Ne jamais mettre les marchés en colère : la leçon approche
Oui : ce qui vient de se passer en Angleterre, pays pourtant soucieux des marchés financiers, pourrait arriver à la Banque centrale de la zone euro, à d’autres, à tous les élus. On ne change pas de politique budgétaire sans prévenir, sans donner au moins un ordre d’idées sur ce qu’on se propose de faire, avec des calculs indépendants. Un message clair, même si on dit vouloir agir vite avec les meilleures intentions.
Ce fut en effet un véritable jour de colère qui éclata à la City de Londres et qui atteignit son point haut le 27 septembre 2022, avec des taux longs à 4,5 %, contre 3 % début septembre. La présentation du « mini-budget » par Liz Truss, qui venait d’être nommée Première ministre – même si « mini-budget » se voulait un diminutif destiné à calmer les esprits – n’y a rien fait, au contraire. Quand les marchés ont découvert l’étendue des changements, à savoir un déficit supplémentaire de 60 milliards de livres qui augmentait la facture déjà conséquente des emprunts, le choc a été violent. Il l’a été d’autant plus que l’augmentation du déficit venait d’une baisse d’impôts sur les plus hauts revenus et de la fin de toute limite sur les bonus bancaires et financiers. Bref, des « cadeaux aux riches ». Invendable !
Une philosophie libertarienne ne servait à rien. C’était pourtant ce qui animait Liz Truss et Kwasi Kwarteng, qu’elle venait de nommer Chancelier de l’Echiquier, avant de lui demander de partir… 38 jours après, pour le suivre une semaine plus tard. Car baisser les impôts pour attirer les investisseurs étrangers et pousser les détenteurs de hauts patrimoines à prendre des risques, n’est pas ce qu’il faut dans une économie qui entre en récession, quand la magie des fortunes en high-tech se dissipe, en plein marasme post-Brexit. Nous rentrons dans une période, presque oubliée, où la réduction des déficits passe par des hausses d’impôts et le contrôle des dépenses. Celle où les taux réels vont redevenir positifs.
Tantrum britannique : c’est cette colère que les marchés ont manifestée, d’être ainsi pris par surprise, sinon à rebours. Ils ont poussé la Banque centrale anglaise à reprendre en urgence ses achats de bons du Trésor au rythme de 5 milliards de livres par jour, pour une quinzaine de jours a priori. Un certain apaisement est apparu avec l’arrivée du nouveau Chancelier Jeremy Hunt. Il enterre le programme de Liz Truss, provoquant sa démission. Le calme devrait revenir sur les marchés avec Rishi Sunak, l’actuel Premier ministre, comme après une autre colère, américaine celle-là.
Le taper tantrum américain, « la colère de l’amenuisement », a subitement surgi le 22 mai 2013. Ben Bernanke, pourtant le célébrissime sauveur du capitalisme mondial après son invention du quantitative easing, grâce auquel la Fed achetait des bons du Trésor pour faire baisser les taux longs, secourant ainsi l’immobilier, les banques et la Bourse, parle d’amenuiser (tamper) ses achats de bons. Il n’a pas fini sa phrase, que les taux longs se mettent à monter, aux USA et dans le monde, faisant chuter les Bourses. Ben Bernanke venait de se rendre compte que sa politique n’était pas de courte durée ! Il fait machine arrière et l’encours de bons du Trésor n’a cessé de monter depuis, jusqu’à s’infléchir en avril… 2022 !
La peur sur le financement des déficits budgétaires est partout présente, depuis plus de quatorze ans, plus la pandémie et la guerre. Cette même peur, la crise anglaise le prouve, ne permet pas d’accroître un déficit budgétaire annoncé.
Partout, avec les déficits à financer, les politiques budgétaires sont en fait liées aux politiques monétaires. Liées, mais pas dépendantes : nous ne sommes pas en « domination monétaire », où la banque centrale force à l’austérité et aux hausses d’impôts pour calmer l’inflation. Symétriquement, si l’Etat, comme tenté en Angleterre, veut forcer la dépense et instaurer une « dominance fiscale » pour faire plier la banque, danger ! La politique économique doit donc éviter ces deux extrêmes, avec des programmes budgétaires et monétaires de « cohabitation », validés par les marchés. Si les politiques s’éloignent d’une voie jugée soutenable, alors vient le tantrum.
La leçon ? Que la France, avec la BCE se croit à l’abri d’une crise obligataire et dépense sans compter, tout en lançant une inflation salariale, encouragée par le gouvernement ! Attention, donc : la peur s’est réveillée de ce côté-ci de la Manche.
Jean-Paul Betbèze, économiste, diplômé d’HEC, docteur d’Etat agrégé de sciences économiques. Il a commencé sa carrière dans l’enseignement en tant que professeur d’université, notamment à Paris II-Panthéon Assas à partir de 1987. Entré en 1986 comme directeur d’études au Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), il rejoint trois ans plus tard le Crédit Lyonnais comme directeur des études économiques et financières, puis en 1995, comme directeur de la stratégie. En 2003, il est promu conseiller du président et du directeur général de Crédit Agricole, puis directeur des études économiques et chef économiste. Il a crée sa propre structure de conseil en 2013. Membre du Cercle des économistes.
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