Instauration d’une taxe sur les hautes rémunérations, hausse de l’impôt sur les sociétés pour les grandes entreprises, nouvelle limitation à la possibilité de déduire les charges financières, durcissement de la législation sur les prix de transfert ou sur la fraude fiscale… Pour l’heure et en attendant le dénouement des Assises de la fiscalité, un chantier gouvernemental ouvert fin janvier et dont l’objectif est de simplifier et d’alléger les taxes qui pèsent sur les entreprises, celles-ci vont à nouveau devoir faire le dos rond. Les dispositions fiscales applicables pour 2014 ne vont pas dans le sens de l’allègement ! Les explications détaillées et les conseils de nos experts.
La taxe de 50 % sur les rémunérations de plus de 1 million d’euros
Option Finance : Quelles sont les personnes qui échappent à la taxe sur les hautes rémunérations ?
Jean-Luc Scemama, expert-comptable et commissaire aux comptes, fondateur et dirigeant du cabinet Expertise & Conseil : Cette taxe concerne les salariés, donc tous ceux qui facturent des honoraires sont exclus du dispositif.
Laurent Benoudiz : Les avocats par exemple ou tous les prestataires qui se font rémunérer via des honoraires.
Option Finance : Donc tous les consultants y échappent. Est-ce logique selon vous ?
Laurent Benoudiz, expert-comptable et commissaire aux comptes, associé-gérant de Bewiz : Quand vous êtes travailleur indépendant, vous avez le choix de votre statut. Si vous optez pour l’entreprise individuelle, vous facturez des honoraires et vos revenus sont ni plus ni moins que le montant de vos bénéfices. Dans ce cas-là, vous n’êtes pas assujetti à la taxe sur les hautes rémunérations. Si vous êtes en revanche gérant majoritaire d’une société, d’une EURL ou d’une SARL avec un associé par exemple et que votre rémunération vient en déduction du bénéfice de la société, à ce moment-là vous entrez dans le champ de la taxe.
Jean-Luc Scemama : Le même avocat, par la forme juridique de la structure d’exploitation qu’il a choisie, peut donc avoir un traitement différent au vu de la taxe sur les hautes rémunérations.
Daniel Gutmann avocat associé, CMS Bureau Francis Lefebvre : Il y a une raison théorique à cette différence de traitement. Le postulat du législateur, c’est que les salaires sont des charges qui viennent en déduction du bénéfice imposable. Dans le cas d’un entrepreneur individuel ou de l’associé d’une structure soumise à l’impôt sur le revenu, sa rémunération n’est pas considérée comme une charge ; sa rémunération, c’est le bénéfice. Il est logique de ce point de vue que le bénéfice lui-même ne puisse pas donner prise à cette taxe sur les hautes rémunérations. S’il y a une logique juridique, il est vrai que d’un point de vue économique et pratique, nous aboutissons à des situations qui peuvent être inéquitables.
Option Finance : Quid si la rémunération est versée par plusieurs entreprises d’un même groupe ?
Daniel Gutmann : On ne globalise pas les rémunérations au sein d’un groupe. Pour une personne qui aurait différentes fonctions au sein de plusieurs sociétés d’un même groupe par exemple, si la somme des rémunérations perçues dépasse un million, mais qu’elle perçoit moins d’un million d’euros dans chacune des structures, la taxe ne s’applique pas. Le législateur a entendu qu’elle s’applique société par société. Il y avait eu au Sénat un amendement qui tendait à assujettir dans les groupes intégrés les rémunérations, en faisant la somme de toutes celles perçues par une même personne de sociétés appartenant à ce groupe. Mais comme le Sénat a rejeté en bloc le projet de loi de finances, cela n’a pas été réintroduit devant l’Assemblée nationale et du coup, cette règle ne s’applique pas.
Xenia Legendre, associée en charge du département fiscal, Hogan Lovells, Paris : Si cette même personne travaille pour quatre sociétés d’un même groupe et qu’elle gagne 800 000 euros dans chacune, la taxe sur les hautes rémunérations n’est pas due. Pour y échapper, il suffira d’éclater les rémunérations des personnes concernées entre différentes structures d’un même groupe, sous réserve bien sûr, que cette même personne exerce effectivement, dans chacune des sociétés, des fonctions réelles et qu’il n’y ait pas de remboursement de salaires d’une structure à l’autre.
Option Finance : Quid pour les entreprises étrangères ?
Daniel Gutmann : Pour qu’une entreprise étrangère soit assujettie à la taxe, il faut que la rémunération versée soit déductible du bénéfice imposable en France. Si la structure française est une filiale d’une société étrangère, il n’y a aucun problème, la taxe est due. Si elle n’a pas de filiale en France, mais un établissement stable, il faut que la rémunération se déduise de son bénéfice pour qu’il supporte la taxe.
Option Finance : Quid pour les filiales à l’étranger ?
Jean-Luc Scemama : Les rémunérations versées à l’étranger échappent à la taxe. Un salarié pourrait percevoir quatre fois 800 000 euros dans quatre sociétés différentes d’un même groupe et percevoir 10 millions d’une filiale étrangère établie à Guernesey, aux Etats-Unis ou ailleurs, ces rémunérations ne seront pas soumises à la taxe !
Option Finance : L’assiette de la taxe est-elle large ?
Xenia Legendre : Oui, relativement. Toutes les rémunérations y entrent et même les stock-options ou les actions gratuites. Inutile d’ailleurs d’en différer le versement, puisqu’elles sont assujetties à la taxe, l’année de leur attribution. Toutes celles qui ont été attribuées en 2013 entreront donc dans la rémunération soumise à la taxe.
Daniel Gutmann : Autre point intéressant pour les salariés ou les dirigeants de sociétés françaises dans les groupes internationaux qui bénéficient de stock-options octroyées par la maison mère : les stock-options qui seraient attribuées par des sociétés étrangères semblent littéralement exclues du champ de la taxe. En effet, les stock-options taxées sont celles attribuées en vertu du Code de commerce. Les options attribuées au titre d’une législation étrangère, ne l’étant pas au titre du Code de commerce, devraient donc être exonérées (hormis le cas d’une refacturation à une société française dans le champ de la taxe).
Option Finance : Ne pensez-vous pas que l’instruction fiscale pourrait inclure les stock-options étrangères ?
Daniel Gutmann : Un argument de texte va à l’encontre de ce raisonnement. Quand le CGI veut assimiler les stock-options étrangères à celles attribuées en France, il le fait habituellement de façon explicite, ce qui n’est pas le cas ici. Mais nous attendons encore l’instruction fiscale qui précisera le contenu et le champ de la taxe sur les hautes rémunérations.
Laurent Benoudiz : Concernant les stock-options, j’aimerais simplement préciser un point. Sur les stock-options vous avez deux gains en fait. Il y a un gain au moment de l’attribution, qui est une charge pour l’entreprise. C’est celui-là qui est imposable au titre de la taxe. Le gain qui est réalisé au moment de la levée des options, si le cours a augmenté, celui-ci n’est imposable qu’à l’impôt sur le revenu, ce n’est pas une charge pour l’entreprise et cela ne rentre donc pas dans l’assiette de la taxe sur les hautes rémunérations. En clair, si un salarié lève en 2013 et réalise à cette occasion une très belle plus-value, elle ne sera pas imposée au titre de la taxe sur les hautes rémunérations, elle le sera naturellement au titre de l’impôt sur le revenu du salarié. En revanche, si j’attribue un plan de stock-options en 2013 à un cours inférieur à celui du marché, c’est ce cadeau-là qui sera pris en compte au titre de la taxe.
Option Finance : Peut-on lister toutes les situations dans lesquelles on est exonéré de taxe sur les hautes rémunérations ?
Collectif : Quand on est entrepreneur individuel, associé d’une société soumise à l’impôt sur le revenu, quand on perçoit des rémunérations de plusieurs sociétés, dont aucune n’excède un million d’euros, ou d’une ou plusieurs sociétés étrangères.
Option Finance : La taxe totale, tous salariés confondus, est limitée à 5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise, ce qui en limite le champ ?
Laurent Benoudiz : Oui, cela a été fait en partie pour les clubs de football, qui n’ont pas d’importants chiffres d’affaires.
Daniel Gutmann : Il peut y avoir un enjeu dans les groupes où la rémunération du ou des dirigeants est prise en charge par la holding du groupe. La holding, en général, n’a pas ou peu de chiffre d’affaires. Du coup, avec la limite générale à 5 %, la taxe peut être finalement d’un niveau très faible.
Option Finance : La taxe est-elle suffisamment importante pour justifier une réflexion autour des moyens d’y échapper ?
Daniel Gutmann : La taxe s’applique pour deux ans, sur la rémunération versée en 2013 et 2014. Or la première année est déjà écoulée. Il ne reste plus en théorie qu’une seule année d’application de la taxe. On pourrait imaginer, sur la base de ce qu’on vient de se dire sur les holdings, que certaines entreprises soient tentées de rapatrier les rémunérations les plus élevées dans les holdings. Mais va-t-on faire des réformes structurelles d’un groupe pour une année, juste pour cette taxe ? Cela me paraît un peu disproportionné.
Xenia Legendre : Certaines ont pu commencer à y travailler dès 2013, car cela fait tout de même un certain temps qu’on parle de cette taxe. Le Conseil d’Etat avait été consulté en mars 2013 sur ce point. Nous avons par exemple pas mal travaillé sur des dirigeants qui objectivement, du fait de la structure de leur groupe, ont décidé de s’appliquer un «split payroll», une ventilation de la rémunération entre la France et l’étranger.
Laurent Benoudiz : Cela a aussi des répercussions plus larges, sur les charges sociales par exemple. Souvent ces réflexions ont été conduites avant la mise en place de la taxe sur les hautes rémunérations, car il y a d’autres avantages à avoir une rémunération éclatée entre différents pays. Il y a d’autres raisons qui conduisent à mener ce genre de stratégies, indépendamment de la taxe à 50 %. Notamment le poids des charges sociales sur la tranche C des salaires.
Jean-Luc Scemama : Ces réflexions-là sont souvent plus globales et menées depuis un certain temps. Sinon, si c’est strictement concomitant avec la nouvelle taxation, il y a un risque supplémentaire en termes d’abus de droit.
Option Finance : Cette taxe à 50 % peut-elle être prolongée ?
Daniel Gutmann : Je ne crois pas, il y a une limite constitutionnelle. Dans le raisonnement qui a conduit le Conseil constitutionnel à valider la taxe, son caractère temporaire a été mentionné parmi les éléments pris en considération. Si le législateur s’avisait de la prolonger, cela poserait donc un sérieux problème de conformité à la Constitution.
Laurent Benoudiz : Le côté positif de cette taxe, c’est qu’elle est déductible de l’impôt sur les sociétés, mais attention, pas de la contribution exceptionnelle qui elle, nous allons le voir, passe de 5 % à 10,7 %.
La contribution exceptionnelle passe de 5 % à 10,7 %
Option Finance : La contribution exceptionnelle à l’impôt sur les sociétés passe de 5 % à 10,7 % à partir de 2013. Cela justifie-t-il certaines techniques d’optimisation ?
Laurent Benoudiz : Cette taxe majore l’impôt sur les sociétés (IS). Optimiser la taxe consiste donc à optimiser le montant de l’impôt sur les sociétés. L’IS va donc passer de 33,33 % à 38 % pour les entreprises réalisant plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires. Pour augmenter les recettes d’un impôt, il y a le choix entre augmenter le taux ou élargir l’assiette. Les deux mesures ont été prises : élargissement de l’assiette par la limitation de l’imputation des déficits reportables au-delà d’un million et par la limitation de la déductibilité des charges financières. L’intégration fiscale qui permet de compenser les bénéfices et les pertes d’un groupe intégrée n’a pas été limitée.
Jean-Luc Scemama : Effectivement, la majoration du taux de l’IS ne règle pas ce problème. Si les grands groupes paient moins d’IS que les petites entreprises, cela est lié aux montages fiscaux avec les filiales déficitaires, etc. Le fait de dire que le doublement de la contribution, qui passe de 5 % à 10,7 % pour les sociétés qui ont un chiffre d’affaires supérieur à 250 millions d’euros, est une disposition qui vise les grands groupes, qui vont se trouver ainsi fortement pénalisés, me semble excessif, dans la mesure où certains d’entre eux vont y échapper dans bien des cas, grâce à certains montages fiscaux.
Option Finance : Cette taxe est bien temporaire ?
Daniel Gutmann : Oui, elle doit théoriquement s’éteindre fin 2015. C’est malgré tout assez curieux qu’on l’augmente à la veille de son extinction… Et cette taxe-là pourrait à nouveau être prolongée, car contrairement à la taxe sur les hautes rémunérations, il n’y a pas ici d’obstacle constitutionnel. Mais il est difficile de faire des prédictions à ce sujet car la pérennité de cette taxe sera l’un des enjeux des Assises de la fiscalité. Quels schémas d’optimisation fiscale pour les entreprises visées par cette contribution exceptionnelle ?
Laurent Benoudiz : L’assiette de cette taxe exceptionnelle c’est l’impôt sur les sociétés (IS). Pour en minimiser la portée, il faut commencer pas faire baisser l’IS. S’amuser à mettre en place une scission entre différentes structures simplement pour passer sous le seuil des 250 millions de chiffre d’affaires ? Je n’y crois pas trop, c’est un peu compliqué ! Souvent ça coûte plus cher de vouloir économiser des impôts que de les payer.
La nouvelle limitation de la déductibilité des intérêts d’emprunts
Option Finance : A quel type de situation le législateur a-t-il voulu mettre fin en conditionnant la déductibilité des intérêts d’emprunt au fait que la société prêteuse soit, de son côté, taxée à un certain niveau (25 %), sur ces mêmes intérêts d’emprunt ?
Laurent Benoudiz : Je vais vous donner un exemple. J’étais intervenu pour une société, filiale d’une société européenne et qui avait procédé à l’acquisition d’une entité aux Etats-Unis et cette entité n’était pas rattachée à la maison mère, mais à la filiale française. Pourquoi ? Uniquement pour pouvoir déduire les intérêts d’emprunt. La filiale française n’avait aucun pouvoir en matière d’administration de la société américaine, mais à l’époque les intérêts d’emprunt étaient déductibles sans limite. L’acquisition de la société américaine portait sur plusieurs centaines de millions d’euros…
La déductibilité sur les intérêts d’emprunt effaçait l’essentiel de l’impôt sur les bénéfices qui aurait dû être payé en France. Il y a eu beaucoup d’excès manifestes. Ils ont été corrigés progressivement et cette règle vient parachever l’édifice. Désormais, c’est devenu éminemment complexe de déduire des intérêts d’emprunt dans les grandes entreprises. Un certain nombre de règles s’appliquent en matière de déductibilité des intérêts d’emprunt. Comment s’articulent-elles entre elles ?
Xenia Legendre : Il y a aujourd’hui six étapes à respecter, dans un ordre bien précis. 1re étape, on applique la règle qui vient d’être votée, à savoir celle liée à l’imposition minimale des intérêts chez le prêteur. 2e étape, on applique la limitation au regard du taux d’intérêt facturé (art. 39-1-3°, 212-I du Code général des impôts). 3e étape : la règle de la limitation au regard de la sous-capitalisation de l’emprunteur (art. 212-II du CGI). 4e étape : la limitation liée à l’absence de substance de l’emprunteur quand par exemple ce n’est pas une société de plein exercice ou que le management est ailleurs (art. 209-IX CGI). 5e étape, on applique la limitation liée aux «acquisitions à soi-même» des titres (art. 223-B CGI).
Et enfin, 6e et dernière étape, on applique la limitation liée au plafonnement général de déduction des charges financières nettes versées par l’emprunteur, qui précise qu’au-delà de 3 millions d’euros d’intérêts d’emprunt, 25 % sont réintroduits dans le résultat imposable en 2014 (art. 212 bs CGI). Parmi ces différentes mesures, la plupart ont été adoptée en vue de moraliser les pratiques. Mais la dernière par exemple (la 6e étape), ne vise, elle, qu’à faire entrer de l’argent dans les caisses de l’Etat.
Option Finance : Cette nouvelle règle est-elle très pénalisante ?
Xenia Legendre : Oui, elle l’est, car elle va couper court à tous les montages utilisant des produits hybrides, qui déductibles d’un côté et exonérés de l’autre, conduisent à double exonération d’impôt. Si cela ne visait que cela, on pourrait comprendre, mais cela va plus loin. Cette règle a-t-elle des effets pervers ?
Daniel Gutmann : Oui. Elle vise aussi des situations franco-françaises, parce que le texte pour respecter le droit communautaire inclut aussi les prêteurs français qui ne paient pas d’impôts sur ces intérêts. A titre d’exemple, les organismes de logement social ne paient pas d’impôt sur les sociétés sur les produits financiers issus du placement de leur trésorerie. Du coup, la nouvelle règle remet en cause certains dispositifs de financement à l’intérieur du logement social… Cette règle, construite pour lutter contre des doubles exonérations internationales, est donc en train de créer des effets pervers à l’intérieur même du système de financement des entreprises françaises.
Ce n’était évidemment pas le but ! Et cela laisse de surcroît subsister un problème de conformité du dispositif au droit de l’Union européenne car, dans la très grande majorité des cas, les intérêts versés par les sociétés françaises se voient exclus de la déductibilité au seul motif que la société prêteuse est établie à l’étranger. Faut-il que les intérêts perçus par le prêteur à l’étranger soient imposables ou qu’ils aient été effectivement imposés et que la société paye un impôt au moins équivalent à 25 % de l’impôt français ?
Laurent Benoudiz : Il faut que le flux d’intérêts soit potentiellement imposable à l’étranger à plus de 25 % de l’impôt sur les sociétés français, même si dans les faits, par le jeu de différentes déductions, ces intérêts ne sont pas réellement imposés. Le fait qu’on ait payé de l’impôt dessus est accessoire, le simple fait que ces intérêts soient imposables suffit.
Option Finance : Les produits hybrides, visés par cette règle, étaient-ils massivement utilisés ?
Daniel Gutmann : Les montages basés sur les produits hybrides, comme les prêts participatifs ou les obligations remboursables en actions, avaient déjà commencé à se tarir, parce que l’administration les connaît depuis quelques années et les pourchasse sur le terrain de l’abus de droit. La nouvelle règle vise donc surtout à mettre en forme législative quelque chose qui existait déjà dans la pratique des contrôles. Cette règle est-elle en ligne avec ce qui se pratique ailleurs en Europe ?
Daniel Gutmann : Cette initiative française, qui repose sur l’intention louable de lutter contre les doubles exonérations, se fait en l’absence totale de coordination avec les autres Etats européens et c’est regrettable. La Commission européenne vient en effet de proposer une réforme de la directive mères filiales impliquant de vérifier, non pas si les intérêts sont imposables chez le prêteur, mais à l’inverse si ces mêmes intérêts sont déductibles chez l’emprunteur… C’est la logique exactement opposée à celle de la loi qui vient d’être votée.
Les prix de transfert
Option Finance : Pouvez-vous nous rappeler la problématique en matière de prix de transferts ?
Laurent Benoudiz : L’administration lutte contre les entreprises qui jouent sur leurs prix de transferts, qu’elles modifient de manière à délocaliser des bénéfices dans des pays à fiscalité privilégiée. C’est une question très compliquée et à enjeu supranational. Cela devrait être négocié entre Etats au niveau du G 20 pour savoir qui doit avoir l’essentiel de la valeur ajoutée, le pays producteur ou le pays distributeur.
Jean-Luc Scemama : Tout cela est bien sûr sous-tendu par la concurrence entre les taux d’imposition d’un pays à l’autre. L’administration fiscale française se bat sur ce point, car l’imposition est élevée, donc l’impôt éludé l’est aussi ! Laurent Benoudiz : Ce n’est pas juste une question d’optimisation fiscale, c’est aussi une question de répartition des richesses. Daniel Gutmann : D’ailleurs, il y a beaucoup de procédures en cours entre la France et d’autres Etats européens qui ont plus ou moins le même niveau d’imposition et pour lesquels ce n’est pas une question d’optimisation, mais une question de partage de la matière taxable.
Option Finance : Avant d’entrer dans le détail, peut-on récapituler toutes les mesures qui ces derniers mois ont modifié quelque chose concernant la législation sur les prix de transfert ?
Jean-Luc Scemama : Il a d’abord eu la loi sur la fraude fiscale du 6 décembre 2013, qui a institué une obligation de déclaration spontanée du mode de calcul des prix de transferts pour les entreprises dont le chiffre d’affaires ou l’actif brut dépasse 400 millions d’euros. Avant, elles devaient fournir des explications si l’administration fiscale le leur demandait ; désormais, elles doivent produire systématiquement une déclaration justifiant leurs prix de transferts dans les six mois de la clôture de l’exercice.
Daniel Gutmann : Une deuxième mesure a été censurée par le Conseil constitutionnel et ne s’appliquera donc pas. Il s’agit de la règle sur les «business restructurings». Elle visait le cas des sociétés qui transféraient à l’étranger des risques et des fonctions, conduisant à une diminution de 20 % du leur résultat d’exploitation français, sans réelle contrepartie. Xenia Legendre : C’est ce cas très précis qui a été annulé, il ne s’appliquait qu’aux sociétés internationales. Mais l’administration peut dans cette situation continuer à attaquer sur les fondements des prix de transferts, de l’abus de droit, de l’établissement stable notamment.
Daniel Gutmann : Autre mesure annulée, l’alourdissement des sanctions en cas de non-respect de certaines obligations documentaires. L’article de la loi de finances qui créait une sanction en fonction du chiffre d’affaires (0,5 % du chiffre d’affaires) a été censuré par le Conseil constitutionnel.
Jean-Luc Scemama : Du coup, ce sont les sanctions en vigueur précédemment qui restent applicables, à savoir une amende de 10 000 euros au minimum et jusqu’à 5 % du bénéfice transféré au maximum.
Daniel Gutmann : Par ailleurs, la règle qui oblige les entreprises à communiquer les «rulings» obtenus auprès d’une administration fiscale étrangère a vu sa signification précisée par le Conseil constitutionnel selon lequel la société française n’est tenue de les produire que lorsque ces «rulings» sont en sa possession. Reste un dernier point de procédure mais qui a son importance : quand il y a un litige en matière de prix de transfert, le contribuable peut demander l’instauration d’une procédure amiable entre Etats, et jusqu’à présent l’ouverture de cette procédure suspendait l’imposition. Cette mesure de suspension a été supprimée par la loi de finances. Cela signifie que l’entreprise désireuse d’obtenir un sursis de paiement ne peut plus le faire qu’en application de la procédure de droit commun ; elle doit donc présenter une réclamation et constituer des garanties, lesquelles peuvent être onéreuses.
Option Finance : Quelles sont les conséquences de l’obligation de déclaration spontanée des prix de transferts ?
Daniel Gutmann : La loi a rendu cette obligation récurrente, en amont de toute procédure de vérification. Mais toutes les grandes entreprises font déjà des documentations sur les prix de transfert pour se préparer à des contrôles. Il faut donc seulement faire ce travail plus vite et plus tôt.
La lutte contre la fraude fiscale
Option Finance : Qu’est-ce qui a changé ces derniers temps dans la pratique des contrôles fiscaux ?
Laurent Benoudiz : Je constate deux changements. Le premier, c’est l’application quasiment systématique des pénalités de 40 % pour manquement délibéré. Deuxième chose, les revenus distribués. L’administration vous oblige à indiquer les bénéficiaires de ces revenus, sinon vous avez une pénalité de 100 %. Et bien sûr, les bénéficiaires doivent payer l’impôt sur les revenus dessus. Donc l’administration fait un rappel en matière d’impôt sur les sociétés, mais aussi en matière d’impôt sur le revenu sur les bénéficiaires de la distribution, qui sont en général les dirigeants de l’entreprise. Aujourd’hui, les relations avec l’administration fiscale sont devenues un peu plus compliquées.
Option Finance : Quels sont les derniers changements législatifs ?
Daniel Gutmann : L’échange d’informations entre les administrations se renforce de jour en jour. Il y a une transparence de plus en plus grande des contribuables personnes physiques et morales. Lors de la loi de finances rectificative pour 2013, a été transposée une directive de 2011 et votée à cette occasion une règle de procédure qui autorise la France, à partir de 2015, à échanger automatiquement les informations avec les autres Etats membres de l’Union européenne, sur toute une série de revenus. Cet échange concerne les revenus 2014. Cela signifie qu’aujourd’hui, toute personne physique ou morale qui reçoit un revenu en provenance d’un autre Etat membre de l’Union européenne ou qui verse une somme à une personne dans un autre Etat membre doit savoir que les administrations échangeront automatiquement les informations relatives à ces flux. C’est une vraie révolution. Il faut encore qu’elle se mette en œuvre en pratique, mais le vrai moyen de lutter contre la fraude, c’est bien l’échange automatique d’informations.