Avec le retour de la volatilité, les produits de Bourse ont enregistré un excellent début d’année. Les transactions sont reparties nettement à la hausse. Les émetteurs comme les courtiers en ligne, les plateformes de trading ou les experts envisagent l’avenir avec sérénité. Tous saluent le durcissement de la réglementation, à même de renforcer la confiance des clients, et la mise en place de la nouvelle fiscalité sur les revenus du capital. Tous poursuivent également leurs efforts de pédagogie pour améliorer l’éducation financière des investisseurs français, encore très déficiente.
- Comment se présente l’année 2018 pour les produits de Bourse ? S’inscrit-elle dans la lignée de 2017 ?
- Quel effet le retour de la volatilité et les premiers soubresauts sur les marchés ont-ils eu sur les produits de Bourse et sur le comportement des investisseurs ?
- Quels moyens déployez-vous pour élargir la clientèle française des produits de Bourse ? Et pour séduire les investisseurs professionnels et institutionnels ?
- Quels sont les freins, culturels, financiers, réglementaires, qui restreignent l’essor des produits de Bourse ?
- Quelle incidence aura la «flat tax» sur le développement des produits de Bourse ?
- Quels types de sous-jacents allez-vous lancer de nouveaux produits ?
Comment se présente l’année 2018 pour les produits de Bourse ? S’inscrit-elle dans la lignée de 2017 ?
Aurélien Réquillart, responsable relations investisseurs particuliers pour les produits de Bourse, Société Générale : L’année 2017 a été marquée par une volatilité historiquement basse. C’est d’ailleurs la volatilité la plus basse jamais observée depuis la création du CAC 40 en 1987. Son retour sur les marchés est plutôt une bonne chose pour les produits de Bourse. L’élément le plus notable observé en 2017, et qui se prolonge en ce début d’année, réside dans le transfert des volumes vers les actions au détriment du CAC 40. Les investisseurs font du «stock-picking» en termes de sous-jacents : ils vont chercher des opportunités de trading action par action plutôt que de choisir le marché dans sa globalité, notamment sur les actions françaises.
Guilhem Tranchant, directeur général, CMC Markets France : Chez CMC Markets, nous n’avons pas eu la même problématique. L’année 2017 a surtout été marquée par le changement du cadre réglementaire avec l’adoption de la loi Sapin 2. Elle interdit la publicité, notamment les bannières sur Internet, pour les produits que nous proposons. Certaines pratiques que nous avions mises en place pour acquérir de nouveaux clients ont été remises en cause.
Disposant d’un compte à risque limité, nous avons néanmoins pu continuer à promouvoir certains de nos produits. En termes de conquête de nouveaux clients et d’intérêt pour les CFD, nous n’avons pas subi de lourdes conséquences.
Nous sommes sur des marchés et des produits où la volatilité a un impact immédiat sur les volumes. Néanmoins, nos volumes ont progressé l’an dernier par rapport à 2016. Nos clients ont délaissé les indices européens, CAC 40 et DAX en tête, ainsi que les actions françaises, pour se tourner vers les indices américains, le Dow Jones notamment, qui affichent de plus grosses amplitudes, offrant par là même des opportunités potentielles de gain plus fortes. Cette transition se confirme depuis le début de l’année.
Fabien Keryell, directeur général, Saxo Banque France : Nous avons observé l’an dernier un regain d’intérêt sensible des investisseurs pour les actions. De nombreux clients ont ouvert des comptes titres, et d’autres qui en possédaient un l’ont réactivé. Cet intérêt se porte notamment sur les actions étrangères, américaines et asiatiques.
La volatilité, souvent perçue comme un danger, est source d’opportunités pour les clients si elle est bien appréhendée. La reprise des volumes depuis le début d’année montre bien son impact sur le comportement des clients. Ils se sont remis à investir activement, mais sur des positions plus courtes. Nous avons réalisé au mois de février la plus grosse journée en termes de volumes depuis la création de Saxo Banque.
Il existe de nombreuses incertitudes pour 2018, mais il ne faut pas en exagérer les risques. Beaucoup de cours sont revenus à des niveaux raisonnables et intègrent déjà les mauvaises nouvelles potentielles. Le vrai risque tient à l’évolution du marché lui-même, plutôt qu’à des événements extérieurs.
Marc Dagher, président, DT Expert : La question que tout le monde se pose est de savoir si nous sommes au début d’un retournement ou s’il s’agit d’une correction majeure déjà bien entamée. Le marché teste des supports de résistance importants, et pour l’heure, rien n’indique s’il va les franchir ou non.
Les turpitudes venant de l’aléa Trump font les mouvements de marché. Ce dernier est devenu très irrationnel, il est décorrélé des fondamentaux macroéconomiques, et en proie à des mouvements spéculatifs importants. Comme l’illustre le cas Facebook. Comment en quelques séances peut-on perdre autant de milliards de capitalisation ?
Ce type de marché favorise très nettement le «stock picking», puisqu’il n’y a pas de tendance définie, et à l’intérieur d’un même secteur, les cours peuvent varier de manière opposée d’un titre à un autre.
Le «stock picking» s’adresse à des investisseurs ayant déjà une bonne connaissance des entreprises et du fonctionnement des marchés. Les novices doivent se montrer précautionneux. Il n’est pas rare de voir des investisseurs jouer à l’instinct, ce qui n’est jamais gagnant sur le long terme. Les degrés d’éducation sont très hétéroclites d’un client à l’autre. La cartographie des investisseurs est très large.
Il y a de belles opportunités sur les actions, mais les investisseurs français se sont longtemps focalisés uniquement sur le CAC 40. La particularité de l’épargnant hexagonal tient à ce qu’il est très attaché à la popularité du sous-jacent. Il investit sur ce qu’il connaît. Il a besoin d’être rassuré.
Alexandre Atlani, responsable produits de Bourse, Euronext : Comme l’ont souligné d’autres intervenants, la volatilité des marchés est un des critères les plus importants qui affectent les volumes sur les produits de Bourse. Cette volatilité est bien plus élevée depuis le début de l’année qu’elle ne l’était l’an dernier. La réaction des investisseurs sur les produits de Bourse ne s’est pas fait attendre et les volumes échangés sont en forte hausse. Les pics d’activité observés en janvier et février ont atteint des niveaux qui n’avaient pas été observés depuis près de 12 mois.
On aurait pu craindre que les nouvelles réglementations Mifid 2 et PRIIPs entrées en vigueur en 2018 (qui imposent, entre autres choses, plus de transparence et d’information sur les produits structurés ou dérivés à destination des investisseurs particuliers) aient un effet négatif sur les volumes d’échange. Il semble que cela ne soit pas le cas, car tous les émetteurs et distributeurs étaient prêts à temps pour cette transition.
Quel effet le retour de la volatilité et les premiers soubresauts sur les marchés ont-ils eu sur les produits de Bourse et sur le comportement des investisseurs ?
Aurélien Réquillart : Les produits de Bourse s’adressent à des investisseurs avertis. Il est ainsi primordial pour nous de faire de la pédagogie pour que les investisseurs aient les connaissances nécessaires avant d’investir. Par ailleurs, nous recommandons de n’affecter que 5 % maximum de son portefeuille aux solutions à effet de levier.
Deux stratégies complémentaires ont le vent en poupe. La première consiste en la stratégie de réplication avec l’utilisation d’ETF ou trackers, qui dupliquent l’évolution d’un indice. Leur succès est mondial et auprès de toutes les catégories d’investisseurs. Nous estimons que les encours en France des ETF détenus par les particuliers s’élèvent à 15 % de l’encours total, et nous anticipons que cette proportion va continuer de croître.
Deuxième stratégie, la stratégie de rendement avec des produits de campagne, listés en Bourse, qui permettent de générer de la performance, grâce aux coupons perçus, et qui bénéficient d’une protection du capital à l’échéance si l’indice sous-jacent n’a pas perdu plus de X %. Ces produits étant de plus en plus plébiscités, de nouvelles campagnes verront le jour tout au long de l’année.
Fabien Keryell : Nous observons le même regain d’intérêt des clients pour les ETF. Beaucoup d’entre eux, comme cela a été évoqué, n’ont pas l’éducation financière pour choisir des valeurs individuelles, et ils se tournent vers les ETF qui répliquent des indices globaux comme sectoriels ou régionaux. Ils recherchent avant tout de la clarté et de la simplicité, les caractéristiques des ETF.
La pédagogie et l’information sont très importantes pour les produits à effet de levier. Il ne faut se laisser guider par l’émotion, et vaciller à la moindre baisse des cours.
Le déficit d’éducation constitue un frein à l’investissement en produits de Bourse, qui demande de la discipline, de la rigueur et de l’entraînement. Il faut mettre en place des règles strictes et les respecter en toutes circonstances. C’est pourquoi, parmi nos clients les plus actifs, nous retrouvons beaucoup de chefs d’entreprise, de pilotes de ligne ou des professionnels de la finance, des professions qui exigent de se montrer prudents et qui sont confrontées au quotidien au stress.
Guilhem Tranchant : Nos clients traitent surtout les indices et les devises, et à un degré moindre les grandes actions françaises et américaines.
Beaucoup d’entre eux utilisent les CFD pour couvrir des portefeuilles existants, comptes titres ou autres. Ce ne sont pas des produits d’investissement à moyen ou long terme.
Quand les marchés sont baissiers, les volumes et les flux sur actions progressent un peu. Mais nos volumes se concentrent surtout sur le DAX, l’indice de la première économie d’Europe, puis sur le CAC, et depuis quelque temps, sur les indices et les valeurs technologiques américains au gré de l’actualité. Nos clients s’inscrivent dans des stratégies de court terme, voire de day trading, et agissent selon les événements ponctuels géopolitiques ou de politique monétaire susceptibles d’avoir un impact sur les marchés.
Marc Dagher : Les investisseurs sont perdus quand les marchés baissent. Cela peut paraître, pour certains, déplacé de parier sur le repli de l’économie ou sur les difficultés d’une entreprise, mais sur le plan du rendement de son investissement, les opportunités sont tout aussi nombreuses et attractives dans un marché baissier que haussier.
Les clients pourraient mettre en place des stratégies de couverture intéressantes grâce aux produits existants pour jouer sur plusieurs tableaux à la fois. Mais ils sont peu nombreux à le faire en raison d’un manque d’éducation.
Alexandre Atlani : Les produits de Bourse les plus négociés sont les produits à effet de levier (par opposition aux produits d’investissement) qui permettent d’amplifier, de manière plus ou moins importante, les variations des actifs sous-jacents. Ainsi, si les marchés sont peu volatils, les cours des produits à effet de levier fluctueront peu et leurs détenteurs devront les garder plus longtemps en portefeuille pour essayer d’obtenir une plus-value intéressante. A l’inverse, dans des marchés volatils, ces produits pourront permettre de dégager des plus-values importantes plus rapidement et ainsi faciliter un taux de rotation plus important, d’où des volumes d’échanges plus élevés. Des marchés plus volatils pourront également causer des moins-values plus rapidement, incitant les détenteurs de ces produits à couper leurs positions plus tôt, amplifiant davantage la hausse des volumes d’échanges.
Comme nous l’avons vu en janvier et février de cette année, les très forts mouvements sur les marchés américains ont raisonné sur nos marchés, ce qui s’est traduit par des volumes très importants sur les produits de Bourse.
Quels moyens déployez-vous pour élargir la clientèle française des produits de Bourse ? Et pour séduire les investisseurs professionnels et institutionnels ?
Fabien Keryell : Au-delà du manque d’éducation financière, il y a en France une véritable aversion naturelle au risque. Le risque est moins valorisé chez nous que dans d’autres sociétés européennes, et bien sûr que chez les Anglo-saxons. Les placements où il existe un risque de perte en capital sont considérés avec circonspection, et quand on parle d’effet de levier, les épargnants se montrent sceptiques et pensent de suite à de la spéculation sur les marchés.
Il y a aussi un manque de connaissance des marchés financiers. Il faut former les gens et s’assurer qu’ils soient réceptifs afin qu’au moment du passage à l’acte ils gèrent de manière raisonnable leur exposition. C’est dans l’intérêt des clients, des émetteurs et des courtiers. L’effet de levier est à la fois un risque et une opportunité. La réglementation encadre de manière très stricte cet effet. Le régulateur européen (ESMA) a d’ailleurs décidé récemment de le limiter selon les sous-jacents. Plus globalement, une réflexion est menée en Europe sur la manière dont la notion d’effet de levier doit être appréhendée.
Toutes ces initiatives vont dans le bon sens sachant que de nombreux produits utilisent des effets de levier sans que cela n’ait jamais soulevé de problème.
Aurélien Réquillart : Entre 2011 et 2016, selon la Lettre de l’Observatoire de l’épargne de l’AMF, le nombre d’actionnaires individuels a été divisé en France par deux. Un point bas semble avoir été atteint, et 2017 a marqué un retournement de la tendance, avec une progression observée chez les investisseurs individuels. Deux facteurs devraient faire revenir les particuliers sur les marchés : la nette diminution de la fiscalité qui touchait les détenteurs de comptes titres, et l’évolution des indices européens si la tendance haussière venait à se poursuivre.
Fabien Keryell : A noter que la Banque de France a recommencé à publier des statistiques sur les encours des PEA. Signe que les actions redeviennent à la mode.
Guilhem Tranchant : La clientèle professionnelle comme institutionnelle en France ne possède pas le même niveau d’éducation financière que leurs homologues européennes. Ils investissent dans des supports très classiques : options, ETF, futures, etc. Très peu de gestionnaires d’actifs détiennent des CFD.
Fabien Keryell : Les sociétés de gestion mélangent en général titres et dérivés listés (options, futures, etc.), et choisissent des produits de taille suffisante. Les professionnels, ceux qui ont pour principale activité le trading, ont besoin de leur côté d’un service offrant sécurité, fiabilité et réactivité. Ils sont à la recherche d’innovations.
Nous refusons à certains clients l’ouverture d’un compte, considérant qu’ils n’ont pas le profil pour traiter certains produits. Il relève de la responsabilité des courtiers et des banques de contrôler les aptitudes des futurs clients.
Aurélien Réquillart : Le nombre d’investisseurs dans les produits à effet de levier a progressé de 15 % l’an dernier, celui dans les ETF de près de 20 % selon des données Investment Trends. Les ETF sont des solutions d’investissement complémentaires aux actions. En une seule ligne, ils permettent de diversifier son portefeuille, de disposer par exemple de 500 actions américaines (pour un ETF répliquant le S&P500) ou de 30 valeurs allemandes (pour un ETF basé sur le DAX). Ils permettent aussi une diversification par classe d’actifs, puisqu’il existe des ETF obligataires ou matières premières, le tout avec des coûts de gestion très faibles en comparaison aux fonds traditionnels.
Fabien Keryell : Les ETF sont de plus en plus souvent proposés dans le cadre d’assurance vie multi-support. Pour des raisons de frais de gestion. Ils sont nombreux à être déjà référencés, et leur nombre va croître.
Alexandre Atlani : Les clients et interlocuteurs directs d’Euronext sont les banques et les courtiers qui distribuent les produits de Bourse aux investisseurs. Nous avons mis en place en 2017 une nouvelle grille tarifaire pour les transactions sur produits de Bourse (et autres produits structurés). Toutes les transactions en dessous de 6 000 euros ne sont plus facturées par Euronext à nos membres (les banques et courtiers) ce qui a permis à la majorité d’entre eux de passer tout ou partie de cette baisse de tarif aux investisseurs.
En début d’année, nous avons également rendu les données de marchés sur les produits de Bourse gratuites pour les investisseurs particuliers, ce qui permet aux courtiers de baisser leurs tarifs et de rendre ces produits plus attractifs.
Quels sont les freins, culturels, financiers, réglementaires, qui restreignent l’essor des produits de Bourse ?
Fabien Keryell : Le changement réglementaire était nécessaire. Il y avait beaucoup trop de divergences entre les pays, même au sein de l’Union européenne. Une harmonisation s’imposait.
La limitation de l’effet levier préconisée récemment par le régulateur européen va également dans le bon sens. Nous l’avions déjà initiée pour nos produits.
On peut considérer qu’il s’agit d’un frein réglementaire, car cela va nécessiter de s’adapter, de faire du «fine tuning» sur les produits à effet de levier. Mais cette évolution va permettre d’avoir une approche globale européenne. Tout le monde sera logé à la même enseigne. Et les offres délirantes des «faux courtiers», qui avaient reçu l’agrément dans des pays conciliants, vont disparaître. Cela va assainir le marché.
C’est un changement radical qui va améliorer l’image de la profession.
Guilhem Tranchant : En premier lieu, nous saluons la décision de contraindre l’effet de levier. Néanmoins, la décision de l’ESMA soulève quelques questions. La limitation n’est-elle pas trop forte, et les leviers trop bas ? Des décisions similaires ont été prises en Pologne et à Singapour mais dans des proportions moindres. Et aucun incident n’est à déplorer. Un levier de 50 sur les indices ne me paraît pas aberrant.
Des courtiers basés en offshore, des acteurs sérieux, pas forcément des arnaques, vont continuer de proposer leurs produits, et rien n’empêchera les clients qui cherchent le risque de les acheter. Il se pourrait donc que nous retombions dans un engrenage de plaintes.
Les CFD sont mal perçus en raison des agissements d’établissements non régulés. Dans le même temps, certains produits de Bourse offrent des effets de levier, qui pourraient même encore croître.
Pourquoi ne pas proposer une régulation des produits de Bourse qui proposent des caractéristiques assez similaires aux CFD ? J’ai le sentiment de deux poids deux mesures en fonction de produits dont les risques sont pourtant assez semblables.
Aurélien Réquillart : Nous sommes concernés par PRIIPs et Mifid 2 qui apportent de la transparence et plus de protection, et qui obligent les intermédiaires à s’assurer de l’adéquation entre le produit et le profil de l’investisseur.
Le fait de proposer le produit adapté à chaque investisseur va totalement dans le sens de la démarche que nous adoptons depuis plusieurs années déjà.
Fabien Keryell : Les clients cherchent des opérateurs fiables et sûrs. Les réglementations qui encadrent l’activité des courtiers ont été mises en place pour les rassurer. Cela ne peut donc aller que dans le bon sens.
Il ne faudrait pas en revanche que les régulateurs juxtaposent les contraintes d’information.
Marc Dagher : Je ne suis pas persuadé que ce durcissement de la réglementation soit bon. Je mets souvent en opposition la réglementation et l’éducation. On réglemente davantage parce que l’on n’arrive pas à éduquer davantage. L’investisseur français est frileux et friand de réglementation. C’est une question d’état d’esprit. Nous avons tendance à trop déresponsabiliser les investisseurs, à l’opposé des pratiques en cours dans les pays anglo-saxons.
Du moment qu’un particulier décide d’investir en Bourse, il sait que son investissement est risqué. Tout placement se mesure à l’aune du couple rendement-risque. Vous ne pouvez pas gagner de l’argent sans en contrepartie courir un risque.
Il ne faudrait pas qu’à chaque fois qu’un épargnant perd de l’argent avec un produit, le principe de ce dernier soit remis en cause.
C’est de bonne guerre que de faire preuve de bonne volonté en saluant les progrès réalisés grâce à la réglementation, mais il faudrait peut-être faire plus d’information.
En revanche, il est bon que le régulateur mette un terme à l’activité des traders frauduleux, notamment sur le forex, qui pullulent sur Internet.
Fabien Keryell : Il faut faire la différence entre les arnaques pures et dures et les courtiers peu scrupuleux. La réglementation sert aussi à faire le ménage entre les différents acteurs, à distinguer les courtiers et les émetteurs respectueux des règles et responsables devant les régulateurs, et les autres.
La réglementation joue aussi un autre rôle : protéger les gens contre eux-mêmes, en d’autres termes, protéger les investisseurs qui se sentent en confiance alors qu’ils ne le sont pas.
Guilhem Tranchant : La question qui se pose est de savoir si les clients désireux de bénéficier d’effet levier ne vont pas choisir des courtiers offshore, qui ont pignon sur rue auprès de cette communauté. N’allons-nous pas simplement déplacer le problème ?
Fabien Keryell : La réglementation va obliger les mauvais acteurs à quitter le marché, à se déplacer vers d’autres produits, les diamants, les crypto-monnaies, etc. Réglementer le secteur va permettre de repousser les fraudeurs.
Guilhem Tranchant : Il y aura toujours des personnes qui, même formées, vont perdre de l’argent en raison d’une trop grande prise de risque, parce qu’elles vont se montrer trop gourmandes, etc. Le niveau de l’effet de levier ne changera pas cette donne.
Aurélien Réquillart : Le premier warrant a été émis en 1989. Si nos clients continuent de nous faire confiance, c’est que nous n’avons pas attendu la réglementation pour appliquer des règles rigoureuses, en faisant le nécessaire en matière d’accompagnement et de pédagogie auprès de nos clients.
Cela passe par les outils digitaux – la TV live, des vidéos, des programmes de formation, etc. – et par des conférences physiques. Nous en organisons une vingtaine par an, à Paris et en province ; ce sont des manifestations auxquelles nous croyons beaucoup, et d’ailleurs, ce programme va être étendu en 2018.
Alexandre Atlani : Sur le côté culturel, il est possible de faire une comparaison entre les investisseurs français et néerlandais. Bien qu’il n’y ait que 17 millions de Néerlandais, les volumes sur les produits de Bourse cotés sur Euronext Amsterdam sont bien plus élevés que sur Euronext Paris, alors que nous avons près de 4 fois plus d’habitants. Et c’est sans compter que les investisseurs néerlandais n’achètent pas de warrants (il n’y en a d’ailleurs pas sur Euronext Amsterdam) mais au contraire investissent sur des options, dont le profil de risque est équivalent. La culture financière est bien plus élevée aux Pays-Bas que dans notre pays, entre autres parce que l’économie et la finance ont une place bien plus importante dans leur éducation. Le nombre d’actionnaires individuels en France est restreint. Comme le mentionnait Aurélien Réquillart un peu plus tôt, leur nombre a très fortement réduit en quelques années. Et pour ceux qui osent franchir le pas, l’appétit pour le risque n’est pas très élevé.
Comme je l’indiquais plus tôt, en plus des produits à effet de levier, il existe des produits de Bourse dits d’investissement. Ces produits n’offrent pas de levier mais vont au contraire permettre de protéger une partie de son capital, de toucher des coupons régulièrement, d’améliorer la performance du sous-jacent ou encore de tracker (suivre) le cours d’un sous-jacent. Ces produits d’investissement sont très populaires dans d’autres pays. En Allemagne par exemple, on estime les volumes échangés sur produits d’investissement à 50 % des volumes sur produits de Bourse. En France en 2017, plus de 94 % des capitaux échangés sur produits de Bourse étaient sur des produits à effet de levier. En termes de nombre de transactions, cette proportion s’élevait à plus de 97 %. Un facteur qui permet d’expliquer cette spécificité française est la fiscalité. Les produits d’investissement ne sont pas admissibles au PEA, contrairement aux actions qu’ils peuvent avoir comme sous-jacent. Une fois la fiscalité déduite, un investissement en actions (dans le cadre du PEA) peut s’avérer plus intéressant qu’un investissement dans un produit de Bourse.
Quelle incidence aura la «flat tax» sur le développement des produits de Bourse ?
Aurélien Réquillart : L’instauration de la «flat tax» ou prélèvement forfaitaire unique est une révolution. Elle a tardé à venir, mais elle est bienvenue. Elle devrait permettre une augmentation des volumes sur les comptes titres, à un horizon de moyen terme.
Avant la nouvelle loi de finance, les plus-values mobilières d’un épargnant imposé dans la tranche relevant du taux maximum de 45 %, auxquels il fallait ajouter 15,5 % de prélèvements sociaux, auraient été imposées avec un taux supérieur à 60 %. Avec la flat tax, le taux d’imposition sur ces plus-values retombe à 30 %, soit presque deux fois moins, ce qui redevient plus «acceptable».
Fabien Keryell : Je pense aussi qu’elle va contribuer à redynamiser le compte titres. Elle pourrait même amener les épargnants à transférer une partie de leur assurance vie qui va perdre un peu de son attrait fiscal vers la détention d’actions en direct.
Quels sont les sous-jacents à la mode ?
Marc Dagher : Si on regarde la volumétrie année après année sur les produits de Bourse, on remarque que les premières places sont occupées par les valeurs françaises les plus populaires mais aussi par les valeurs qui ont fait le plus parler d’elles.
Cela correspond bien à l’état d’esprit de l’investisseur français. Cela semble assez naturel qu’il se tourne aujourd’hui vers des valeurs technologiques qui lui offrent de la volatilité, de l’effet de levier…
Il y a aussi une appétence pour les «penny stocks», les valeurs à moins de deux euros en règle générale. Ce qui démontre bien que certains investisseurs recherchent de la liquidité, un aspect spéculatif et de l’effet de levier.
Fabien Keryell : On a remarqué le même phénomène il y a quelques mois sur Nintendo au moment de la sortie du jeu Pokémon.
Guilhem Tranchant : Il y a peu de valeurs à la mode dans les CFD : DAX, CAC, euro vs. dollar, les indices américains… L’actualité peut entraîner quelquefois des prises de position, comme par exemple le salon du Bourget avec les annonces de commandes pour Airbus ou Boeing, ou le scandale Facebook. Le contexte et les annonces font que les clients se dirigent vers tel ou tel produit. C’est assez aléatoire.
Alexandre Atlani : Je suis tout à fait d’accord avec ce qui vient d’être dit. En dehors de tendances récurrentes (CAC 40, DAX, euro vs. dollar, or, pétrole et gros indices américains), c’est l’actualité économique et la vie des entreprises qui vont diriger les volumes vers un sous-jacent ou un autre. C’est entre autres pour cela que l’on retrouve sur Euronext Paris près de 40 000 produits de Bourse sur plus de 600 sous-jacents. Sur la très grande majorité d’entre eux, les volumes sont en général atones. Mais de temps en temps, il peut y avoir un pic d’activité sur quelques jours.
Quels types de sous-jacents allez-vous lancer de nouveaux produits ?
Aurélien Réquillart : Nous commercialisons depuis peu deux nouvelles solutions d’investissement : Stability et Turbo Life. Le premier produit permet d’investir sur la stabilité du marché. Les Stability possèdent deux bornes qui ne doivent pas être franchies durant la durée de vie du produit, au risque de perdre l’intégralité du capital investi. Comme toute notre gamme des produits de Bourse, ils peuvent être revendus sur le marché secondaire pour réaliser un gain éventuel ou limiter ses pertes.
Le second, le Turbo Life, a le même fonctionnement qu’un turbo à la différence que le produit peut continuer de vivre une fois la barrière de désactivation franchie. L’investisseur a ainsi le choix de rester investi sur le produit.
Guilhem Tranchant : Nous disposons de plus de 10 000 produits. Mais il est difficile de convaincre les investisseurs français d’investir sur des actifs peu connus, alors que les Allemands ou les Anglo-Saxons n’hésitent pas à se positionner par exemple sur des devises exotiques.
Nous essayons d’éduquer nos clients vers des actifs différents, vers d’autres marchés. Nous donnons également accès à des CFD sur ETF.
Fabien Keryell : Notre prochaine innovation réside dans notre nouvelle plateforme à destination des investisseurs professionnels, la Saxo Trader Pro, qui apportera encore plus de services.
Alexandre Atlani : Euronext est sur le point d’introduire sa toute nouvelle plateforme technologique Optiq. Celle-ci n’est pas limitée aux produits de Bourse mais couvre l’ensemble de nos actifs.
Il s’agit d’une nouvelle architecture de messagerie (ordres et acquittements) entre Euronext et ses membres, moteur de cotation et données de marché.
La partie données de marché est en production depuis juillet 2017.
Les deux autres parties (messagerie et moteur) seront lancées progressivement jusqu’au début du mois de juin.
Côté produits de Bourse, cette nouvelle technologie nous permettra rapidement de lancer de nouveaux services spécifiques.