles, en oubliant au passage la création de valeur économique pour les actionnaires… et sociale pour le pays.
Quand la fonction d’entrepreneur manque, quelles qu’en soient les raisons, l’économie ralentit et vit sur sa rentabilité antérieure. Il ne faut donc pas s’étonner que le taux de distribution des dividendes (et des rachats d’actions, qui sont une autre modalité de distribution des profits) soit ainsi plus élevé depuis dix ans dans l’Europe à la croissance anémique qu’aux Etats-Unis. Moins de croissance veut dire moins d’investissement, moins de profits retenus dans les entreprises… et donc plus de dividendes. C’est alors plutôt l’entreprise qui pousse les dividendes à l’extérieur que les actionnaires qui veulent les voir sortir.
En réalité, les actionnaires restent trop souvent passifs, de plus en plus dans le capitalisme moderne. Les actionnaires en direct sont pour l’essentiel des fonds qui brassent par milliards l’épargne privée et qui n’ont guère le temps ni la volonté de jouer un rôle de surveillance stratégique des entreprises.
Dernière remarque, d’ordre macroéconomique. En gros, les entreprises se financent d’abord sur les profits retenus (qui soit dit en passant appartiennent aux actionnaires qui les y laissent) et par emprunt. Or, l’emprunt sera remboursé et aura aidé à produire entre-temps des profits, mis en réserve ou distribués. L’entreprise peut ainsi être vue, sous l’angle financier, comme une machine à consommer de la dette pour fabriquer des fonds propres.
En face d’elle existent des marchés de l’épargne. Ils remplissent pour une part la fonction inverse : recevant des dividendes, les épargnants les replacent aussi en titres de dette ou en dépôts bancaires, propres à réalimenter la dynamique du financement. Les dividendes sont un aliment parmi d’autres de cette noria vitale.
François Meunier est économiste, ancien président de la DFCG
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