Organisation

Optimiser son fonctionnement, un défi pour la direction financière

Publié le 21 novembre 2014 à 11h48    Mis à jour le 8 décembre 2014 à 9h55

Morgane Remy

Avec la crise, les directions financières ont gagné en importance, notamment dans l’accompagnement des opérationnels. Dans un contexte global de réduction des coûts, elles se doivent en contrepartie d’être irréprochables. Cette nécessité amène de nombreux directeurs financiers à devoir optimiser le fonctionnement de leur département, un projet ambitieux sur le plan technique et humain.

«Notre siège nous a signalé que nous n'étions pas assez efficaces par rapport aux autres entités du groupe. Nous avons donc dû nous ressaisir !» François-Xavier Ribiollet, directeur financier Europe de business unit au sein d’un groupe pharmaceutique américain, n’est pas le seul à avoir vécu une telle expérience. Beaucoup de directeurs financiers doivent aujourd’hui plancher sur l’optimisation de leur propre direction. Le plus souvent cette évolution devient nécessaire dans le cadre d’un programme d’optimisation à l’échelle du groupe. Non seulement la direction financière encadre ce projet, mais elle doit également participer à l’effort général ! En effet, elle se doit d’être exemplaire elle-même. «Souvent, les opérationnels sont sollicités en amont, surtout dans le milieu industriel, puis la direction financière doit ensuite s’aligner», explique Katia Ruet, associée conseil transformation fonction finance chez Deloitte. Il arrive également que la direction financière d’une filiale soit épinglée par la direction générale ou la direction financière du groupe car ses coûts de fonctionnement sont trop significatifs.

En dehors de cette pression hiérarchique, la direction financière peut aussi ressentir le besoin de s’adapter aux nouvelles demandes de la direction. «Alors que notre entreprise était en croissance, les comptables comme les contrôleurs de gestion passaient trop de temps à produire les chiffres, mais manquaient de temps pour analyser et être sur le terrain pour accompagner la croissance, a constaté Marc Schneersohn, ancien directeur financier de La Centrale.fr. J’ai donc souhaité mettre en place un plan d’amélioration de la direction financière pour que cette dernière participe à ce développement.»

A contrario, le besoin peut également naître d’une volonté de visibilité dans une période difficile. Dans un contexte conjoncturel incertain, le comité de direction souhaite en effet avoir facilement accès aux éléments chiffrés afin de prendre des décisions rapidement. «Or, il arrive encore trop souvent que certaines directions financières, travaillant principalement sur Excel pour la production des tableaux de bord et l’élaboration des budgets et forecast, aient besoin de plusieurs heures pour traiter les données et sortir des chiffres exploitables, précise Ariel Smadja, fondateur et dirigeant de Fuseo, cabinet spécialisé dans l’optimisation de la direction financière. Ce décalage entre les besoins légitimes et les outils à disposition est stressant pour l’opérationnel et très frustant pour l’équipe financière sollicitée.»

Ainsi, pour gagner en efficacité, le directeur financier se fait alors souvent un devoir de restructurer ses équipes, revoir les process, automatiser, externaliser… En bref, de repenser toute l’organisation de sa direction financière ! Ce chantier prend non seulement des années mais l’avenir professionnel du directeur financier est alors souvent en jeu.

Etablir un diagnostic précis

La première étape consiste alors à établir un diagnostic, afin de trouver où se situent les dysfonctionnements et les marges d’amélioration. Dans cette situation, le «benchmark» est souvent utilisé. «Nous avons comparé le coût de chaque direction financière de nos différentes sociétés clientes, témoigne Jean-Michel Demaison, associé conseil finance transformation chez Deloitte. A partir de là, nous avons établi des statistiques, comme le coût médian ou le coût moyen par quartile. Il ressort que le coût moyen propre aux 25 % de directions financières les moins onéreuses s’établit à 0,7 % du chiffre d’affaires global groupe. En comparant leur propre coût avec ce niveau, les autres directions financières peuvent jauger de leur marge d’amélioration.» Les directions financières qui en sont loin peuvent alors prendre conscience du travail à accomplir. Cette méthode est également utilisée au sein des grands groupes, qui comparent l’efficacité de leurs différentes entités. «Notre société a comparé le coût et la productivité de la fonction finance avec d’autres sociétés de taille équivalente dans des domaines d’activité similaires et nous avons constaté que nous étions chers, témoigne François-Xavier Ribiollet. Nous avons donc entrepris de revoir complètement notre organisation et nos process pour nous rapprocher de la moyenne.»

Outre cette technique de comparaison, le diagnostic reste une démarche qualitative et prend à ce titre plusieurs mois, car il faut étudier chacun des processus. Les cabinets de conseil étudient alors particulièrement le contrôle de gestion et la comptabilité transactionnelle. «Par exemple, nous regardons systématiquement le processus de reporting et de production des indicateurs de performance, explique Katia Ruet. Nous pouvons aisément limiter le nombre de reporting et cibler les principaux indicateurs financiers les plus pertinents, permettant ainsi d’obtenir des gains tangibles en termes d’efficacité.» De manière plus «artisanale», des directeurs financiers peuvent aussi partir d’une intuition personnelle et remettre à plat, avec leurs équipes, les processus qui posent soucis. Par exemple, la direction financière de La Centrale.fr passait beaucoup de temps à corriger les chiffres qui étaient collectés sans homogénéité, plutôt que d’accompagner les opérationnels. En étudiant la situation, le directeur financier a compris la faiblesse de l’organisation. «Nous n’avions simplement pas les bons outils informatiques, comme un ERP qui permette de collecter les informations de manière homogène et sécurisée», se rappelle Marc Schneersohn.

Mettre en place les mesures correctrices

Une fois le diagnostic clairement établi, le groupe doit ensuite établir sa ligne de conduite. La première étape revient souvent à simplifier les process, en évitant des actes administratifs chronophages et peu utiles. «Le diagnostic a révélé que nous passions beaucoup de temps sur nos prévisions budgétaires trimestrielles, car nous demandions à chacune de nos sept business unit de revoir leur budget par produits et par pays, témoigne François-Xavier Ribiollet. Nous avons donc décidé de demander aux directeurs financiers de business units de recalculer leur prévision uniquement s’ils anticipaient des différences significatives, afin de gagner du temps et de raisonner par exception.»

Ensuite, la direction financière doit automatiser au maximum les tâches de production de chiffres et de comptabilité simple. Dans cette démarche d’automatisation, le poste client est souvent le premier concerné. «Notre principal problème était les impayés clients, témoigne Marc Schneersohn. Nous avons donc automatisé certaines tâches : quand un client atteint un seuil en termes de jours de retard de paiement, notre module de recouvrement lui bloque ses commandes. Quand il récidive, il est coincé juste après l’échéance.» Un autre logiciel permet de dématérialiser les relances et les factures sortantes, ce qui représente un gain de 4 jours de travail pour 6 personnes. En effet, La Centrale.fr devait gérer pas moins de 10 000 factures par mois et les envoyer par La Poste. Sur ce projet, nous avons eu un retour sur investissement à moins de 6 mois et le délai de règlement clients (DSO) a ainsi été réduit de 25 jours.

Parfois, une troisième étape est prévue avec la création d’un centre de services partagés (CSP, voir encadré). En effet, la centralisation vient souvent après l’automatisation de certaines tâches. «Dans mon groupe, les contrôleurs de gestion passaient énormément de temps à faire les reportings à destination des opérationnels, comme celui des ventes pour les commerciaux, puis à gérer des listes d’envoi de mails, poursuit François-Xavier Ribiollet. Nous avons donc transféré cette activité de production et de distribution de reporting à un centre de services partagé.» Aujourd’hui, les contrôleurs de gestion se focalisent plus sur l’analyse des données et non leur production. Ce mouvement, qui a d’abord concerné de grands groupes, s’élargit désormais à de plus en plus d’entreprises, y compris celles de tailles intermédiaires. Cette démarche permet en effet de faire un véritable saut en termes d’efficacité. «Si l’automatisation des tâches redondantes de la direction financière – comme la paie, la comptabilité clients et fournisseurs – rapporte des gains de 10 %, la consolidation en CSP permet d’obtenir des gains supplémentaires d’environ 20 % si les centres sont situés en France, et plus encore s’ils sont implantés en Europe de l’Est ou en Asie», précise Jean-Michel Demaison. La délocalisation du CSP est alors souvent la dernière étape de l’optimisation… mais pas la fin des efforts de la direction financière. Cette dernière doit ensuite rester vigilante et mener des opérations d’amélioration continue visant à conserver – voire améliorer encore – sa propre efficacité.

Gérer finement les ressources humaines

Mais au-delà des systèmes, ce chantier d’optimisation pose, quelles que soient les solutions mises en place, des questions humaines. Cela concerne d’abord l’adaptation aux nouveaux outils. 

«Nous avons mis en place une comptabilité analytique, mais les comptables ont eu des difficultés à se l’approprier et faisaient au départ beaucoup d’erreurs, témoigne Marc Schneersohn. Nous avons donc dû les accompagner et les former.» Pour lutter contre cette difficulté, la direction financière a modifié le logiciel afin que ces derniers soient obligés de remplir tous les champs nécessaires à la production de la comptabilité analytique, comme le chiffre d’affaires ou des provisions par produit ou par région, par exemple.

Cet exemple est loin d’être isolé puisque le directeur financier doit souvent lutter contre les réticences de ses propres équipes. Cette gestion du changement est souvent ce qui est le plus chronophage pour ce dernier. «Dans le cadre de mon projet d’optimisation sous l’angle du besoin en fonds de roulement client – avec la création d’un poste de crédit management, la remise à plat d’une politique d’achat, le développement d’un reporting créances clients… –, la principale difficulté a été de remporter l’adhésion de mes équipes et de leur expliquer l’utilité d’une telle mutation, témoigne Cécile Garcia, directrice financière au sein de Nouveau Monde DDB Lyon, filiale du groupe américain Omnicom. J’ai passé beaucoup de temps à faire de la pédagogie.»

La pédagogie est certes centrale, mais des choix de management plus drastiques doivent également être pris. «Il n’est pas exclu que des formations et réorganisations soient envisagées puisque nous cherchons à avoir une adéquation, qualitative et quantitative, des ressources avec les besoins de chaque service», poursuit Ariel Smadja. En parallèle, des opportunités se créent. «Nous sommes passés de 18 à 13 personnes en sept ans à la direction financière, ce qui demande aux collaborateurs de monter en compétence, témoigne Marc Schneersohn. Cela a demandé de gagner en efficacité, mais ces derniers sont aujourd’hui plus satisfaits car ils apportent de la valeur ajoutée aux opérationnels et sont reconnus. La direction financière a ainsi joué un rôle crucial, de support, d’analyse et de prévisions, lorsque l’entreprise a changé de business model en devenant pure player Web.» Certains financiers en profitent alors pour faire leurs preuves… et progresser hiérarchiquement dans un deuxième temps.

Intégrer les opérationnels pour réussir la mue de la direction financière

Dans le cadre d’une réorganisation de la direction financière, il n’est pas rare que les opérationnels bloquent certains processus car ils jugent que les reportings ou que les validations de commandes ne sont pas leur priorité. Par exemple, avant de régler un fournisseur, la comptabilité doit attendre que le service ou le produit soit validé à réception. Sans cette validation, la direction financière ne peut pas provisionner le règlement du sous-traitant, puisque cela risquerait de provoquer des erreurs dans les comptes.

Gérer la mise en place d’un centre de services partagés

Pour les plus grandes entreprises, la création d’un centre de services partagés (CSP) est souvent la dernière étape d’optimisation. Celle-ci rapporte souvent trois fois plus de réduction de coût que les autres démarches d’optimisation, voire plus si le CSP est délocalisé en Europe de l’Est ou en Asie.

·       Dans ces cas, il faut remettre à plat les processus destinés aux opérationnels et les rendre à la fois plus simples et obligatoires. Pour cela, l’appui de la direction générale est indispensable. «Si le directeur financier est seul dans la démarche, il lui sera difficile d’obtenir rapidement des résultats, témoigne Ariel Smadja, fondateur et dirigeant du cabinet Fuseo. Il est donc essentiel que la direction générale soutienne le directeur financier et mobilise tous les membres du comité de direction pour mettre l’entreprise en mouvement autour du projet et obtenir des résultats significatifs.» Cette implication est indispensable quand la réforme de la direction financière concerne d’autres métiers. En se positionnant clairement, la direction générale peut ainsi mobiliser toutes les équipes concernées, comme la direction commerciale ou marketing. Par exemple, quand le site La Centrale.fr a automatisé la gestion de ses 10 000 factures mensuelles, ainsi que le blocage des mauvais payeurs, elle a dû le faire en bonne entente avec les commerciaux. «Nous avons ainsi établi avec eux que les mauvais payeurs seraient bloqués et ne pourraient plus commander au bout d’un certain nombre de jours de retard la première fois, et juste après l’échéance la deuxième fois, explique Marc Schneersohn, ex-directeur financier de l’entreprise.Nous devions nous mettre d’accord entre le bon niveau de risque et la flexibilité nécessaire au développement commercial.» De la même façon, Marc Schneersohn a dû travailler avec le directeur des systèmes d’information afin de relier l’ERP et le logiciel d’automatisation d’envoi des factures dématérialisées.

·       Quel que soit le choix entériné, la difficulté consiste toujours à gérer les ressources humaines. En effet, peu de comptables acceptent de travailler dans un CSP, souvent localisé loin de chez eux et avec une organisation très différente. «Nous devons gérer cette situation socialement, reconnaît Jean-Michel Demaison. Souvent, nous devons accompagner 90 % des effectifs afin de leur trouver une solution, ailleurs que dans le CSP.» Le directeur financier doit alors souvent réfléchir aux possibilités de reconversion de ses profils comptables, afin de leur offrir une alternative.

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