Trop de brevets tue l’innovation
Si l’on demande aux gens avertis s’il est normal de protéger l’innovateur par des brevets, il est répondu oui de façon écrasante. Quand le coût de l’innovation est élevé et son coût de reproduction bas, quoi de mieux qu’un brevet ? Qui voudrait prendre la peine d’innover si dès le lendemain l’effort se retrouve chez un concurrent ? Et pourtant, cela fait partie de ces fausses évidences à questionner.
D’abord parce qu’il y a d’autres manières de protéger une innovation. Par exemple, Michelin ou Roquette savent habilement garder leur avantage compétitif par une politique du secret industriel, allant jusqu’à la maîtrise des machines et équipements. Par exemple, Elon Musk, le créateur de Tesla Motors (et avant cela de Paypal et SpaceX) déclare dans son blog qu’il renonce poursuivre toute entreprise qui copierait ses brevets. Selon lui, les brevets freinent l’innovation alors que les entreprises conquérantes ont l’outil de la rapidité pour se protéger. Par exemple, Apple (qui est depuis devenu un vilain dans la protection de ses brevets) a souvent créé ses produits inventifs à partir de technologies déjà dans le domaine public ou bien issues du temps heureux où l’informatique n’était pas la proie d’une hyper-protection (la souris en son temps, les icônes sur l’écran, l’écran tactile pour le téléphone). Il utilise tout à la fois le secret et le départ en premier. Par exemple, le gros des innovations pharmaceutiques résulte de la recherche universitaire.
Ensuite, il y a quantité de domaines industriels où il n’y a pas de brevets, que ce soit par tradition, par absence de lobbys ou parce qu’il est plus difficile de rendre opposable une législation : le gros de l’industrie automobile (on protège l’arrondi carré des iPhones d’Apple, mais pas le galbe d’une BMW), la banque et l’assurance, le BTP, l’architecture, l’industrie de l’habillement (à quand un droit de propriété sur le dessin d’une robe de Prada ?), la recherche universitaire, les métiers de services… Tout cela sans parler des recettes de cuisine ou des algorithmes (Pythagore aurait-il pu protéger son théorème ?) ou, dans un domaine plus sérieux, des sciences du vivant où une dimension éthique s’ajoute au problème. En fait, la très grosse part du PIB est produite sans système de brevets. Selon les historiens, la Suisse et ou les Pays-Bas ont vu fleurir leurs industries agroalimentaire et pharmaceutique parce qu’ils ont refusé pendant longtemps la mise en place d’un système de brevets. Il faut voir là l’origine, après consolidation, des grands groupes que sont Nestlé, Unilever, Roche et Novartis. Ironie, une fois en place, le grand groupe milite pour le système des brevets !
Enfin, parce que le système des brevets est devenu énormément coûteux pour l’économie : on enregistre 500 000 brevets par an aux Etats-Unis, ceci malgré un taux de refus proche de 40 %. L’examen d’un brevet est chose délicate, nécessitant des connaissances scientifiques et juridiques pointues. Clairement, le système n’arrive pas à faire face et les meilleurs des examinateurs filent chez les avocats spécialisés entretenir ou fabriquer du litige, ou sont embauchés chez les maraudeurs de brevets (patent trolls), qui déposent des brevets non pas pour les exploiter mais pour rançonner les entreprises qui choisissent d’autres stratégies de protection.
Car il faut peser la double face du brevet. Il agit comme une incitation à investir, mais aussi comme frein à l’innovation : si on est menacé d’un procès coûteux dès qu’on regarde une innovation potentielle, on attend sagement l’extinction du brevet. Conférer des droits de propriété intellectuelle, c’est conférer une rente de monopole au premier qui a su déposer le brevet. Les tenants de l’économie de marché, dont font partie les lecteurs d’Option Finance, sont ici partagés : ils aiment les droits de propriété mais détestent les obstacles à la concurrence. Le débat rouvert en France par le gouvernement Valls sur les protections données aux professions dites réglementées ressortit au même dilemme.
En fait, un système léger de brevets semble stimuler l’innovation mais avec des effets secondaires négatifs ; un système rigoureux a un clair effet négatif, qui verse des milliards de dollars dans la poche des avocats tandis qu’on constate un ralentissement général des innovations. Certains proposent de raccourcir fortement la durée de vie des brevets. D’autres, dont les économistes Michele Boldrin et David Levine, suggèrent une remise en cause radicale, laissant plus de place à la concurrence des idées et moins à la protection des monopoles. Ne faut-il pas que nos législateurs commencent à les écouter ?
François Meunier est économiste, ancien président de la DFCG
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