Les directeurs financiers travaillant dans une entreprise en croissance rencontrent régulièrement de nouveaux challenges. Pour y faire face, ils doivent effectuer une veille efficace, apprendre sur le terrain et mener une politique de recrutement adaptée.
«Une société en croissance doit sans cesse se réinventer, trouver de nouveaux marchés, voire retravailler son business model», témoigne Simon Baldeyrou, chief operating officer de Deezer. Cet ancien directeur financier puis directeur général France de ce site d’écoute de musique à la demande sait de quoi il parle puisque le chiffre d’affaires de l’entreprise est passé de 9 millions d’euros en 2009 à 141,9 millions d’euros fin 2014. «En quelques années, j’ai dû accompagner nos évolutions de business model, du gratuit vers l’abonnement, en passant des partenariats avec différents opérateurs téléphoniques, tout en veillant à la solidité des finances pour que le développement de la société se poursuive malgré tous ses ajustements», ajoute-t-il. La mission du directeur financier consiste en effet à accompagner toutes les étapes de la croissance et à s’adapter à des situations très différentes.
«En quinze ans au poste de directeur financier d’Arkoon, j’ai dû faire face à quatre levées de fonds, deux acquisitions, une introduction en bourse et un rachat par Airbus», énumère Pierre-Yves Hentzen, directeur administratif et financier et directeur général délégué de l’entreprise de sécurité informatique renommée Stormshield en 2016. A son arrivée, la société était une start-up de 20 salariés réalisant 1 million d’euros de chiffre d’affaires. Désormais, elle atteint 35 millions d’euros et emploie plus de 230 personnes. «J’ai dû monter en compétence à mesure que l’entreprise grandissait et que les enjeux financiers devenaient plus complexes», résume ce dernier.
Pour y parvenir, le directeur financier doit rester indispensable… et pour cela anticiper les nouvelles phases de développement. «Se rendre indispensable n’est pas une fin en soi, mais une conséquence de son action ainsi que de son implication dans la stratégie et le business», analyse Frédéric Regert, directeur administratif et financier de GL Events. Depuis son arrivée en 2008, le chiffre d’affaires de cette entreprise spécialisée dans l’événementiel est passé de 605 millions d’euros à 942 millions en 2015. «L’objectif est d’être capable d’anticiper les challenges que rencontrera notre groupe et d’assurer un bon niveau de retour sur investissement au regard des risques pris tout en conservant une certaine flexibilité financière», complète Frédéric Regert.
Continuer sa formation
Pour un directeur financier, travailler pour une société en forte croissance est souvent stimulant, mais l’exercice est également très exigeant, ce qui nécessite d’avoir au préalable construit un début de carrière très riche.
«Quand j’ai quitté l’école, j’avais pour objectif de devenir un jour directeur financier», témoigne Sylvain Rousseau, directeur administratif et financier d’Exel Industries (725,2 millions de chiffres d’affaires). Il a commencé comme auditeur externe chez PwC, a poursuivi sa carrière comme contrôleur de gestion opérationnel dans l’automobile pour un groupe américain, puis comme directeur financier de filiales chez Veolia, avant de prendre en charge un périmètre régional. «Autant d’expériences m’ont permis de monter en compétence en comptabilité, contrôle de gestion, consolidation, fiscalité, M&A, mise en place de financements internationaux, etc.», ajoute Sylvain Rousseau. Fort de ses 20 années d’expérience, il a ensuite rejoint comme directeur administratif et financier, en 2012, Exel Industries, qui réalisait alors un chiffre d’affaires d’un peu plus de 400 millions d’euros, et continue sa démarche d’apprentissage sur le terrain. «Aujourd’hui encore, j’apprends à améliorer notre besoin en fonds de roulement pour accroître nos ressources financières et à trouver de nouvelles sources de financement pour notre développement international tout en maintenant l’indépendance financière du groupe, comme demandé par l’actionnaire familial», poursuit Sylvain Rousseau.
Pour ce type de problématiques, certains directeurs financiers s’appuient sur des conseils ou leurs partenaires financiers, comme les banques.«Il faut concevoir leur accompagnement comme une formation continue personnalisée», précise Sylvain Rousseau. Les directeurs financiers peuvent en effet apprendre de nouvelles pratiques grâce à leurs partenaires. GL Events a par exemple levé 50 millions d’euros en Euro-PP, en 2013. «Comme c’était encore le début des placements privés, la banque arrangeuse nous a permis d’appréhender ce nouveau marché et surtout nous a aidés à communiquer avec un nouveau type d’investisseurs, les assureurs», témoigne Frédéric Regert. Beaucoup plus qu’avec des investisseurs en actions, ce dernier a dû les rassurer sur le business model du groupe, composé de trois activités, et détailler notamment la récurrence des free cash flows. «Nous allions investir 100 millions d’euros à São Paulo pour construire le plus grand parc d’expositions d’Amérique du Sud, soit trois fois nos enveloppes annuelles dédiées pour ce type de projets, ajoute Frédéric Regert. Ce nouveau challenge et pari entrepreneurial devait être expliqué.»
Pour réussir sur certains marchés à l’étranger, les directeurs financiers font encore également appel à des compétences externes et surtout locales, notamment à des cabinets d’audit, de conseil ou à des avocats présents sur place. «Cela permet de mieux adresser les risques commerciaux, la réglementation sociale, la fiscalité, la relation bancaire», énumère Frédéric Regert. Les experts sur place sont alors précieux pour se faire une idée de nouveaux marchés, pour anticiper au mieux les risques.
Anticiper les difficultés
Outre les prestataires, les directeurs financiers peuvent aussi parfois compter sur leurs pairs. Frédéric Regert, par exemple, n’a pas hésité à demander conseil à l’un de ses homologues dont l’entreprise était déjà implantée sur les marchés que visait GL Events. Dans ce cadre, de nombreux directeurs financiers peuvent confronter leurs expertises dans le cadre des organisations professionnelles, comme l’association nationale des directeurs financiers et de contrôle de gestion (DFCG) ou à travers des commissions de réflexion, comme Paris Europlace ou la commission de Lyon Place financière. «Le partage d’expérience permet de comparer les pratiques et d’améliorer nos savoir-faire, souligne Frédéric Regert. Enfin, être à l’écoute est aussi un moyen d’anticiper la concurrence, puisque personne n’est à l’abri de voir arriver de nouveaux challengers.»
Pour se tenir prêts et toujours améliorer leur compétitivité, les directeurs financiers qui ont réussi à monter en compétence effectuent ensuite une veille active. Les conférences, les médias spécialisés et les échanges informels constituent autant de moyens pour eux de se tenir au courant des pratiques de la place. Cela leur permet d’actualiser leurs connaissances, de choisir des solutions ou encore d’obtenir des financements innovants. «Cette tâche fait partie de la feuille de poste du directeur financier, afin de se maintenir au niveau, confirme Eric Scoffier, directeur financier de transition chez Valtus. Or certains professionnels, pris dans leurs préoccupations quotidiennes, sous-estiment la valeur de cette prise de recul.» La difficulté est alors d’être présent sur tous les fronts puisque, pour maintenir une veille efficace, le directeur financier doit également demeurer proche des opérationnels de son entreprise. «Par exemple, j’échange régulièrement avec les commerciaux, notamment pour savoir comment mieux réagir en cas de retard de paiement d’un client», témoigne Pierre-Yves Hentzen.
Pour avoir le temps d’être à l’écoute des experts, de ses pairs mais aussi des opérationnels, le directeur financier doit pouvoir s’appuyer sur une équipe solide, capable de gérer le quotidien. «Quand la société a été introduite en bourse, j’ai dû apprendre à déléguer avant toute chose, se rappelle Pierre-Yves Hentzen. Mais on ne peut déléguer que lorsque le recrutement a été bien pensé.» Ce dernier s’est donc toujours efforcé d’embaucher une personne capable d’apporter une expérience nouvelle à la direction financière, afin de permettre à cette dernière de monter en compétence. Pour certains groupes, recruter est également un moyen d’affronter de nouveaux défis. Chez GL Events par exemple, le développement sur les grands projets à l’international s’est accéléré depuis huit ans, afin de trouver les relais de croissance. Depuis 2012, entre 100 et 150 millions de chiffre d’affaires provient de ces grands événements sportifs et institutionnels. «J’avais besoin de compétences extérieures, reconnaît Frédéric Regert. Outre les prestataires et les pairs qui connaissaient le terrain, j’ai dû étoffer notre équipe avec des profils qui avaient déjà l’expérience de la gestion de projets internationaux sur 12 à 18 mois, avec des impératifs de rentabilité conséquente et un niveau d’exigence élevé au regard des enjeux.» Il a ainsi recruté plusieurs financiers et détaché un contrôleur à plein temps pour chaque nouveau projet d’envergure.
En réalisant cela, le directeur financier non seulement s’assure que son entreprise a bien les compétences nécessaires pour gérer tout nouveau risque, mais se positionne aussi comme un véritable membre du comité exécutif. «C’est notamment parce que j’ai bien accompagné la croissance de Deezer que j’ai pu prétendre au poste de directeur général de Deezer France, puis de chief operating officer du groupe», commente Simon Baldeyrou. La suite logique de cette montée en compétence est souvent un moyen de franchir les étapes et d’obtenir plus de responsabilités, au sein de la direction générale.
Survivre à un rachat
Quand une société se fait racheter, l’équipe financière est souvent remaniée. Le directeur financier doit alors s’adapter.
• «Lorsqu’Arkoon, devenue filiale d’Airbus, a été rapprochée d’une autre filiale de ce groupe, Netasq, j’ai dû faire face à de nouvelles demandes de la part des actionnaires, notamment en termes de reporting», explique Pierre-Yves Hentzen, directeur administratif et financier de Stormshield. Ce dernier a ensuite pu monter en compétence à l’occasion de ce rachat en prenant la tête des finances de la nouvelle entité Stormshield, composée d’Arkoon et de Netasq.
• Mais avec cette prise de responsabilités, il a dû prendre des décisions stratégiques. «Au départ, j’ai fait le choix de laisser les équipes financières sur deux sites distincts, à Lyon et à Lille, mais très vite je me suis rendu compte que pour être plus efficace et mieux accompagner la croissance, je devais les réunir en un seul pôle», poursuit Pierre-Yves Hentzen.
Survivre à un carve-out
Quand un groupe se sépare d’une filiale, le directeur financier de cette dernière doit soudainement prendre en charge le financement, la trésorerie et le contrôle de gestion autrefois gérés par la société mère.
• Le directeur financier doit alors prouver qu’il a les compétences nécessaires, surtout quand la scission se réalise dans le cadre d’un LBO. Bien souvent, un directeur financier de transition remplace alors le directeur financier qui échoue. «Une fois sur trois, nous devons remplacer le directeur financier», note Eric Scoffier, directeur financier de transition chez Valtus. Le directeur financier de la filiale, s’il veut rester, doit alors montrer très rapidement, dès les premiers rendez-vous avec les fonds acheteurs, qu’il sera capable de mettre en place des outils de gestion du cash, d’améliorer le besoin en fonds de roulement et d’améliorer le reporting afin de piloter de manière très fine la nouvelle entité.
• «A cela s’ajoutent des compétences de communication avec les banques, mais aussi entre les investisseurs et le directeur général», complète Eric Scoffier. A ce titre, le directeur financier doit gagner en autonomie et animer l’ensemble des partenaires financiers de l’entreprise.
Apprendre son métier de directeur financier sur le terrain
Rejoindre une start-up constitue souvent un moyen de se lancer en tant que directeur financier, afin de grandir comme professionnel au rythme où l’entreprise se développe. Cependant, cela demande souvent une capacité d’apprentissage conséquente les premiers mois. «En 2003, j’ai changé radicalement de carrière : je suis passé d’auditeur externe au poste de directeur administratif et financier de la biotech Cytomics Pharmaceuticals,témoigne Erwan Martin (47 ans). Je connaissais la technique de gestion mais, pour le reste, j’ai dû m’adapter, même si j’ai pu compter sur l’accompagnement d’un mentor – un business angel qui a investi dans la société – et sur mes pairs.»
Tandis que son arrivée coïncide avec la première levée de fonds de la start-up, Erwan Martin n’hésite alors pas à chercher des informations au-delà de la lecture des notes d’avocats et de la presse spécialisée. Au sein de l’association France Biotech, il a pu prendre contact avec de nombreux directeurs financiers du secteur. «Du moment que je venais avec des questions précises, mes homologues ont toujours essayé de me conseiller, ajoute Erwan Martin. Cela était très précieux.» Cette expérience, ainsi que son réseau, lui a ensuite permis d’être repéré dans le secteur. En 2008, il est recruté chez Geonomic Vision. A l’époque, cette entreprise de recherche réalisait moins de 150 000 euros de chiffres d’affaires. Aujourd’hui, elle atteint plus de 3 millions d’euros.