Au cours des dernières semaines, plusieurs banques ont annoncé des suppressions de postes au sein de leurs activités de financement et d’investissement (BFI). Motivées par des facteurs tant conjoncturels et structurels, ces décisions ne sont toutefois pas synonymes d’arrêt des embauches.
Vents mauvais au sein des banques de financement et d’investissement (BFI) françaises. Le mois dernier, Société Générale confirmait sa décision de supprimer 1 600 postes dans le monde, dont quelque 1 200 dans sa seule BFI. Le Crédit Agricole, qui a indiqué devoir «réduire les coûts de sa BFI», devrait également procéder à un ajustement de ses effectifs, dans une ampleur toutefois moindre. Chez BNP Paribas CIB, enfin, les recrutements en France sont pour le moment purement et simplement gelés. Autant d’annonces qui interviennent après un exercice 2018 difficile sur le front des revenus. Si le regain de volatilité s’était traduit l’an dernier par l’annulation de nombreuses opérations sur les marchés de capitaux, et donc par un manque à gagner en termes de commissions pour les BFI, il ne s’agit pas là de l’unique raison. En raison notamment de coûts fixes élevés, les BFI (et les banques de manière plus générale) européennes affichent en effet une rentabilité moyenne plus faible que celle de leurs homologues américaines.
Des chasseurs de têtes toujours très sollicités
Si on ajoute à cela des contraintes réglementaires de plus en plus fortes impliquant une allocation plus optimale de leurs fonds propres, les établissements du Vieux Continent se retrouvent dans l’obligation de revoir leurs ambitions dans certains métiers, voire de cesser des activités, afin de mobiliser l’essentiel des forces en présence sur les segments de marché dans lesquels ils disposent d’avantages compétitifs et/ou ils dégagent une meilleure profitabilité. Outre la cessation des activités de trading pour compte propre chez BNP Paribas et Société Générale, la Banque de la Défense a par exemple choisi de mettre fin à son activité de matières premières de gré à gré, tandis que la banque de la rue d’Antin envisage de faire de même pour ses opérations de dérivés sur matières premières aujourd’hui réalisées depuis les Etats-Unis. Sans tenir compte des décisions à venir, l’effet sur les portefeuilles des BFI est d’ores et déjà substantiel. «L’an dernier, les encours pondérés par le risque (RWA) de l’ensemble des banques de financement et d’investissement françaises ont diminué d’environ 8 milliards d’euros, ce qui représente une baisse importante», pointe Frédéric Aymonier, cofondateur du cabinet de recrutement spécialisé Fitch Bennett Partners.
Dans ce contexte, faut-il s’attendre à une baisse drastique et généralisée des effectifs au sein des BFI ? Pas si sûr. A en croire les chasseurs de têtes, la dynamique resterait en effet positive en termes d’embauches. «Même si nous n’observons pas d’accélération du nombre de recrutements, ceux-ci se poursuivent à un rythme soutenu», assure Guilhem Jeannin, practice manager de la division Banque & Services Financiers chez Michael Page. «Certes, le volume de mandats reçus se stabilise, mais il convient de rappeler que les années 2017 et 2018 avaient été extrêmement actives en la matière», insiste pour sa part Frédéric Aymonier. Hormis BNP Paribas CIB, les autres BFI hexagonales continueraient ainsi de recruter. «La BFI reste, encore aujourd’hui, la voie dorée tant pour les jeunes diplômés que pour les banquiers», avance même Frédéric Aymonier. Dans la période actuelle, plusieurs métiers tirent leur épingle du jeu. Comme c’est le cas depuis plusieurs années déjà, les profils experts en conformité (compliance) demeurent très recherchés. «Il en va de même de ceux opérant dans les métiers du cash management et du financement, souligne Guilhem Jeannin. Alors que les banques et leurs BFI sont engagées dans leur transformation digitale, les collaborateurs disposant de compétences en IT sont eux aussi plébiscités», avec notamment pour objectif d’améliorer le «parcours client».
L’appel d’air du Brexit
Les profils financiers très expérimentés profitent également de deux facteurs favorables. Le premier tient à la vigueur du marché du non-coté. En raison de l’abondance de liquidités détenues par les fonds de capital-investissement, de nombreuses transactions LBO sont arrangées en Europe. Avec, à la clé, des revenus significatifs pour les BFI.
«Jusqu’à deux tiers des commissions que certaines banques perçoivent pour leur intervention sur des opérations de fusions-acquisitions proviennent du monde du private equity,note Florence Soulé de Lafont, associée chez Heidrick & Struggles. Les banques veulent donc profiter au maximum de cette manne et, pour ce faire, cherchent à attirer des spécialistes chargés de couvrir la clientèle des fonds (financial sponsors coverage). Les candidats idoines ont généralement une dizaine d’années d’expérience au minimum.» Le second facteur tient au Brexit. Certes, la plupart des BFI ont dernièrement ralenti le rythme des relocalisations de postes du Royaume-Uni vers les pays d’Europe continentale, dont la France, le temps d’en savoir plus sur le calendrier précis et les tenants et aboutissements concrets du retrait britannique de l’Union européenne. Pour autant, l’appel d’air est réel. «Les banques étrangères, pour l’essentiel les étrangères, sont confrontées à l’obligation de recruter pour pallier le refus de certains de leur collaborateurs basés à Londres de déménager à Paris», mentionne Florence Soulé de Lafont.
Pas d’inflexion sur les salaires
La demande restant forte côté employeur, les annonces relatives aux suppressions de postes à venir n’ont, pour l’instant, aucune incidence sur les rémunérations versées. «La concurrence pour attirer les talents est telle que nous ne percevons à ce stade d’inflexion à la baisse ni sur la part fixe ni sur la part variable offerte», indique Frédéric Aymonier. Pour les profils plus expérimentés, il n’est pas rare au contraire que le déficit de candidats se traduise par une évolution à la hausse. «Dans le cadre de plusieurs recrutements récents, le salaire fixe a fait l’objet d’une majoration de quelques pourcents, sans que cela n’aboutisse à une révision de l’enveloppe variable, témoigne Florence Soulé de Lafont. Dans les métiers de la BFI, j’avais rarement vu cela depuis de nombreuses années !» La période a beau être moins faste pour les banquiers de BFI, il leur reste encore quelques motifs de consolation.
Avantage aux candidates
- Alors que le nombre de mandats confiés aux cabinets de recrutement pour pourvoir des postes vacants au sein des BFI tend à rester important, un critère semble se détacher dans les demandes des banques. «Quelle que soit la fonction concernée, ces dernières privilégient l’embauche de femmes, signale Florence Soulé de Lafont, associée chez Heidrick & Struggles. Ainsi, à compétences égales entre un candidat et une candidate, celle-ci a aujourd’hui davantage de chances d’être recrutée.» Un constat confirmé par d’autres chasseurs de têtes et qui s’applique tout particulièrement aux postes de management.
- En matière de parité sur cette catégorie de postes, du chemin reste à accomplir. Selon l’association Financi’Elles, 55 % des salariés du monde de la banque-finance sont des femmes, mais 30 % seulement occupent une fonction de cadre de direction.