Ne pas oublier la liquidité de l’Asie
On peut s’étonner de ce que, à la fin de juin 2014, le taux d’intérêt à 10 ans soit passé en dessous de 1,30 % en Allemagne et soit revenu aux alentours de 2,50 % aux Etats-Unis. Ceci se produit alors que la Banque d’Angleterre et la Réserve fédérale ont arrêté le quantitative easing, ont annoncé le début de la remontée de leurs taux d’intervention ; alors que, même si la situation économique de la zone euro est encore très difficile, on y attend une croissance nominale de l’ordre de 2 % en 2014 et 2,5 % en 2015 ; alors que, même si la BCE passe à une politique monétaire encore plus expansionniste, on n’attend pas qu’elle mette en place une politique d’achats de titres publics.
Les taux d’intérêt à long terme de la zone euro et des Etats-Unis paraissent donc bien anormalement bas. Mais il faut avoir une vision globale de la liquidité et des flux de capitaux, en particulier en provenance d’Asie.
Au Japon, 94 % de la richesse financière est détenue en yens. Les banques et les investisseurs institutionnels détiennent l’équivalent de près de trois années de produit intérieur brut en obligations. Or les taux d’intérêt réels à long terme sont devenus négatifs au Japon : le taux nominal à 10 ans est de 0,6 % et l’inflation est, après la hausse de 3 points des taux de TVA, de 3,5 %, d’où un taux réel négatif de près de 3 points. On commence donc à observer une diversification internationale des investisseurs et des banques japonais, vers les Etats-Unis et vers l’Europe.
En Chine, le maintien d’un taux de change plus faible (autour de 6,25 RMB par dollar), alors que l’excédent de la balance commerciale reste très important et qu’il y a toujours des entrées de capitaux, impose une accumulation très rapide de réserves de change en devises. La Banque centrale augmente ses réserves de 40 à 50 milliards de dollars par mois, dont à peu près 60 % en dollars et 25 % en euros.
Il n’est donc pas étonnant de voir des achats nets très importants d’obligations par les non-résidents aux Etats-Unis (sur un rythme de 4 % du produit intérieur brut) et dans la zone euro (3 % du PIB), ce qui bien sûr est une des explications majeures du niveau très bas des taux d’intérêt à long terme.
C’est donc bien la liquidité asiatique qui fait baisser les taux d’intérêt en Europe et aux Etats-Unis. L’accumulation de réserves de change par la Banque centrale en Chine a comme contrepartie la création de liquidité. Lorsque la Banque du Japon, dans le cadre du quantitative easing, achète des titres publics (des JGB), elle paie le vendeur en cash et ce cash sert en partie à acheter des obligations européennes et américaines. En conséquence, la liquidité (la base monétaire) mondiale augmente de 12 % par an : tant que ce sera le cas, il ne faut pas anticiper une remontée des taux longs européens ou américains.
Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.
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