Les directions financières sont amenées à travailler de plus en plus sur des projets d’intrapreneuriat, appelé autrement «entrepreneuriat salarial». Elles interviennent lors de la sélection des dossiers, du suivi des phases de développement, mais également lors de l’intégration des nouvelles activités à l’entreprise.
Ces dernières années auront vu l’intrapreneuriat, défini par le ministère de l’Economie et des Finances comme «la mise en œuvre d’une innovation par un employé, un groupe d’employés ou tout individu travaillant sous le contrôle de l’entreprise», se développer de manière significative en France. Selon une étude conduite par Deloitte en 2017 et intitulée «Intrapreneuriat : effet de mode ou vague de fond ?», près des trois quarts des salariés français souhaitaient à date se lancer dans une démarche intrapreneuriale dans un délai de trois ans, et les deux tiers se disaient attirés par des structures ayant mis en place des programmes d’incubation idoines. «Celles-ci sont particulièrement représentées au sein des grands groupes français (voir encadré) et, de plus en plus, parmi les entreprises de taille intermédiaire ayant des enjeux d’innovation forts», indique Eric Rebiffé, président de l’association de soutien à l’entrepreneuriat salarié Diese.
Au sein des organisations, les directions financières sont désormais pleinement impliquées dans la mise en œuvre de l’intrapreneuriat, travaillant généralement de concert avec les directions de l’Innovation, de la Transformation, des Ressources humaines ou les business units appelées à devenir les réceptacles des projets. C’est par exemple le cas au sein du groupe La Poste, dont le programme intrapreneurial «20 projets pour 2020» est hébergé depuis un an au sein de la direction financière et du développement dirigée par Yves Brassart, ou chez Bouygues, dont le dispositif «Innover comme une start-up» est placé sous la supervision directe de Philippe Marien, directeur général délégué en charge des Finances, des Systèmes d’information et de l’Innovation du groupe.
Des enveloppes budgétaires
Les interventions des directions financières surviennent généralement avant même la mise en chantier effective des projets, au cours de la phase dite «de sélection». Traditionnellement, tout intrapreneur est tenu de présenter son projet devant un «jury» constitué de financiers, d’opérationnels et, parfois, d’entrepreneurs extérieurs à l’entreprise. «Si l’ensemble des membres de ce comité va chercher à mesurer la viabilité du business model présenté et sa compatibilité avec l’offre du groupe, le responsable financier peut être amené à soulever des points spécifiques relatifs aux risques, aux besoins éventuels de financement et à la rentabilité attendue du projet», souligne Olivier Dressayre, responsable du programme d’intrapreneuriat de La Poste. A ce stade, la direction financière est par ailleurs directement impliquée dans la fixation des enveloppes budgétaires annuelles allouées aux programmes d’intrapreneuriat, transversales ou consolidées. «Celles-ci s’échelonnent en général de 50 000 à 200 000 euros en fonction de la taille des “promotions”, et peuvent être pondérées en fonction des cas ou déterminées uniformément», précise Muriel Garcia, présidente de l’association Innov’Acteurs, qui promeut le développement de l’innovation participative.
Quand vient la phase d’incubation ou de développement, d’une durée de 6 à 24 mois selon les entreprises, des membres de la direction financière peuvent être sollicités pour en assurer le suivi. «Il n’est pas rare que les équipes en charge du contrôle de gestion ou le directeur financier de la business unit concernée accompagnent ponctuellement le salarié dans l’élaboration de son plan d’affaires, en appui d’autres accompagnateurs désignés au sein ou hors du groupe, indique Philippe Burger, associé responsable Capital Humain chez Deloitte. Dans la plupart des cas, ce mentorat permet d’optimiser le temps d’incubation du projet et d’augmenter ses chances de prendre corps.»
Un partage de la valeur
Cette concrétisation, avalisée dans la plupart des cas par un deuxième comité d’examinateurs, marque le début de la constitution de l’initiative salariale en entité pleinement intégrée à l’entreprise. Eventualité du «spin-off» mise à part, deux possibilités d’intégration s’offrent alors : ou l’équipe travaillant sur le projet est constituée en unité évoluant dans une division, ou l’activité nouvellement créée devient une filiale détenue intégralement ou partiellement par le groupe. «Comme pour une acquisition traditionnelle, la mission de la direction financière consiste ici à définir des méthodes de valorisation de la nouvelle entité et à déterminer le niveau d’engagement capitalistique de l’entreprise, explique Philippe Burger. Ces étapes sont complexes car, bien souvent, les projets sont disruptifs et n’ont pas de comparables sur le marché.»
En collaboration avec la direction des ressources humaines, la direction financière sera dès lors en charge d’élaborer une politique de rémunération et d’incitation encourageante pour l’intrapreneur. «Celle-ci implique-t-elle la mise en place d’indicateurs de performance ou de seuil permettant le déclenchement d’incentive ? Le chef de projet doit-il détenir des parts de la structure ? Les réponses apportées à ces questions contribueront ou non à viabiliser le projet sur le long terme et à éviter la fuite de certains talents», prévient Christophe Liénard, directeur de l’innovation du groupe Bouygues. Un enjeu déterminant pour pérpétuer l’innovation.
L’intrapreneuriat séduit les grandes entreprises
Si 9 % des entreprises françaises seulement ont investi, à ce jour, dans des programmes d’intrapreneuriat, de telles initiatives se retrouvent beaucoup plus fréquemment au sein des grands groupes français. Ainsi, plus des deux tiers des entreprises du CAC 40 sont aujourd’hui investis dans une telle démarche. Dans le secteur bancaire, BNP Paribas et Société Générale ont mis en place respectivement People’s Lab 4 Good et Startup Call. Dans l’industrie, Air Liquide ou Engie sont également à la manœuvre, avec i-Lab et Engie Innovation. La mobilité n’est pas en reste : SNCF incube de nombreuses initiatives au sein de SNCF Développement, tandis que Renault et PSA ont investi dans des dizaines de projets ces cinq dernières années. Au global, les quarante premières entreprises de France auraient accouché de plus de 200 projets intrapreneuriaux depuis 2015.