L'analyse de François Meunier

Un «solde commercial» en faveur des grandes entreprises

Publié le 29 novembre 2019 à 12h08    Mis à jour le 29 novembre 2019 à 18h21

François Meunier

Le resserrement législatif de 2008 en matière de délais de paiement semble avoir épuisé ses effets. Depuis six ans à présent, les délais fournisseurs, tels qu’inscrits dans les contrats commerciaux, se stabilisent autour de 50 jours d’achat, auxquels il faut rajouter environ 10 jours de retard de paiement, qui semblent eux aussi inamovibles.

On regarde moins souvent le «solde commercial», c’est-à-dire la différence pour une entreprise entre le poste clients et le poste fournisseurs de son bilan. Du point de vue de la trésorerie de l’entreprise, c’est pourtant cet agrégat qui importe. Or le profil de ce solde selon la taille de l’entreprise est intéressant : selon les chiffres de la base de données Fiben de la Banque de France, il s’établit à 11,2 jours de chiffre d’affaires pour les PME, à 12,6 jours pour les ETI, mais à 3,6 jours seulement pour les grandes entreprises (en 2017, dernière année disponible). Plus encore, la tendance est déclinante pour les grandes entreprises (ce solde était de 6,2 jours en 2002).

Si la tendance se poursuit pour les grandes entreprises, on peut en arriver à la situation inédite où celles-ci deviennent en quelque sorte à trésorerie zéro dans leurs relations avec leurs clients et fournisseurs (ceci évidemment au niveau agrégé, les situations individuelles pouvant varier fortement). Leur besoin en fonds de roulement se limitera à leur encours de stocks. Avec une conséquence dommageable : si la fonction commerciale n’exige plus d’immobilisation de trésorerie, il y a moins d’incitation à réduire les délais de paiement, les deux côtés du bilan restant équilibrés.

Il n’en va pas de même pour les ETI : malgré une forte amélioration pour elles aussi, leur solde s’établit à 12,6 jours ; et surtout pour les PME qui conservent de façon immuable un solde de 10 à 11 jours de chiffre d’affaires pour lequel elles doivent trouver du financement. On a la situation étonnante que les entreprises qui ont l’accès le plus facile et le moins coûteux au crédit sont celles qui en ont le moins besoin.

Comme souvent, le besoin crée l’organe et c’est le crédit bancaire, sous forme d’affacturage, qui prend le relais. Il s’établit en France sur une tendance de 11 % par an, bien au-delà de la croissance de l’activité. L’encours affacturé, sur base des chiffres du premier semestre, devrait être de l’ordre de 355 milliards d’euros en 2019. Cela représente un encours de financement bancaire, allant essentiellement aux PME, proche de 60 milliards d’euros si l’on retient un délai moyen de paiement, y compris retards contractuels, de 60 jours. L’affacturage représente désormais un quart du total des financements de trésorerie aux entreprises et la France se place ainsi, dépassant la Grande-Bretagne, au second rang mondial de l’affacturage derrière la Chine.

Mais voyons les choses depuis Sirius. Cette situation entraîne des coûts d’intermédiation importants pour les PME alors qu’ils seraient bien moindres, à l’échelle de l’économie, si ce montant financier pesait sur les grandes entreprises. Les grandes entreprises y gagnent en trésorerie, bien sûr, mais elles sont également perdantes puisque leurs clients PME sont fragilisés par ces délais de règlement trop longs. Il y a bien à l’échelle collective un problème de coordination mal résolu qui nuit à l’ensemble des entreprises. Va-t-il se résorber de lui-même ? Les grandes entreprises, qui clament toujours leurs engagements «sociétaux», vont-elles mieux payer ? On en doute et la loi doit prendre le relais. Une application plus ferme des règles en matière d’abus de position dominante est requise, comme peut l’être une nouvelle réduction des délais légaux de paiement. Et la communauté financière a sa part de responsabilité dès lors qu’on continue à considérer que les dettes commerciales ne sont pas vraiment des dettes, ce qui conduit les grands groupes à en abuser.

Personne ne veut ici remettre en cause l’utilité de l’affacturage, qui joue un rôle important de couverture du risque de crédit et de discipline dans le système des paiements. Mais point trop n’en faut.

François Meunier responsable ,  Vox-Fi (DFCG)

François Meunier est économiste, ancien président de la DFCG

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