Alors que l’intérêt des étudiants pour les formations en finance ne faiblit pas, les enseignements ont toutefois été profondément bouleversés ces dernières années pour tenir compte des règlementations apparues après la crise financière. L’accent a notamment été mis sur la gestion des risques et l’éthique financière.
Il y a quelques jours, 130 000 étudiants, selon l’Insee, ont fait leur rentrée universitaire dans un cursus spécialisé en finance ou en école de commerce en France. Ce nombre est en perpétuelle augmentation chaque année, de l’ordre de +9 % depuis les années 1990. La crise financière mondiale, elle-même, n’est pas parvenue à stopper cette dynamique. Mais alors que ses effets se font encore ressentir sur le monde financier, le tsunami financier démarré le 9 août 2007 aux Etats-Unis a entraîné de profonds bouleversements dans la formation des futurs professionnels de la finance. En effet, autrefois axés sur les fondamentaux de la finance (comprendre les fonctionnements des produits dérivés, des marchés obligataires, des actions…), les enseignements dispensés aujourd’hui ont évolué pour tenir compte de la métamorphose des métiers de la finance et de la prolifération des réglementations en la matière.
La formation au trading réduite
La quasi-disparition des cours de trading y a en partie contribué. Avant la crise financière et le scandale de l’affaire qui opposa la Société Générale à son ex-trader Jérôme Kerviel en 2008, le métier de trader suscitait de nombreuses vocations chez des étudiants animés notamment par l’ambition de gagner des bonus conséquents. Mais la profession a depuis perdu de son lustre. Afin d’empêcher autant que faire se peut de nouvelles dérives, les régulateurs internationaux ont d’abord mis en œuvre une série d’initiatives visant à encadrer les activités de trading et les bonus liés. En 2012, le rapport Liikanen, du nom du gouverneur de la Banque de Finlande qui présidait un groupe d’experts, a été remis à la Commission européenne. Ce document, qui préconisait l’encadrement des activités de trading des banques, a servi ensuite de socle, par exemple, à la directive européenne MIF 2 (Markets in Financial Instruments Directive), entrée en vigueur en janvier 2018 et visant à renforcer la protection des investisseurs, ainsi que la transparence des marchés et des transactions. Encore en janvier dernier, la FRTB (Fundamental Review of the Trading book ou revue fondamentale du trading) devenait applicable. Elle a pour objectif de revoir en profondeur la manière dont les banques évaluent les risques induits par l’ensemble de leurs activités et le risque de marché qu’elles prennent. En France, c’est la loi de régulation et de séparation des activités bancaires de 2013 qui a restreint, entre autres, l’activité de trading et renforcé les pouvoirs des autorités de contrôle. Ajouté à cela l’avènement du trading haute fréquence (voir encadré), ces initiatives ont abouti à une baisse significative du nombre de postes de traders. Depuis la crise, les grandes banques d’investissement ont ainsi divisé leurs effectifs parfois jusqu’à trois. Comme de nombreux cours ou modules prodigués abordaient les tenants et aboutissants de cette profession, il a donc fallu en alléger le contenu.
Une lourde réglementation financière à intégrer
La vague réglementaire post-crise n’a toutefois pas affecté uniquement la profession de traders. Entre Bâle III, EMIR ou encore MIF II, tous élaborés après la crise financière, c’est en effet l’ensemble du secteur bancaire qui a fait l’objet d’un tour de vis au cours de la décennie écoulée !
«En matière juridique, la crise financière a engendré un vrai bouleversement car le législateur européen a accru et multiplié les législations», constate Thierry Bonneau, directeur du Master II de droit bancaire et financier de l’Université Paris 2 Panthéon-Assas. Avant 2007, les directives européennes faisaient en moyenne une quarantaine de pages. Aujourd’hui, une directive et un règlement complémentaires peuvent atteindre les 250 pages ! «Il existe de nouvelles et nombreuses réglementations financières à tous les niveaux : plusieurs dizaines de textes pour le Parlement européen et plusieurs centaines de textes pour la Commission européenne depuis 2009 mais aussi des règles de soft law émanant désormais des autorités européennes de surveillance des marchés financiers», ajoute Thierry Bonneau. L’heure est aujourd’hui à la régulation et à la mise en valeur des fonctions de la compliance, du back office et du contrôle des risques. «Nous avons un cours spécifique sur la régulation financière, sur la compréhension de ses mécanismes, son utilité, précise Edith Ginglinger, professeure à l’Université Paris-Dauphine. Mais nous avons également un volet régulation à l’intérieur de notre module sur la banque. Par ailleurs, nous sensibilisons nos étudiants à l’importance de l’éthique grâce à une réflexion sur les métiers de la finance et la responsabilité individuelle.»
C’est le cas de nombreuses écoles. «Les réglementations devenant de plus en plus importantes, nous avons intégré en complément de nos cours de droit bancaire et de droit financier des cours de conformité et de gestion des risques, indique Laurent Deville, professeur et directeur de la filière Financial Economics de l’Edhec. Nos étudiants doivent en effet être conscients que des règles existent, que leurs agissements dans leurs futurs métiers auront des conséquences aussi bien d’un point de vue individuel que collectif.» Une initiative soutenue d’ailleurs par l’industrie financière, qui insiste beaucoup sur ces nouveaux fondamentaux durant les stages qu’ils proposent aux étudiants. «Au cours de leur cursus, les étudiants passent un an en immersion professionnelle, ajoute Laurent Deville. C’est donc important que nos étudiants maîtrisent dès le départ ces dimensions.» Cette thématique complexe est parfois traitée sous des angles moins techniques, comme du point de vue de l’éthique financière, avec des cours de réflexion sur les métiers de la finance et la responsabilité individuelle. «Des philosophes, par exemple, viennent expliquer cette notion à nos étudiants», se félicite Laurent Deville.
Un enseignement adapté à la finance de demain
Autant d’évolutions qui en présagent de nouvelles. «C’est notre devoir de tenir compte des attentes de la société à l’égard de la finance et de former nos étudiants sur les thématiques correspondantes», soulève Laurent Deville. Ainsi, pour répondre à l’intérêt des jeunes générations pour les nouvelles technologies, l’Université Paris-Dauphine, par exemple, vient de créer un cours sur les fintechs. Surtout, de nombreuses écoles mènent actuellement des réflexions autour des problématiques ESG (environnementales, sociales et de gouvernance).«Dès à présent, il convient d’aller au-delà et de poursuivre l’intégration dans nos formations de la finance soutenable avec la finance verte et le changement climatique», prévient Laurent Deville. Un projet qui ne devrait pas manquer de susciter des vocations et… d’offrir aux étudiants de nombreux débouchés, tant l’essentiel des institutions financières et des investisseurs placent aujourd’hui l’ESG au cœur de leur stratégie de développement.
Largo Winch démocratise la finance
Le 6 septembre dernier a été publié un nouveau tome de la série Largo Winch – aventurier milliardaire et humaniste, propulsé à 26 à la tête d’un empire de 10 milliards de dollars, le groupe W. Son titre : «Introduction à la Finance». Son auteur, Olivier Bossard, est professeur et directeur exécutif du MSc Finance d’HEC Paris. L’idée de cet ouvrage est de rendre la finance accessible. Les lecteurs peuvent y retrouver un Largo Winch pédagogue sur les stock-options, les OPA, la finance 2.0, la crise financière…
L’avènement du trading haute fréquence dans les formations en finance
Au cours des dernières années, le trading haute fréquence, qui permet à des investisseurs de passer un ordre d’achat sur des titres de manière ultra-rapide, est devenu une pratique courante. Une évolution dont tiennent dorénavant compte de nombreux enseignements en finance. «Nous avons ouvert, en 2017, des cours spécialisés sur ce sujet et sur la microstructure de marché qui étudie les divers mécanismes mis en œuvre au niveau des marchés d’actifs financiers et la façon dont ils tendent à influencer la formation du prix de marché», illustre Olivier Bossard, directeur exécutif du MSc Finance d’HEC Paris.
Cette démarche a fait des émules. «Cette année, nous avons notamment mis en place un cours sur la cinématique des marchés financiers, qui consiste à étudier les mouvements de prix indépendamment des causes qui les produisent», détaille Amaury Goguel, de la SKEMA Business School.
Mais avec l’émergence des nouvelles technologies et l’automatisation de l’activité de trading, les cours d’informatique soit ont fait leur apparition dans les formations financières, soit ont vu leur poids être renforcé. «Il faut encore des traders pour automatiser les opérations de marché, défend Jérôme Mathis, professeur à l’Université Paris-Dauphine.Nos plaquettes de cours ont donc dû accorder une place croissante à l’informatique. Nos étudiants de Master consacrent actuellement près d'un tiers de leur temps à se familiariser avec la programmation et les outils informatiques professionnels de la finance.» Ainsi, les futurs traders seront en capacité de faire du code informatique.