Obligations corporate : une année faste pour le marché euro, moins pour les émetteurs français

Publié le 20 décembre 2024 à 16h46

ivan Best    Temps de lecture 6 minutes

Tous compartiments confondus, les émissions corporate euros ont progressé de 32 % en 2024, à 456 milliards d’euros. Pour les émetteurs français, la hausse a été plus limitée (+ 15 %), avec une stagnation des volumes s’agissant du compartiment investment grade, compensée pour partie par un retour en force du high yield. Les émissions françaises sur ce segment ont été multipliées par 2,15.

Pour les obligations européennes corporate, c’est une année faste qui vient de s’écouler. La perspective de baisses de taux d’intérêt, faisant monter les prix des titres, a dopé la demande provenant des investisseurs, qui ont répondu largement présent lors de chaque émission obligataire. « Le marché primaire a été soutenu par une liquidité très abondante : “l’inflow” net dans les fonds obligataires euro actifs et passifs a dépassé 300 milliards en 2024, un chiffre en forte hausse d’une année sur l’autre », souligne Julien Brune, responsable de l’activité Solutions et Conseil pour les marchés de capitaux de dette chez Société Générale CIB. Selon Morningstar, les investissements nets dans ces fonds ont en effet atteint 313 milliards d’euros, contre 169 milliards en 2023. Tous les compartiments du marché primaire corporate euro se sont inscrits en hausse, avec une prime pour le high yield, dont le volume global a été multiplié par 2,5, l’investment grade progressant, lui, de 22 %. Au total, la hausse des volumes atteint 32 % pour le marché euro.

Ce sont bien sûr les émissions investment grade qui représentent la plus grande part du marché (81 %, selon les calculs de Société Générale CIB). Ces émissions ont atteint quelque 370 milliards d’euros en 2024, après 303 milliards en 2023. Elles ont été largement sursouscrites (3,6 fois l’offre, en moyenne), émanant d’un nombre d’émetteurs en forte augmentation (près de 330, contre 235 en 2023).

Mais dans ce panorama d’un marché primaire européen proche de l’euphorie, les corporates français apparaissent en retrait. Si le nombre d’émetteurs investment grade (IG) hexagonaux s’est accru (58 en 2024, contre 47 en 2023), le volume global d’émissions IG a stagné, à 66 milliards d’euros. En conséquence, les corporates français, qui représentaient 23 % du volume d’émissions euros IG en 2023, sont tombés à 19 % en 2024. La situation politique a-t-elle contribué à cette stagnation ? En fin d’année, probablement sous l’effet de la motion de censure, un écartement notable des spreads a eu lieu, concernant l’indice Iboxx, qui retrace l’évolution moyenne des taux concernant l’ensemble des émetteurs corporate. « Depuis le 30 novembre, on a noté une légère sous-performance relative des corporates français : l’indice iboxx France s’est écarté de 6 points de base par rapport à l’lboxx général euro », relève Blaise Bourdy, responsable de l’origination marchés de capitaux de dette pour les entreprises - France, Belgique et Luxembourg chez Société Générale CIB.

«Depuis le 30 novembre, on a noté une légère sous-performance relative des corporates français : l’indice Iboxx France s’est écarté de 6 points de base par rapport à l’lboxx général euro.»

Blaise Bourdy responsable de l’origination marchés de capitaux de dette pour les entreprises - France, Belgique et Luxembourg ,  Société Générale CIB

Un retour des émetteurs high yield

Si la sous-performance des émetteurs français est manifeste s’agissant de l’investment grade, elle a été beaucoup moins frappante concernant le compartiment high yield. Au niveau européen, il a connu une année remarquable, le total des émissions euros étant multiplié par 2,5, d’une année sur l’autre. « Dans le domaine des émissions obligataires high yield euro, 2024 a été une année exceptionnelle avec un volume global de près de 100 milliards d’euros, proche du record de 2021 », relève Pierre-François Martineau, head of leveraged corporates France pour Crédit Agricole CIB. Pour les émetteurs français, la progression est un peu moins forte, mais le volume global de leurs émissions a tout de même été multiplié par 2,15, à 19 milliards d’euros. Quatre opérations ont notamment marqué le marché français : AccorInvest pour 1,4 milliard d’euros, CMA CGM pour 600 millions, ainsi que Forvia (deux fois 500 millions) et Paprec (200 millions).

Sur l’ensemble du marché, l’afflux de liquidités s’est accompagné d’une demande importante d’actifs plus à risque que la moyenne du compartiment high yield. « On note un appétit croissant pour le risque, avec 50 % d’émissions notées “single B” », note Pierre-François Martineau. Ce flux d’émissions obligataires européennes, dont l’essentiel sert à refinancer des émissions précédentes (69 %), devrait se poursuivre. « Les mois de janvier et février devraient être encore très actifs dans le domaine du high yield », estime Pierre-François Martineau.

L’année 2025 sera-t-elle aussi faste pour le marché obligataire primaire ? L’engouement de 2024 a fait monter les prix des titres, et donc baisser les spreads, de façon peut-être exagérée. « Les spreads de crédit des titres corporate euro se sont déjà bien resserrés, ce qui laisse peu de potentiel d’appréciation supplémentaire, souligne Mara Dobrescu, responsable de la recherche sur les fonds obligataires chez Morningstar. Dans un tel contexte, si la macroéconomie se dégrade ne serait-ce qu’un peu, on pourrait assister à un écartement des spreads et donc à une surréaction des investisseurs, qui sont malheureusement trop souvent sensibles à la performance de court terme. »

L’évolution de la politique économique américaine sera aussi un facteur de risque pour le marché du crédit, y compris euro.

Un fort regain des émissions hybrides

Si le volume global des émissions investment grade a stagné pour les émetteurs français, ceux-ci ont fortement contribué à animer le segment des émissions hybrides, qui a beaucoup progressé. « Les émissions de dette hybride (dette à durée indéterminée) ont fortement augmenté cette année, atteignant 27,5 milliards d’euros (+ 75 %), les émetteurs cherchant à refinancer les nombreuses émissions de l’année 2020, profitant de primes de subordination (il s’agit de dettes subordonnées) au plus bas et donc d’un coût global très modéré », relève Jérôme Pellet, head of corporate & public sector DCM origination France chez HSBC. Les émetteurs français ont représenté 30 % de ce marché en 2024, contre seulement 16 % en 2023.

De grandes entreprises ont largement contribué à cette performance, avec notamment TotalEnergies pour 2,5 milliards d’euros, Engie (1,835 milliard), EDF (1,15 milliard) et Alstom (750 millions). Roquette, pour son émission inaugurale, est également passée, notamment, par une tranche hybride de 600 millions.

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