Les chefs d’entreprise sont en première ligne pour assurer la protection de leurs salariés face au risque de contamination du Coronavirus. Ils sont, en effet, tenus à des obligations de sécurité inscrites dans le Code du travail, dont le non-respect pourrait leur coûter cher en dommages et intérêts.
En 2020, prendre un avion est devenu suspect, comme un éminent avocat fiscaliste parisien vient d’en faire tout récemment l’expérience. En voyage dans une zone géographique pourtant non contaminée par le virus Covid-19 (ou coronavirus), ce dernier a dû récupérer une correspondance à l’aéroport de Milan pour regagner Paris. En parfaite santé jusqu’à présent, il est, depuis son retour sur le sol français, placé en quarantaine, à la demande de l’université où il est maître de conférences. Un éloignement qu’il a également décidé de s’imposer vis-à-vis de son cabinet afin de protéger ses confrères, ses collaborateurs et les clients pour lesquels il travaille. «Le simple fait d’avoir pris l’avion m’oblige à respecter des règles de sécurité, mais mon isolement est aussi une question de responsabilité personnelle», confie-t-il. Cette situation est sans précédent : l’épidémie H5N1 ou grippe A (aviaire) de 2008 n’avait pas modifié la vie courante des entreprises, pas plus d’ailleurs que la grippe saisonnière, qui fait 60 000 morts par an en Europe, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Des niveaux différents de protection
Il faut dire que dans ce genre de situation sanitaire exceptionnelle, un certain nombre d’obligations contenues dans le Code du travail pèsent sur les chefs d’entreprise pour assurer la sécurité des salariés et prévenir les risques professionnels. «Ces devoirs concernent les employés mais aussi les prestataires de services, les partenaires, les clients, précise Sophie Marinier, avocate associée au cabinet LPA-CGR. Ils s’appliquent à toutes les entreprises, quel que soit leur secteur d’activité. En revanche, les mesures de sécurité à mettre en œuvre diffèrent selon le stade d’exposition au virus des salariés.»
D’abord, si la société ne compte aucun employé contaminé ou à risque, le dirigeant doit a minima prendre des mesures d’information des salariés : il doit préciser les bons gestes d’hygiène à adopter, les inviter à différer leurs déplacements professionnels dans des zones déclarées comme dangereuses d’un point de vue sanitaire, suivre quotidiennement les éléments de sécurité et de prévention fournis par les pouvoirs publics. «Ces mesures passent aussi, par exemple, par la mise à disposition de solutions hydro-alcooliques dans les salles de réunion, les toilettes et autres lieux d’hygiène des salariés, indique Sophie Marinier. La distribution de masques de protection n’est en revanche pas nécessaire à ce stade.»
Deuxième cas de figure, si une entreprise compte parmi ses effectifs une ou plusieurs personnes porteuses du virus et identifiées comme telles, le dirigeant est tenu à des obligations de protection plus importantes. Il doit organiser des modes de travail alternatifs comme le télétravail, afin d’éviter tout déplacement. «Il faut privilégier les vidéoconférences pour les réunions avec les équipes ou les clients qui sont nécessaires au maintien de l’activité de la société», conseille Sophie Marinier. Des mises en quarantaine ou l’isolement professionnel à domicile de certains employés, y compris ceux dont un enfant peut être porteur du virus, doivent également être imposées par le chef d’entreprise. De même, ce dernier a parfaitement le droit d’obliger ses salariés à prendre des congés payés ou, si ceux-ci sont déjà posés, d’en changer la date.
Une possibilité de chômage technique
Enfin, si lorsqu’une entreprise est largement impactée par le coronavirus et qu’elle est menacée de contamination généralisée, le chef d’entreprise peut recourir, par souci de protection, à l’activité partielle et placer ses effectifs en situation de chômage technique.
Une attitude non responsable, même en cas de faible menace de contamination, et le non-respect de ces différentes obligations de sécurité du salarié imposées par le Code du travail peuvent coûter cher au chef d’entreprise. «Si le lien de causalité entre la contamination d’un salarié et son lieu de travail est démontré, la faute inexcusable de l’employeur pour manquement aux règles de protection des salariés et la maladie professionnelle pourraient être invoquées pour le versement de dommages et intérêts au malade», prévient Sophie Marinier.
Toutefois, il semblerait que beaucoup d’entreprises aient pris très tôt conscience de l’ampleur de la menace du coronavirus sur leurs effectifs. «Certaines ont même anticipé plus rapidement que les pouvoirs publics, parfois bien avant l’arrivée du coronavirus en Italie, les dangers d’une propagation du virus en mettant en œuvre des mesures de prévention et de sécurité des salariés, confie un avocat fiscaliste. Toutes savent à présent qu’elles risquent de basculer dans une période difficile et que, en cas de réelle propagation de l’épidémie, le fait de l’avoir anticipée leur permettra d’affronter plus facilement cette crise sanitaire.»
Depuis l’annonce de l’épidémie à la mi-janvier, de véritables cellules de crise en interne ont été mises en place avec des relais en région ou dans les différents pays où les entreprises sont présentes. «Compte tenu de la propagation du Covid-19 dans un certain nombre de pays, nous nous coordonnons à l’échelle mondiale pour assurer la continuité de nos activités», explique-t-on chez BNP Paribas.
Des entreprises proactives
Des plans anti-pandémie afin de soutenir et protéger les employés ou les clients ont également été lancés. «Nos différentes entités ont mis en place des systèmes de sécurité en adéquation avec les recommandations locales et en lien avec les autorités sanitaires des zones concernées, explique-t-on chez Accor. Les mesures de nettoyage sont renforcées dans nos hôtels, notamment dans les régions confinées. Nous avons disposé des affiches d’information à destination des collaborateurs et des clients, acquis des gels hydro-alcooliques et des masques de protection. Nous allons même parfois au-delà : en Indonésie, par exemple, des contrôles de température sont réalisés dans nos hôtels auprès des clients et des employés.» De plus, à titre de précaution, la plupart des entreprises ont annulé tous les voyages professionnels à destination de la Chine, de l’Asie et des pays d’Europe touchés par le coronavirus, comme l’Italie du Nord, avec approbation directe du comex au sein des groupes. «Les réunions internes ou de convention en Asie ou en Italie ont toutes été reportées ou réalisées en vidéoconférence, précise-t-on chez Sodexo. Les outils bureautiques mis à la disposition des salariés permettent d’ailleurs d’inciter les collaborateurs à privilégier les réunions à distance et le télétravail afin de limiter les déplacements.»
De même, les collaborateurs ayant voyagé en Asie ou dans une zone contaminée sont invités à informer leur manager et placés parfois en quarantaine avec une possibilité de télétravail pendant quatorze jours (période d’incubation du virus). Les dispositifs événementiels sont également adaptés. «Des mesures additionnelles spécifiques peuvent être appliquées localement, si des dispositions plus strictes ont été prises par les autorités gouvernementales des pays dans lesquels la banque opère», prévient la Société Générale.
Pour l’heure, les entreprises continuent de suivre au jour le jour les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). En espérant ne pas devoir renvoyer tous leurs salariés chez eux…
Des voyages d’affaires annulés
l Le Covid-19 a de fortes conséquences sur les voyages d’affaires. «Sur nos 250 clients entreprises en France, la moitié ont annulé tous leurs voyages dans les destinations à risque indiquées par l’OMS (Chine, Corée du Sud, Singapour, Italie du Nord, et Iran), et la seconde moitié a choisi de procéder à des annulations au cas par cas, indique Stéphane Lormant, directeur commercial FCM Travel Solutions France et Suisse. Deux clients ont été plus précautionneux et ont demandé à leurs salariés de limiter l’ensemble de leurs voyages En conséquence, notre volume d’affaires en France a diminué de 17 % cette semaine (du 2 mars).»
l Un coup dur pour les professionnels du secteur, mais aussi pour les entreprises clientes. Plusieurs d’entre elles ont en effet perdu les frais de voyage qu’elles avaient avancés. «Nous proposons plusieurs assurances voyage, mais la plupart ne couvrent pas les annulations dans ce genre de situation, prévient Stéphane Lormant. Les entreprises doivent s’adresser à la compagnie aérienne auprès de laquelle elles ont acheté leurs billets. Plusieurs d’entre elles proposent des conditions de report. Air France, par exemple, propose le report ou l’annulation sans frais de tous ses billets entre le 3 mars et le 31 mai. Du côté des réservations hôtelières, seules les entreprises qui ont prépayé leurs nuitées (environ la moitié des cas) subiront un dommage, car elles ne pourront pas être remboursées.»