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Quand les relations biaisent les appels d’offres
Au moment de choisir des gérants spécialisés, les investisseurs institutionnels ont recours à plusieurs critères. Les relations entretenues avec ces gérants jouent un rôle non négligeable, avec le risque, constaté aux Etats-Unis, de moindres performances.
Lorsqu’un investisseur institutionnel lance un appel d’offres à des gérants spécialisés, pour la gestion d’une partie de son patrimoine, il considérera plusieurs critères, la qualité de l’entreprise délégataire, l’expertise du gérant et ses performances passées, mais aussi les aspects légaux et les coûts de gestion proposés. Il pourra faire appel à un consultant pour conduire ce projet et être aidé dans son choix. D’autres critères peuvent parfois intervenir, comme les connaissances personnelles du mandant et notamment ses relations avec des dirigeants des mandataires potentiels. Qu’en est-il en pratique et quelles sont les conséquences ex post de ces relations ?
Dans leur article intitulé « Choosing Investment Managers », deux chercheurs américains et un chercheur suisse analysent les quelque 7 000 appels d’offres de gestion de fonds de pension enregistrés entre 2002 et 2017 sur le marché américain et répertoriés dans deux bases de données (FundMap et eVestment). Celles-ci recensent le consultant s’il y en a un (cas très fréquent aux Etats-Unis), les candidats, en moyenne 90, les finalistes, en moyenne trois, ainsi que le gagnant ; et pour tous ces acteurs, ils recensent leurs performances sur les trois années précédant d’appel d’offres. Les chercheurs mettent également en évidence les relations potentielles entre les dirigeants de l’institution mandante et ceux des asset managers en compétition.
Un biais cognitif
Compte tenu du nombre moyen de compétiteurs, la probabilité d’en choisir un est en moyenne de 1,1 %, sans autre information. Lorsqu’une relation officielle est identifiée, cette probabilité s’accroît de 0,72 point de pourcentage soit 65 % de plus. La prime à la taille des actifs sous gestion du mandataire potentiel est sensible puisque la probabilité s’accroît de 0,48 point. Il est donc indéniable que les relations, du moins celles connues publiquement, ont une influence sur le choix, même si ce n’est évidemment pas le seul critère. Les performances passées des finalistes indiquent en effet que la performance du gagnant est la meilleure, en particulier pour les années passées lointaines. En revanche les performances futures des gagnants « en relation » s’avèrent moins bonnes que celles des autres finalistes, de l’ordre de 0,30 à 0,40 point en moins. Mais surtout, les performances des gagnants « en relation » comparées à la moyenne des autres gagnants sans connexions répertoriées sont beaucoup plus faibles, d’environ – 0,8 point par an.
Ainsi, sur le plus grand marché de gestion d’actif au monde, il s’avère que, à conditions de compétition identiques, les institutionnels préfèrent, assez nettement d’ailleurs, les gérants dont ils connaissent personnellement les dirigeants. Cette préférence se révèle avoir un impact négatif sur la performance future, toutes choses égales par ailleurs, surtout en comparaison de ceux qui n’ont pas été finalistes ! Les raisons invoquées par les auteurs sont nombreuses : biais de comportement, notamment biais cognitifs, de familiarité ou de copinage… Mais pourquoi, ayant constaté une moindre performance, les fonds de pension américains, en particulier publics, continueraient-ils à favoriser leurs « relations » ? Est-ce par un sentiment de confort, une sorte d’assurance, ou est-ce pour d’autres raisons inconnues ou moins avouables ?
Ces résultats ne sont pas sans rappeler d’autres biais cognitifs, préférence pays par exemple, ou d’influence du « copinage » dans les conseils d’administration, avec souvent aussi des effets négatifs sur les performances.Il y a fort à parier que de telles influences existent dans d’autres marchés, en Europe ou dans les pays émergents. Cette étude n’est pas sans rappeler aussi les résultats, commentés dans cette chronique, des auteurs de « The folly of firing past poor performers » : est-ce que la période de trois ans retenue pour ces compétitions est la plus pertinente en ce qui concerne les aptitudes à la performance ? Elle semble décidément avoir des effets pervers, avec relations ou sans !
Jean-François Boulier est président d'honneur de l'Af2i.
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