Pourquoi la politique monétaire ne marche pas en zone euro

Publié le 23 janvier 2014 à 15h03    Mis à jour le 24 janvier 2014 à 18h16

Patrick Artus

La politique monétaire peut influencer l’économie essentiellement au travers de trois canaux de transmission : le canal du financement de l’économie (canal du crédit si l’économie est financée surtout par le crédit bancaire) ; le canal des prix des actifs et des effets de richesse ; le canal du taux de change. Le canal du financement (du crédit) n’est présent aujourd’hui dans aucun pays de l’OCDE ; le canal des prix des actifs et de la richesse est présent aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Japon ; le canal du taux de change est présent au Japon. Le malheur est donc qu’aucun canal de transmission de la politique monétaire n’est présent dans la zone euro, en partie en raison des choix de la BCE, en partie en raison de caractéristiques structurelles de l’économie (faiblesse des effets de richesse), en partie en raison de la situation d’excès d’épargne qui contribue à la disparition du canal du taux de change.

La politique monétaire transmet ses effets à l’économie essentiellement au travers de trois canaux. D’abord le canal du financement de l’économie dit aussi canal du crédit ; quand les taux d’intérêt baissent, la demande de crédit (ou d’autres financements, en obligations en particulier) augmente ; quand la liquidité des banques est accrue, l’offre de crédit progresse aussi. Ensuite le canal des prix des actifs et des effets de richesse : la baisse des taux d’intérêt augmente la valorisation des actifs ; les injections de liquidités dans l’économie poussent les agents économiques à acheter des actifs, ce qui fait monter leurs prix d’équilibre. Enfin le canal du taux de change : la baisse des taux d’intérêt et les injections de liquidité conduisent à des sorties de capitaux qui entraînent la dépréciation de la devise. Regardant les situations des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la zone euro et du Japon, nous nous demandons lesquels de ces trois canaux de transmission de la politique monétaire ont été présents dans la période récente lorsque les politiques monétaires sont devenues très expansionnistes.

Malgré les taux d’intérêt, à court terme et à long terme, ainsi que sur les crédits bancaires, très bas et malgré la hausse très rapide (sauf dans la zone euro) de la base monétaire (de la liquidité fournie par la Banque centrale), on ne voit nulle part repartir le crédit. Le financement obligataire des entreprises, là où il y a une place importante (Etats-Unis) reste aussi faible. On se situe toujours dans une dynamique de désendettement du secteur privé, dans tous ces pays de l’OCDE ; les ménages et les entreprises jugent toujours qu’ils sont trop endettés, ce qui rend inefficace pour faire repartir le crédit de la politique monétaire. Ceci est aggravé dans quelques pays (Italie en particulier) par le fait que les difficultés des banques les conduisent à réduire l’offre de crédit. Le canal du financement (du crédit bancaire) n’est donc pour l’instant présent ni aux Etats-Unis, ni au Royaume-Uni, ni dans la zone euro, ni au Japon.

Le canal des prix des actifs et des effets de richesse a joué un rôle très important aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et au Japon pour expliquer la reprise présente des économies de ces trois pays. Lorsque les Banques centrales ont commencé à utiliser la quantitative easing, une partie de la liquidité injectée dans l’économie a été utilisée pour acheter des actions et de l’immobilier résidentiel, d’où la hausse des cours boursiers et des prix de l’immobilier. Les effets de richesse n’ont alors été visibles du côté des entreprises : normalement, une hausse de la capitalisation boursière conduit à une hausse de l’investissement des entreprises puisque le capital physique est mieux valorisé, mais ceci ne s’est pas observé. Mais les effets de richesse ont été clairs du côté des ménages avec une remontée de la consommation et des achats de logements qu’on peut attribuer à l’enrichissement patrimonial.

Dans la zone euro, aucun effet de richesse n’est visible ; les cours boursiers ont monté mais moins que dans les autres pays, les prix de l’immobilier ne se sont pas redressés ; la consommation et l’investissement en logements continuent à reculer. Le canal des prix des actifs et de la richesse est donc présent partout, sauf dans la zone euro. Les politiques monétaires expansionnistes n’ont entraîné une dépréciation visible du change qu’au Japon. Normalement, les taux d’intérêt bas et les injections de liquidité conduisent à des sorties de capitaux et donc à une dépréciation du change, mais quand tous les pays mènent cette politique, c’est celui qui la mène de la manière la plus violente, aujourd’hui le Japon, qui obtient une dépréciation de son taux de change. Malgré les taux d’intérêt bas et la perspective de croissance faible, l’euro est resté largement surévalué, et s’est redressé par rapport au dollar depuis l’été 2012.

On est donc conduit à observer que, malheureusement, aucun canal de transmission de la politique monétaire expansionniste ne fonctionne aujourd’hui correctement dans la zone euro : le crédit recule, les effets de richesse n’apparaissent pas, l’euro ne se déprécie pas. Ceci est très grave, car la politique monétaire ne peut pas alors venir compenser les effets de la politique budgétaire restrictive de la zone euro. Pourquoi aucun canal de transmission de la politique monétaire n’est-il efficace aujourd’hui dans la zone euro ? En ce qui concerne le canal du crédit, parce que, comme dans les autres pays, les ménages et les entreprises veulent continuer à se désendetter.

En ce qui concerne les deux autres canaux de transmission, pour trois raisons. D’abord le refus de la BCE d’utiliser le quantitative easing : il n’y a pas d’injections de liquidités dans l’économie qui pourraient conduire à des achats d’actifs ou à des sorties de capitaux. Ensuite, en raison de la grande faiblesse des effets de richesse pour les ménages de la zone euro : même si les prix des actifs montaient fortement, il n’y aurait pas de hausse induite de la dépense des ménages (comme on l’a vu de 2002 à 2008 avec une faible baisse du taux d’épargne). Enfin, en raison de l’apparition d’une situation d’excès massif d’épargne dans la zone euro. La zone euro ayant maintenant un très important excédent de sa balance courante, même s’il apparaissait des sorties de capitaux liées au faible niveau des taux d’intérêt et à la faiblesse des perspectives de croissance, elles n’arriveraient pas à déprécier le taux de change de l’euro car elles ne domineraient pas l’excédent extérieur.

Patrick Artus Membre du Cercle des Economistes

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.

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