Dès son élection, Emmanuel Macron a fait de l'amélioration du financement des entreprises l’un de ses chevaux de bataille. Ces cinq dernières années, plusieurs mesures ont été mises en place à cet effet. Toutes n’ont pas rencontré le succès escompté.
En 2017, le candidat Emmanuel Macron annonçait vouloir faire de la France une ‘’start-up nation’’ en cinq ans. Le lancement, en 2019, de l’initiative ‘’Tibi’’ et le déploiement de plusieurs programmes de soutien au secteur ont partiellement permis la concrétisation de ce projet. Plus largement, l’ancien banquier d’affaires a mis en place, durant son mandat, un certain nombre de mesures censées doper le financement des entreprises, dont la plus emblématique restera très certainement la réforme de la fiscalité du capital. En exacerbant certaines lacunes structurelles françaises, la crise sanitaire a forcé par ailleurs le président et son gouvernement à mettre sur pied un nouveau plan d’investissement censés favoriser l’émergence de fleurons tricolores dans divers secteurs.
IFI et flat tax : le « ruissellement » se fait attendre
Six mois après l’élection présidentielle et dans la droite ligne de deux des promesses de campagne du candidat Macron, la loi de finances pour 2018 transformait l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI), et instaurait un prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus du capital. Ces réformes étaient portées par une grande ambition : permettre le « ruissellement » d’une fraction de l’épargne des ménages et investisseurs vers les entreprises et l’économie réelle.
Ce ruissellement n’a pas eu lieu, a estimé, en octobre dernier, le comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital piloté par France Stratégie. Certes, les flux de placements financiers des ménages ont augmenté de 28 milliards d’euros en 2019 et de 75 milliards d’euros l’année suivante pour atteindre 205 milliards d’euros. Mais rien n’indique que cet accroissement soit spécifiquement corrélé à la disparition de l’ISF et à la mise en place de la « flat tax », avertit le comité, qui estime par ailleurs qu’établir un tel lien est rendu plus malaisé encore par le contexte sanitaire et économique des deux dernières années.
Surtout, la part de ces flux totaux placée en 2020 dans des produits de fonds propres (actions cotées et non cotées, assurance-vie et épargne retraite en unités de compte, parts d’OPC) s’est établie à 22 % – soit 47 milliards d’euros –, une fraction équivalente à celle enregistrée en… 2017. A fin septembre 2021, cette fraction avait même baissé, sur un an, à 38,9 milliards d’euros…
Enfin, en provoquant la disparition de la niche fiscale ISF-PME, la transformation de l’ISF en IFI a fait chuter la collecte des fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI) et des fonds d’investissement de proximité (FIP). Cette chute a contribué à la stagnation, depuis 2016, des levées de private equity réalisées auprès des investisseurs particuliers français.
Les fonds « Tibi » collectent en attendant d’investir
En juillet 2019, Philippe Tibi, président de Pergamon Campus, remettait à Bruno Le Maire et Cédric O un rapport sur le financement des entreprises technologiques françaises. Ce document pointait deux défaillances de taille : d’une part, le manque, en France, de fonds de capital-investissement dit de « late stage » ; de l’autre, l’absence de fonds d’actions cotées capables d’accompagner la French Tech en Bourse. Il chiffrait par ailleurs à 20 milliards d’euros la dotation nécessaire de ces véhicules. Deux mois après la publication du rapport « Tibi », en septembre 2019, une vingtaine d’investisseurs institutionnels français – dont AXA, Covéa, CNP Assurances, Société Générale Assurances ou encore Crédit Agricole Assurances – s’engageaient, sous l’égide du président de la République, à investir 6 milliards d’euros dans la Tech française avant le 31 décembre 2022.
Deux ans et demi après son lancement, l’initiative « Tibi » est en bonne voie. A ce jour, 3,5 milliards d’euros au moins sur les 6 promis par les investisseurs institutionnels partenaires ont été engagés dans 52 fonds labellisés. Plus de 14 milliards d’euros supplémentaires ont été placés dans ces véhicules par des investisseurs tiers – la plupart étrangers –, ce qui porte à 18 milliards d’euros le montant collecté dans le cadre du programme (9 milliards pour le coté, 9 milliards pour le non-coté). Compte tenu de cet engouement, Bruno Le Maire a rehaussé, l’an dernier, l’objectif total de 20 milliards d’euros d’apports à 30 milliards d’euros.
Toutefois, une faible part seulement des ressources à disposition des fonds « Tibi » a, pour l’heure, été effectivement investie au capital des entreprises ciblées. Les levées concernées – dont la plus importante est celle de 90 millions effectuée en mars 2021 par Payfit – se comptent encore sur les doigts de deux mains. En septembre dernier, Philippe Tibi estimait qu’il faudrait encore 6 à 12 mois pour que la dotation des fonds commence à être réellement déployée. En outre, si 36 fonds labellisés ont été créés dans le champ du non-coté, seuls 16 l’ont été dans celui de l’investissement coté. Parmi ces derniers, le véhicule déployé par CPR AM accapare à lui seul 5,5 milliards d’euros.
French Tech : les levées explosent… grâce aux investisseurs étrangers
En septembre 2019, quelques jours avant le France Digital Day, Emmanuel Macron donnait pour objectif aux représentants de la French Tech réunis à l’Elysée de créer 25 licornes d’ici à 2025. Près de trois ans avant l’échéance fixée par le président, ce but est atteint : en janvier dernier, Exotec et Spendesk sont devenues respectivement les 25e et 26e licornes hexagonales, valorisées plus d’un milliard d’euros après leur dernier tour de table.
L’émergence de cette vingtaine de fleurons – dont le nombre est à peu près équivalent en Allemagne – tient à l’accroissement très significatif des levées de fonds réalisées par l’écosystème numérique tricolore. En 2021, celles-ci ont atteint 11,6 milliards d’euros, après être progressivement passées de 2,8 milliards en 2017, 3,6 milliards en 2018, 5 milliards en 2019 et 6 milliards en 2020. Cette hausse résulte notamment d’un certain nombre de dispositions prises par l’exécutif pour faciliter le développement et renforcer la visibilité de la French Tech, dont le lancement des programmes Next 40 et French Tech 120, la simplification de l’obtention du French Tech Visa ou encore l’élargissement du champ d’attribution d’un certain nombre d’instruments de rémunération prisés des start-up, tels que les BSPCE.
Il n’en demeure pas moins que la multiplication des levées d’ampleur de la French Tech a été, ces dernières années, essentiellement portée par des investisseurs étrangers. L’an dernier, ces derniers ont apporté plus de 60 % des fonds récoltés par l’écosystème, soit 7,2 milliards d’euros, selon Cambon Partners. De même, si le montant des sorties réalisées par les acteurs de la Tech française, de 10,2 milliards d’euros, a progressé de 112 % sur la période, cette augmentation a résulté pour moitié d’acquéreurs non domestiques, selon la banque d’affaires Avolta Partners.
Le development du financement des « techs » tricolores appelle désormais la création d’un Nasdaq européen, estiment beaucoup de spécialistes qui voient dans cette initiative un vecteur de développement majeur pour le secteur, mais aussi un enjeu de souveraineté. Ces cinq dernières années, l’exécutif a appelé au déploiement de cette plateforme paneuropéenne à plusieurs reprises, sans toutefois se montrer réellement proactif.
France 2030 : un plan d’ampleur à la gouvernance complexe
Le 1er février dernier, Jean Castex présidait le premier comité de pilotage du programme d’investissement France 2030, présenté le 12 octobre 2021 par Emmanuel Macron. Ce plan, doté de 34 milliards d’euros auxquels s’ajoutent les 20 milliards d’euros du quatrième Programme d’investissement d’avenir (PIA 4) voté dans le cadre de la loi de finances pour 2021, doit financer, au cours des cinq prochaines années, les entreprises d’une dizaine de secteurs stratégiques comme le nucléaire, l’hydrogène vert, la mobilité électrique et hybride, l’aviation bas carbone, le spatial et l’exploration marine, et permettre l’émergence de « champions » dans chacune de ces industries.
France 2030 se distingue incontestablement par son ampleur. Il s’agit du plan public de financement de l’innovation et de l’industrie le plus important mis en place ces dernières décennies. Par comparaison, le premier programme d’investissement d’avenir (le « grand emprunt » de 2010 lancé par Nicolas Sarkozy après recommandation de la commission Juppé-Rocard) avait atteint 35 milliards d’euros.
Vaste, ce programme l’est aussi par la quantité d’institutions publiques qu’il fait intervenir – au nombre d’une dizaine, dont la Caisse des dépôts et consignations (CDC), Bpifrance, l’ADEME – et qui serviront d’intermédiaires dans l’attribution des financements. Un millefeuille qui a fait craindre à divers acteurs économiques, ces derniers mois, une multiplication des lenteurs administratives. De surcroît, le comité de pilotage et d’évaluation du plan, présidé par Bruno Bonnell, nouveau secrétaire général pour l’investissement, risque d’être attendu au tournant : la Cour des comptes a récemment souligné, dans un référé, que ni le premier PIA, ni le Grand plan d’investissement (GPI) mis en place en 2017 par Emmanuel Macron, n’avaient fait l’objet d’évaluation.