Bien que les banques fassent partie des principaux employeurs en France, leurs effectifs ne cessent de diminuer depuis 2011. Une tendance qui n’empêche toutefois pas les établissements de continuer de recruter. En raison de l’évolution des métiers bancaires, leurs besoins sont de plus en plus tournés versle digital et la conformité, au détriment d’autres fonctions plus classiques.
Sale temps pour les banques européennes sur le front de l’emploi. Entre Deutsche Bank qui a indiqué mi-juillet vouloir supprimer 18 000 emplois d’ici à 2022 et Unicredit qui envisagerait de réduire ses effectifs de 10 000 personnes, la période estivale aura été particulièrement morose. Bien qu’aucun plan d’une aussi forte ampleur n’ait été annoncé par les banques présentes en France, leurs salariés ne sont pas épargnés par cette tendance. Depuis 2011, une baisse tendancielle de 1 % de leurs effectifs est constatée chaque année par la Fédération bancaire française (FBF). Cette tendance interpelle d’autant plus que les banques constituent l’un des principaux acteurs du marché de l’emploi français, avec 368 800 salariés.
Les activités de financement et d’investissement épinglées
Certes, les départs en retraite non remplacés expliquent en partie ce phénomène (voir camembert). De plus, les établissements bancaires subissent, comme dans de nombreuses autres activités mais peut-être de façon encore plus forte, la moindre fidélité de leurs salariés.
«Auparavant, les employés des banques restaient de nombreuses années, voire toute leur carrière, dans la même banque, profitant ainsi des possibilités d’évolution offertes dans leur groupe, rappelle Frederic Hatsadourian, responsable de la partie banque de détail chez Robert Walters. Mais désormais, comme dans de nombreux autres secteurs, les salariés sont de plus en plus mobiles et n’hésitent pas à quitter la banque pour une autre structure, qu’il s’agisse d’un autre établissement bancaire ou d’un secteur différent.» D’après l’Association française des banques (AFB), qui ne tient pas compte des banques mutualistes, les moins de 40 ans ont concentré plus de la moitié des départs en 2018.
Mais cet argument n’est la seule explication à ces nombreux départs. Les banques font face à une grande période de transition. Le développement des services sur Internet et l’automatisation des tâches ont réduit les besoins de certains services. De plus, les banques pâtissent d’une inflation de coûts, liée aux contraintes réglementaires en matière de fonds propres particulièrement fortes et voient également leurs revenus mis à mal par la faiblesse des taux d’intérêt.
Certains métiers ont plus pâti que d’autres de ces paramètres. «En banque de détail et en banque d’investissement, les fonctions de middle et back-office ont été parmi les plus touchées, relève Delphine Charbonneau, directrice banque et organismes spécialisés chez Fed Finance. Plusieurs banques ont délocalisé une partie de ces fonctions à l’étranger.» Certains métiers ont même quasiment disparu. «En finance de marché, l’automatisation de certaines tâches, associée à une réglementation plus stricte du trading, a réduit le nombre des effectifs présents dans les salles de marché, souligne Florence Ropion, senior manager en investment banking chez Robert Walters. Alors qu’auparavant les traders avaient une quarantaine de carnets d’ordres chacun, ils n’en ont plus que cinq ou six.»
Face à cette situation, plusieurs banques ont ainsi récemment officialisé la mise en place de plan de départs. BNP Paribas, qui avait lancé en 2016 un plan de départ volontaire afin de supprimer environ 675 postes pour son pôle Corporate investment banking (CIB), a annoncé en début d’année la fermeture de son activité de trading pour compte propre, Opera trading. Début avril, c’était au tour du groupe Société Générale de révéler vouloir se séparer d’environ 1 600 salariés dont 750 en France, principalement au sein de l’activité de banque de financement et d’investissement.
Une culture du groupe
Néanmoins, tout le secteur n’a pas été affecté aussi fortement par le contexte économique et technologique. «Certes, les départs sont plus nombreux que les arrivées, mais malgré tout il n’y a rien d’alarmant, insiste Delphine Charbonneau. Nous continuons de recevoir de nombreuses offres d’emploi de la part des banques et le secteur attire toujours les candidats.» Globalement, les recrutements au sein des établissements bancaires sont même de plus en plus importants. Selon les chiffres de l’AFB, ils ont progressé de 6 % en 2018. Il est vrai que si les banques ont moins embauché de candidats de moins de 30 ans en 2018, elles restent tout de même un fort vivier d’emplois pour les jeunes diplômés. «C’est dans l’ADN des banques de recruter des jeunes, de les former, de leur apprendre la culture de leur établissement et de les faire évoluer au sein de leur groupe pour leur apprendre différents métiers, explique Florence Ropion. La banque continue d’attirer les jeunes : ces dernières années, le nombre de candidatures pour des stages ou des volontariats internationaux en entreprise (VIE) était en hausse.»
Ensuite, certains établissements ont également réussi à tirer leur épingle du jeu.
«Contrairement à d’autres banques françaises, CA CIB n’a pas eu pour stratégie de délocaliser beaucoup de ses activités et a maintenu ses effectifs en France, relève Karine Favreau, directrice associée finance de marché chez Fed Finance.De plus, la banque, qui a une forte activité en matière de financements structurés, a bénéficié des nombreux deals remportés auprès de ses clients pour recruter de nombreux collaborateurs. Par ailleurs, les banques de financement et d’investissement étrangères recrutent toujours beaucoup en France. Enfin, sous l’effet du Brexit, beaucoup de banques étrangères ont recruté en France pour gonfler leurs effectifs afin de mieux répondre à la demande des clients et de rester dans l’Europe.» Par ailleurs, de nombreux métiers recrutent toujours en permanence. «Les postes en front : conseillers, chargés de clientèle ou chargés d’affaires notamment, représentent toujours une forte partie des recrutements dans les banques», précise Delphine Charbonneau. En 2018, ils ont en effet constitué 32 % des recrutements, contre 30,4 % en 2014.
De nouveaux métiers
Enfin, de nouveaux métiers émergent. «Alors que les métiers réglementaires étaient très rares au sein des banques il y a dix ans, leurs contraintes grandissantes en matière de gestion des risques ont abouti à la création de nouveaux postes dans le domaine de la conformité (compliance officer, chargé de la lutte anti-blanchiment, responsable du contrôle permanent, etc.)», remarque Frederic Hatsadourian. Selon les chiffres de l’AFB, les métiers de la conformité et des risques ont concentré 10 % des embauches en 2018. Et ce n’est pas le seul domaine où la demande des banques en candidats a crû. «L’évolution de la réglementation comptable a renforcé ces dernières années les besoins sur les métiers de spécialiste des normes comptables (IFRS 9 notamment), chargés de la veille réglementaire sur le sujet, ainsi que dans l’intégration des normes dans les comptes des banques», témoigne Frederic Hatsadourian. De plus, si la digitalisation des banques a remis en cause certaines professions bancaires, elle a aussi fait naître l’émergence de nouveaux besoins et de nouvelles fonctions. Selon l’AFB, les métiers de l’informatique ont représenté 16 % de l’ensemble des recrutements bancaires, soit une hausse de 5 points en deux ans. Dans ce domaine, c’est le métier de data scientist qui a le plus bénéficié de cette tendance. «Ils travaillent surtout sur la collecte des données des clients, afin de faire évoluer les produits bancaires», précise Delphine Charbonneau.
Sur ces métiers particulièrement prisés, les banques ont même parfois du mal à trouver des candidats. «En particulier sur les métiers de la conformité, le marché est particulièrement tendu car tous les établissements cherchent les mêmes profils expérimentés, observe Karine Favreau. Or comme plusieurs spécialités se sont développées ces dernières années et n’existaient pas auparavant, ce type de professionnels est très rare actuellement.» Une situation qui devrait maintenir les salaires à la hausse sur plusieurs postes. Selon l’étude de Pagegroup sur les rémunérations 2020, la plupart des métiers sur la banque de réseau verront en effet leurs salaires croître l’an prochain. Les rémunérations dans la banque de marché devaient rester stables.
De nouvelles structures qui recrutent
Ces dernières années, le secteur bancaire a également été chamboulé par l’entrée de nouveaux acteurs. D’une part, le développement des banques en ligne auprès des particuliers les a rendues particulièrement actives sur le marché de l’emploi. «Depuis deux à trois ans, on observe une réelle transformation de certaines activités, notamment avec l’essor des services de relation clientèle à distance, souligne Delphine Charbonneau, directrice banque et organismes spécialisés chez Fed Finance. Les banques proposant ces services recherchent activement de nombreux spécialistes qui ont une expérience dans ce domaine.»
D’autre part, les fintechs sont en train de modifier le marché de l’emploi bancaire. «Les meilleurs éléments des grandes écoles et des universités sont de plus en plus intéressés par le côté entrepreneurial du travail dans les fintechs, et délaissent de ce fait les banques plus traditionnelles», remarque Florence Ropion, senior manager en investment banking chez Robert Walters. Dans ces start-ups de la finance, les profils recherchés diffèrent en revanche quelque peu de ceux sollicités par les banques. «Les fintechs recrutent plus des ingénieurs spécialistes de l’informatique ou des données que des financiers purs», constate Delphine Charbonneau.