Après deux années post-Covid singulières sur le front de l’emploi, car particulièrement favorables aux candidats, les experts du recrutement constatent un retour à la normale. Les mouvements se tarissent, tandis que les niveaux de rémunération à l’embauche se stabilisent, exception faite de certaines fonctions.
Dans un monde post-Covid, un nouveau paradigme s’était installé. Le pouvoir était aux mains des candidats et non plus aux mains des recruteurs. Les profils les plus recherchés pouvaient dicter le nombre de jours de télétravail, exiger des avantages salariés et faire grimper les niveaux de rémunération. Mi-2024, cette tendance n’est plus aussi nette. « Le marché est clairement moins euphorique, constate Olivia Jacob, senior manager fonctions financières chez Robert Walter. Il faut dire que nous avons connu des années particulièrement exceptionnelles. L’année 2022 est clairement une année incomparable aux autres, tant les fondamentaux étaient différents. »
Ceux qui ont opéré un changement de poste à cette date sont clairement aujourd’hui les mieux lotis du marché. Ils ne sont désormais plus à l’écoute des nouvelles opportunités. En période d’incertitude macroéconomique, les entreprises comme les candidats se font plus prudents. « La situation des entreprises reste largement fonction de la conjoncture : en 2022, la croissance était de 2,5 %, contre 0,9 % en 2023, souligne Alexandre Ricard, associé chez Elma Recrutement. Dans la conjoncture actuelle, les entreprises qui souffrent le plus sont les start-up et les entreprises du secteur de la construction et de l’immobilier. Elles ont considérablement réduit leurs recrutements. Du côté des candidats, j’ai le sentiment que nous sommes revenus au niveau de 2019 avec beaucoup moins de “no-shows” et des candidats qui nous relancent régulièrement. »
Trois fonctions qui se distinguent
Cependant, si le marché est moins euphorique, il est loin d’être atone. Trois fonctions se distinguent, restant marquées par des pénuries de candidats, au premier rang desquelles se trouve celle de directeur et responsable consolidation. « Il s’agit d’une fonction très technique qui requiert des années d’expérience », explique Alexandre Ricard. Ces profils étant rares, ils peuvent aujourd’hui se permettre des prétentions salariales particulièrement élevées lorsqu’ils sont chassés par approche directe. « Il faut bien avoir à l’esprit que la consolidation est souvent un métier de passage, explique Elisabeth Chevillard, à la tête du cabinet de recrutement spécialisé en finance EC-RH. Ce que je conseille à mes clients qui peinent à trouver ce type de profil, c’est de faire monter en compétence des candidats en interne en les formant. » Les directeurs trésorerie et les directeurs comptables restent également très recherchés. « Les profils experts avec une technicité rare sont en pénurie, abonde Olivia Jacob. Si en plus, on ajoute d’autres compétences, telles que le management et la maîtrise de l’anglais, les niveaux de rémunération s’envolent. » Enfin, l’audit interne reste une fonction structurellement difficile pour les recruteurs. « Il y a beaucoup moins d’appétence pour les missions d’audit interne qui requièrent des déplacements fréquents », explique Olivia Jacob. Autre constat des chasseurs de têtes : lorsque la mission nécessite des déplacements en avion fréquents, les candidats, qui soignent leur impact environnemental, sont encore moins nombreux.
«Une embauche d’un junior à haut salaire s’accompagne rarement d’une évolution de la rémunération dans les deux années qui suivent.»
Une forte hausse salariale pour les juniors
Si les rémunérations s’envolent, toutes les catégories de salariés ne bénéficient pas du même niveau de valorisation. Les juniors sont aujourd’hui particulièrement bien lotis. « Il y a aujourd’hui clairement une inflation des rémunérations chez les juniors, constate Elisabeth Chevillard. J’ai recruté récemment un diplômé de 2021 à 70 k€ sur une fonction trésorerie. Cependant, il faut bien avoir à l’esprit que cette entrée en matière très confortable s’accompagne rarement d’une évolution de la rémunération dans les deux années qui suivent l’embauche. » Un profil trésorier ou consolidation disposant de quatre à cinq années d’expérience peut ainsi parvenir à négocier une rémunération annuelle de 80 k€ bruts, voire 90 k€. « Lorsque l’on embauche un responsable consolidation à 90 k€ et que le directeur consolidation est à 120 k€, cela pose réellement question en interne, constate Olivia Jacob. Certaines entreprises font l’effort de revoir la rémunération de leur directeur consolidation, afin de ne pas risquer un départ. » L’autre écueil auquel doivent faire face les recruteurs est la défection des candidats une fois la lettre d’embauche signée. « Depuis le début de l’année, j’ai eu trois fois le cas, explique Elisabeth Chevillard. Trois candidats d’un très bon niveau avaient signé leur lettre d’engagement. Au cours de leur préavis, ils ont été rattrapés par leur entreprise avec une contre-offre plus élevée. » L’alignement des rémunérations est aujourd’hui utilisé pour contrer la rareté des profils.
Un niveau d’exigence élevé de la part des entreprises
Le niveau d’exigence des entreprises n’a cependant pas baissé. Bien au contraire. « Par exemple, pour un poste de contrôleur de gestion, les compétences outils sont aujourd’hui fondamentales, explique Alexandre Ricard. Un contrôleur de gestion doit manier des outils tels que Microsoft Power Bi et être à même d’accompagner leur implémentation au sein de la direction financière. » Plus largement, les experts attendus doivent plus que jamais faire preuve de curiosité et d’adaptabilité. « Les profils recherchés doivent avoir une vision très opérationnelle, conclut Olivia Jacob. Au-delà des compétences techniques, ils doivent avoir un rôle de business partners et montrer une réelle appétence pour les sujets émergents tels que l’IA et la RSE. »
Des profils M&A moins demandés
Ils étaient jadis considérés comme les plus nobles des financiers. Ces experts des fusions-acquisitions embauchés à prix d’or sont désormais moins chassés qu’auparavant. En cause, des fonds VC qui accusent le coup, suite à la remontée des taux directeurs. Dans un contexte de liquidités moindres, les deals se raréfient et les équipes se font moins denses. Les fonds recrutant moins, ces experts se tournent désormais plus volontiers vers la finance d’entreprise. « Je recrute actuellement le bras droit d’un CFO dans une grande entreprise, explique Elisabeth Chevillard. Je constate que cette offre intéresse des profils fonds d’investissement qui auparavant étaient totalement absents de ce type de recherche. »