Quelle est la «fin de l’histoire» pour la croissance de la liquidité mondiale ?

Publié le 3 octobre 2014 à 16h02

Patrick Artus

La liquidité mondiale (la base monétaire, la monnaie de Banque centrale, M0) croît aujourd’hui encore de 12 % par an, alors que le PIB mondial en valeur n’a crû, au deuxième trimestre 2014, que de 4,7 % sur un an. Même si les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont arrêté le quantitative easing, la liquidité mondiale continue à progresser rapidement avec la politique monétaire très expansionniste du Japon, la politique monétaire devenant très expansionniste de la zone euro, l’accumulation de réserves de change dans les pays émergents et surtout dans les pays exportateurs de pétrole. Globalement, la croissance rapide de la liquidité mondiale reflète la volonté des Banques centrales de lutter contre le ralentissement de la croissance mondiale observé depuis 2011.

Les Banques centrales génèrent une croissance rapide de la base monétaire en achetant des actifs financiers sur les marchés et en payant les vendeurs de ces actifs en créant de la monnaie. Il y a donc transfert d’une partie des actifs financiers (essentiellement obligations) des bilans des investisseurs autres que les Banques centrales vers les bilans des Banques centrales. Les vendeurs d’actifs essaient ensuite de rééquilibrer leurs portefeuilles en achetant d’autres actifs financiers avec la monnaie qu’ils ont reçue, et c’est cela qui provoque à l’équilibre la hausse des prix des actifs puisque, à court terme, l’offre d’actifs est donnée.

On peut présenter ce mécanisme d’une manière équivalente : des Banques centrales transférant sur leurs bilans une partie des actifs financiers, l’offre d’actifs disponible pour les autres investisseurs est réduite, et il apparaît une situation d’excès de demande d’actifs financiers, ex ante, qui conduit à l’équilibre à la hausse des prix des actifs. Tant que la base monétaire mondiale croît plus vite que le PIB mondial en volume, ce mécanisme se prolonge puisque l’offre d’actifs disponible pour les investisseurs autres que les Banques centrales croît alors moins vite que le PIB alors que la demande d’actifs croît en moyenne au même rythme que le PIB. On voit bien, au niveau mondial, la baisse tendancielle des taux d’intérêt à long terme (donc la hausse des prix des obligations), la hausse, en dehors des crises, des cours boursiers et des prix de l’immobilier.

On doit donc bien avoir à l’équilibre une hausse du prix moyen de l’ensemble des actifs. Ceci n’empêche pas que la liquidité (les capitaux) se déplace d’une classe d’actifs à une autre, tout en préservant la hausse de la moyenne des prix des actifs. On a ainsi vu en 2013 que les capitaux sortaient des pays émergents, avec la dégradation de leur situation économique et l’annonce du «tapering» (réduction de la création de liquidité) aux Etats-Unis, et qu’ils se dirigeaient vers la zone euro, en particulier vers les pays périphériques de la zone euro, après les annonces de la BCE à l’été 2012.

Aujourd’hui, dans cet environnement de liquidité toujours en progression forte, les capitaux se dirigent davantage vers les Etats-Unis, avec la croissance plus forte et la perspective d’une remontée des taux d’intérêt aux Etats-Unis ; mais au total, l’ensemble des prix des actifs continuent à augmenter.

Quelle est alors la perspective à long terme, comment se termine cette dynamique de la liquidité mondiale ? On peut envisager deux scénarios. Dans le premier scénario, la liquidité mondiale, à terme, ralentit fortement, finit par progresser moins vite que le PIB mondial, et même à l’extrême finit par diminuer si les Banques centrales commencent à détruire la liquidité qu’elles ont auparavant créée. Ceci impliquerait évidemment une correction des prix des actifs : pentification des courbes des taux d’intérêt, recul des marchés d’actions, ouverture des primes de risque, baisse des prix de l’immobilier.

Ce scénario peut se produire dans deux circonstances. Soit un nombre croissant de pays connaît une véritable, robuste reprise économique. Ce n’est le cas aujourd’hui qu’aux Etats-Unis, avec la réindustrialisation. Soit, dans les pays où la faible croissance est due à des raisons structurelles (goulots d’étranglement sur le marché du travail, pour l’électricité, les infrastructures dans les pays émergents, d’où le freinage de leur production industrielle, partage des revenus trop défavorable aux salariés au Japon, insuffisance des gains de productivité dans la zone euro, recul de la profitabilité en France et en Italie, perte de compétitivité en Chine et freinage de l’industrie, etc.), les Banques centrales comprennent que le remède à la faiblesse de la croissance n’est pas une politique monétaire expansionniste.

Dans le second scénario, ceci ne se produit pas ; peu de pays connaissent une croissance solide ; les Banques centrales continuent à lutter contre la faiblesse de la croissance et de l’inflation par des politiques monétaires très expansionnistes, même si elles sont inefficaces. Le monde connaîtra alors des crises financières à répétition de plus en plus graves, une crise financière résultant du basculement de la liquidité d’une classe d’actifs à l’autre, d’où des chocs de plus en plus violents sur les prix des actifs, ce qui inclut les taux de change.

Quel est le scénario le plus probable ? Il est très difficile de se prononcer à long terme. A l’horizon de quelques (2-3) années, le second scénario de poursuite de l’expansion monétaire rapide est de loin le plus probable. Dans la perspective de long terme, on peut simplement dire que, historiquement, la base monétaire du monde n’a jamais reculé, qu’elle a simplement ralenti dans les périodes de croissance mondiale.

Patrick Artus Membre du Cercle des Economistes

Patrick Artus est Chef économiste de Natixis depuis mai 2013. Polytechnicien, diplômé de l’Ensae, et de l’IEP Paris, Patrick Artus intègre l’Insee en 1975, où il participe notamment à des travaux de prévision et de modélisation, avant de rejoindre, cinq ans plus tard, le département d’économie de l’OCDE. En 1982, il devient directeur des études à l’Ensae puis il est nommé, trois ans plus tard, conseiller scientifique au sein de la direction générale des études de la Banque de France. En 1988, il intègre la Caisse des dépôts et consignations, où il exerce successivement en tant que chef du service des études économiques et financières puis responsable de la gestion actif-passif. En 1993, il est nommé directeur des études économiques, responsable de la recherche de marché chez CDC-Ixis. Devenu en 1998 directeur de la recherche et des études de Natixis, il est promu chef économiste en mai 2013. Depuis septembre 2024, il est conseiller économique d'Ossiam. Il est également membre du Cercle des Economistes.

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