Conscientes de la place grandissante du sujet dans la vie des entreprises, les écoles de management françaises dispensent de plus en plus de cours dédiés à la finance durable. Ceux-ci s’adressent à de jeunes étudiants particulièrement demandeurs, mais également à des professionnels désireux d’acquérir de nouvelles compétences.
En septembre 2018, des étudiants issus de cinq établissements d’enseignement supérieur français (HEC Paris, AgroParisTech, CentraleSupélec, l’Ecole Polytechnique et l’ENS Ulm) publiaient un «Manifeste pour un réveil écologique» appelant leurs écoles et leurs futurs employeurs à relever concrètement les défis posés par la transition énergétique. Un document signé depuis par plus de 32 000 étudiants originaires d’une trentaine de pays, et dans lequel les écoles de management françaises figurent aujourd’hui en très bonne place. «Ces dernières années, la protection de l’environnement est clairement devenue l’une des préoccupations premières de nos étudiants, qui disposent de connaissances extrêmement affûtées sur cette question, constate Christophe Thibierge, associate professor au sein du département Finance de l’ESCP. Ces attentes se manifestent dans toutes les filières, notamment la finance, perçue aujourd’hui par nos élèves comme l’un des vecteurs d’actions les plus efficaces pour l’accompagnement au changement.»
Pour répondre à cette demande, l’ESCP, qui distille depuis plusieurs années déjà dans ses cours de management – et donc de finance – des enseignements liés à la prise en compte de paramètres ESG, a décidé de passer la vitesse supérieure. L’établissement lancera à la rentrée prochaine une spécialisation en finance durable accessible aux étudiants de son parcours initial en deuxième année. «Proposée sur notre campus de Berlin, la spécialisation a vocation à accueillir une trentaine d’élèves qui se destinent aux différentes professions de la finance corporate, directeurs financiers, analystes ou encore banquiers d’affaires, mais également de la finance de marché, indique Christophe Thibierge. Son contenu aura trait au contrôle de gestion environnemental, à la comptabilité dite “tripartite” des capitaux financiers, humains et naturels, à la production d’informations financières et extra-financières ainsi qu’à la structuration de l’écosystème de la finance durable.» En cas de succès, l’école projette d’ores et déjà d’ouvrir une telle spécialisation sur son campus parisien en 2021.
Une quinzaine de mastères spécialisés
Bien sûr, les grandes écoles de commerce françaises n’ont pas attendu la récente mobilisation étudiante pour «verdir» leurs cours de finance d’entreprise. Audencia Nantes forme par exemple depuis six ans ses élèves aux fondamentaux du rating extra-financier, alors qu’HEC Paris, de son côté, propose depuis 2015, dans le cadre de son Master 2 Gestion Financière d’Entreprise, un module intitulé «Investissement Responsable». «Ces dix dernières années ont vu la plupart des groupes cotés, particulièrement scrutés par le public et soumis à des réglementations de plus en plus contraignantes, tenter de renforcer leur expertise en finance durable, alors même qu’apparaissait un vaste écosystème de fonds, d’agences de notation extra-financière, de consultants spécialisés et de banquiers dédiés au sujet de la durabilité, souligne Alexis Guyot, professeur de finance et directeur adjoint du programme grande école à Audencia. Concrètement, le marché du travail recherche de telles compétences depuis déjà plusieurs années. Seulement, la finance durable n’est plus une niche mais devient progressivement la norme.»
Loin de cantonner leurs initiatives à leurs plus jeunes élèves, les écoles de management ont mis en place des cours de finance durable au sein de leurs formations continues, accessibles aux professionnels désireux d’acquérir des compétences supplémentaires. A l’Essec, le mastère spécialisé Direction financière et contrôle inclut, par exemple, un module spécifiquement consacré au reporting extra-financier et à la production du rapport intégré. «On recense aujourd’hui une quinzaine de mastères spécialisés intégrant au moins un module dédié aux différentes composantes de la finance durable, rapporte Thomas Jeanjean, co-animateur du groupe Formation continue de la Conférence des Grandes Ecoles. En revanche, aucun mastère spécialisé n’est, à ce jour, centré sur ce sujet.»
Une perpétuelle adaptation
Défi complexe, l’engouement croissant pour les formations en finance durable – et plus largement pour toutes celles dédiées à la prise en compte des facteurs ESG par les fonctions traditionnelles des entreprises – oblige les établissements à réaliser des arbitrages complexes pour la constitution de leur corps professoral. «Notre ambition est de proposer aux financiers de demain des solutions concrètes pour mettre en œuvre la transition énergétique de leurs entreprises, condition sine qua non pour éviter l’écueil du greenwashing, procédé qui consiste à véhiculer une image éco-responsable trompeuse, insiste Christophe Thibierge. Aussi attendons-nous de nos intervenants qu’ils soient capables de repenser les concepts financiers traditionnels de risques et de rentabilité, et qu’ils se soient frottés concrètement à des dispositifs et acteurs de l’écosystème.» Suivant cette logique, le groupe d’enseignants mobilisés par la nouvelle formation de l’ESCP devrait être constitué aux deux tiers de professeurs de finance et de chercheurs ayant adopté très tôt un prisme social ou environnemental, et d’un tiers de financiers de terrain ayant, par exemple, supervisé des émissions de dette durable, encadré des audits d’infrastructures à forte empreinte carbone, produit des rapports intégrés ou mis en place des dispositifs de prévention du risque environnemental.
La nécessité de faire appel à des spécialistes de pointe se fait d’autant plus ressentir que les réglementations ou cadres normatifs de la finance durable évoluent perpétuellement, qu’ils peuvent être sujets à interprétations et qu’ils diffèrent souvent considérablement d’un pays à l’autre. «En matière de reporting extra-financier, par exemple, le champ demeure assez ouvert malgré l’évolution récente de la réglementation et la création de la déclaration de performance extra-financière, illustre Christophe Thibierge. Il en va de même des financements de marché ou bancaires durables, dont la mise en œuvre relève aujourd’hui davantage de pratiques de marché que de véritables contraintes juridiques.» Et ces fluctuations ne devraient pas cesser à court terme : l’entrée en vigueur prochaine de la taxonomie européenne des activités durables promet d’ores et déjà de nouveaux changements, auxquels les formateurs devront s’adapter.
Se former par l’experience
l Alors qu’un nombre croissant de financiers d’entreprises se familiarisent avec la finance durable par le biais de formations continues délivrées par de grandes écoles, l’apprentissage revêt encore un caractère empirique pour beaucoup d’entre eux. «Nos équipes se forment en traitant chaque jour de nouvelles problématiques, qu’il s’agisse de l’émission d’un green bond ou de la participation à la production de nos reportings extra-financiers, confirme Charles-Antoine Blanc, directeur financier de Paprec. De plus, la direction financière travaille de concert avec le département développement durable du groupe, qui constituent des relais d’information très importants et réalisent des veilles réglementaires sur beaucoup de sujets transverses.»