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Les directeurs financiers du secteur des énergies renouvelables

Publié le 22 octobre 2013 à 16h08    Mis à jour le 27 juin 2014 à 19h06

Morgane Remy

Dans les secteurs du photovoltaïque comme de l’éolien, où l’investissement est lourd, les entreprises peinent souvent à être rentables. Certaines d’entre elles y parviennent néanmoins, en baissant les coûts de production et en cherchant des solutions sur mesure pour se financer à moindre prix.

Après avoir enregistré une progression fulgurante au milieu des années 2000, principalement portée par des soutiens étatiques, le secteur des énergies renouvelables traverse une crise profonde. A tel point qu’il est difficile de faire parler les directeurs financiers des sociétés spécialisées dans le solaire ou l’éolien sur le sujet. Il est vrai que, faute d’avoir trouvé un modèle économique rentable, la plupart des entreprises du secteur connaissent des difficultés importantes. «En Europe, les pouvoirs publics ont longtemps voulu soutenir cette filière, raconte Catharina Saponar, analyste ESG chez Crédit Agricole-Cheuvreux. Mais ils se sont rapidement rendu compte que les subventions – coûteuses – ont surtout créé un effet d’aubaine qui a alors entraîné une bulle opportuniste.» Ce désengagement brutal des Etats a porté un coup d’arrêt à la croissance dans ce secteur. Ce marasme touche toutefois de façon différente les acteurs de la chaîne. Ce sont en effet les fabricants de matériels destinés à la production d’énergies renouvelables qui sont les plus touchés.

«Les constructeurs de panneaux photovoltaïques, notamment, doivent faire face à la concurrence des produits chinois et taïwanais à très bas coût, souligne Thiemo Lang, gérant Energy chez SAM/Robeco. Par conséquent, les producteurs allemands, qui étaient à la pointe de cette industrie, n’ont pas pu suivre, de même que les entreprises françaises spécialisées.» Ainsi, en Allemagne, Q-Cells, Solarhybrid et Solon ont fait faillite. En France, Evasol et Photowatt ont été placés en redressement judiciaire avant d’être reprises respectivement par une start-up provençale et par EDF. Dans le domaine de l’éolien, l’unique fabricant français Vergnet n’a échappé au dépôt de bilan que grâce à une nouvelle injection de fonds du FSI, en mars dernier. Le fabricant de mâts Céole a quant à lui été placé en redressement judiciaire au printemps dernier et a dû accueillir un nouvel actionnaire.

La fin d’un prix fixé par l’Etat

De leur côté, s’ils ne sont pas impactés de façon aussi drastique, les producteurs d’électricité doivent pour leur part faire face à un enjeu majeur : les prix de vente sur lesquels ils avaient bâti leurs prévisions ne sont plus forcément d’actualité. A partir de 2006, afin d’encourager le développement du secteur, le kilowattheure (kWh) produit sur un parc photovoltaïque au sol était vendu à EDF à un tarif de plus de 30 centimes d’euros, avec un engagement de rachat de 20 ans. Mais un moratoire voté en décembre 2010 a mis fin à cette obligation pour la remplacer par un nouveau dispositif basé sur deux mécanismes distincts suivant la puissance de l’installation. Les tarifs d’achat pour les installations sur bâtiments produisant moins de 100 kWh dans des conditions standards d’ensoleillement – concernant surtout les particuliers – s’élevant désormais à 17,5 centimes d’euros. Au-delà, ils sont régis par des appels d’offres. «Le problème est que les entreprises avaient construit leur business plan en fonction de prix de ventes élevés, souligne Catharina Saponar. Elles n’avaient de ce fait pas engagé les efforts nécessaires en termes de structure de coûts pour être compétitives sur un marché non protégé.» 

L’éolien, pour sa part, n’a pas connu un tel coup d’arrêt. Les prix de rachat de l’électricité produite par les installations terrestres sont toujours fixés à 8,2 centimes pendant 10 ans à partir du premier jour d’exploitation, puis entre 2,8 et 8,2 centimes pendant 5 ans en fonction des sites. Pour l’éolien en mer (off-shore), le prix est de 13 centimes le kWh, pendant 10 ans, puis s’établit entre 3 et 13 centimes d’euros pendant 10 autres années, car il nécessite des investissements initiaux beaucoup plus lourds. Toutefois ce dispositif pourrait être remis en cause.

«L’arrêté tarifaire régissant les contrats de vente d’électricité éolienne à EDF, pris en 2008, avait été contesté en Conseil d’Etat par l’association Vent de Colère ! Au cours du premier semestre 2012, le Conseil d’Etat a renvoyé le jugement à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), explique Nathalie Mandelli, directrice administrative et financière d’Aérowatt, producteur d’électricité éolienne et solaire (27,5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2011). Cette décision accentue l’incertitude sur la pérennité de l’arrêté tarifaire de 2008, et a très fortement compliqué la mise en place des financements des projets éoliens du groupe, dont la construction avait débuté en mars 2012. La décision de la CJUE n’est pas attendue avant l’été 2013, et le Conseil d’Etat devra alors finaliser l’instruction de cette requête ce qui reportera d’autant la stabilisation du prix d’achat de l’éolien.»

Cela constitue un frein à l’investissement pour les entreprises spécialisées mais pèse surtout sur les prêts accordés par les banques.«Les banques françaises ne nous prêtaient déjà presque plus mais nous pouvions encore obtenir un financement relativement facilement auprès des établissements étrangers, témoigne Frédéric Roche, PDG de Kallista Energy (46,6 millions d’euros en 2011). Mais depuis cette action en justice, ces derniers ont réduit leurs encours et nous avons dû avancer cette année 16 millions d’euros supplémentaires sur nos fonds propres pour un parc de 12 mégawatts.»

Dans ce contexte de manque de visibilité quant à la rentabilité des investissements et de difficultés à trouver les financements nécessaires, la direction financière des entreprises concernées se retrouve donc en première ligne. Elle joue notamment un rôle important dans les opérations de concentration que commence à connaître le secteur. Ainsi, Aérowatt a choisi de s’allier il y a un mois avec son homologue JMB Energie, devenant actionnaire à 60 % le 27 septembre dernier. «Nous avons conscience que nous devions atteindre une taille critique, au vu des investissements massifs nécessaires pour monter un projet alors qu’il faut des années avant de pouvoir obtenir un retour sur investissement», explique ainsi Nathalie Mandelli. Le rapprochement avec JMB Energie permettra également de monter en puissance vis-à-vis des banques, afin d’obtenir les financements les moins coûteux possible.

Un besoin plus important d’investisseurs

Car la principale mission qui repose sur les directions financières est la recherche de ressources nécessaires au développement de l’activité. Très largement, ce sont des mécanismes «classiques» de financement de projet – reposant sur une faible part des fonds propres et une dette apportée par un pool bancaire – qui sont utilisés. Or les relations avec les banques se sont tendues. «Depuis deux ans, nous devons effectuer un reporting auprès des établissements, dans le cadre des covenants bancaires, afin de les informer en temps réel sur la rentabilité des centrales, poursuit Nathalie Mandelli. Etant un groupe de 65 sociétés de projets, nous avons une équipe de quatre personnes dédiée au suivi comptable et financier, qui doit également gérer la trésorerie tout au long de la vie des projets.» Mais, surtout, les établissements demandent aux opérateurs d’investir de façon plus importante.«Auparavant, nous devions apporter 10 à 15 % de fonds propres par projet, souligne Nathalie Mandelli. Aujourd’hui nous devons injecter plus de 20 %.»

Lors du dernier montage financier, Aérowatt a dû financer deux millions d’euros supplémentaires, ainsi que donner une caution afin de conforter ses banques, principalement BPCE. Le groupe a également obtenu un financement complémentaire auprès d’Oséo qui apporte 40 millions sur les 160 millions de dettes de l’ensemble des projets. Face à cette exigence de fonds propres, les groupes ont de plus en plus intérêt à trouver des investisseurs privés ou publics. Aérowatt, par exemple, bénéficie de l’apport de la Caisse des dépôts et des consignations (CDC) avec qui elle a deux filiales. «En octobre 2009, Aérowatt et la CDC ont ainsi conclu un partenariat se traduisant par la création d’Aérowatt Energie, où la CDC a injecté 9,2 millions d’euros entre  2009 et 2011», précise Nathalie Mandelli. Certains acteurs sont déjà en avance sur le sujet.

«Chez Solairedirect, pour chaque projet, nous faisons venir des co-investisseurs à nos côtés, explique Christophe Lahon, directeur administratif et financier chez Solairedirect (213 millions de chiffre d’affaires en 2011). Nous leur proposons un couple rendement/risque attractif, la volatilité de la ressource solaire étant limitée (5 à 10 % d’une année à l’autre), le revenu des actifs étant sécurisé par des garanties de performance des systèmes et par des contrats de vente d’électricité d’une durée de 20 à 30 ans. Enfin, le financement bancaire est mis en place sous forme de financement de projet, c’est-à-dire dont le remboursement provient uniquement des cash-flows générés par le projet et sans recours contre les actionnaires.»

Si les entreprises essaient ainsi de plus en plus larges appels aux investisseurs, leur stratégie diverge toutefois en ce qui concerne les différentes structurations des projets. Ainsi, Aérowatt souhaite rester actionnaire majoritaire de ses filiales, qui portent chacune un projet différent. Solairedirect préfère recourir systématiquement à des investisseurs privés, quitte à ne posséder que 20 % en moyenne du capital des filiales. Cette stratégie permet d’être doté de plus de fonds propres, comme le demandent les banques, mais aussi d’alléger ses propres risques.

Des avantages fiscaux revus à la baisse

De son côté, l’entreprise Kallista Energy a centralisé sa dette, sur la demande de ses partenaires bancaires, au niveau de la holding plutôt que de la conserver segmentée dans chacune de ses 16 filiales. «Cette structure limite les risques pour nos banques, car celles-ci sont réparties entre plusieurs projets à l’échelle de la holding, ce qui nous a permis de baisser les coûts du crédit, explique Frédéric Roche. Mais les règles fiscales ont changé, ce qui nous met dans une situation délicate.» En effet, si le code général des impôts autorisait un amortissement accéléré sur 12 mois pour les investissements destinés à économiser l’énergie, ce régime dérogatoire est plafonné à 1 million d’euros depuis 2011. Mais surtout l’entreprise craint plus encore le plafonnement à venir de la déductibilité des intérêts d’emprunt à trois millions d’euros dans le cadre d’un groupe fiscalement intégré endetté à près de 80 % pour le financement de ses actifs, soit 236 millions d’euros.

«Ce plafonnement réduira la rentabilité de nos opérations, poursuit Frédéric Roche. Toutefois, nous avons la chance d’avoir un fonds comme actionnaire, qui a les moyens de nous soutenir et de nous accompagner sur une vision long terme, poursuit-il. Nous pensons que ce surcoût fiscal n’est que temporaire et que nous devrions continuer d’investir.»Avec comme perspective, pour les entreprises du secteur qui auront su perdurer, de pouvoir bénéficier de matériaux de moins en moins chers grâce aux progrès de la technologique… ce qui devrait leur permettre de dégager de meilleures marges.

La part de l’éolien et du solaire dans la production énergétique en France (2010)

  • 5 660 MW : la puissance du parc éolien
  • 3 500 : le nombre d’éoliennes installées en France
  • 1,7 % : la part d’électricité produite par l’éolien
  • 1 026 MW : la puissance du parc photovoltaïque
  • 151 654 : le nombre d’installations photovoltaïques en France, y compris chez les particuliers
  • 0,1 % : la part de l’électricité produite par le solaire

Solairedirect réduit ses coûts pour être compétitif

Dès sa création, Solairedirect a toujours cherché à vendre son kilowattheure au prix le plus attractif possible, en optimisant ses coûts. Pour cela, la société a activé deux types de leviers. Sur le plan industriel, les ingénieurs ont pour mission de minimiser les frais de production en orientant les panneaux solaires de façon optimale et de limiter l’équipement électrique – comme le métrage de câbles, par exemple – en organisant au mieux le site de production. Par ailleurs un acheteur, dépendant de la direction générale, s’occupe de négocier au mieux le coût des composants, qui sont d’ailleurs structurellement à la baisse dans le photovoltaïque. Le travail de la direction financière, pour sa part, est de réduire, les coûts financiers en obtenant des prêts bancaires à long terme au tarif le moins cher possible.

«Nous avons choisi de faire jouer la concurrence entre banques, souligne Christophe Lahon, directeur administratif et financier de l’entreprise. Grâce à un processus continu d’optimisation tant des coûts de construction que des coûts de financement, nos actifs produisent à moins de 10 centimes le kilowattheure aujourd’hui, contre 15 centimes en 2010, avec un objectif de 7 centimes d’ici 24 mois.»  En France, ce travail permet à Solairedirect de vendre son électricité non seulement à EDF, mais également à des distributeurs locaux et de diversifier les acheteurs d’électricité. Ainsi deux contrats ont été signés, de 60 mégawatts chacun, auprès des régies locales en Poitou-Charentes, Sorégies et Séolis. Une démarche similaire est en place à l’international.

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