dossier spécial

Les rencontres Private Equity

Publié le 13 mai 2022 à 11h00

Chloé Enkaoua    Temps de lecture 24 minutes

Malgré un contexte sanitaire et géopolitique chahuté, le marché du capital-investissement français fait preuve d’un dynamisme étonnant. Un constat partagé par tous les intervenants de la 6e édition des Rencontres Private Equity organisée par Option Finance, qui a eu lieu le 29 mars dernier dans les salons de l’Hôtel des Arts et Métiers à Paris. Entre optimisme, craintes et nouveaux défis juridiques, techniques et opérationnels, retour sur cet événement.

Levées de fonds records : le private equity fait un carton auprès des particuliers

Rien ne semble vouloir freiner la belle dynamique du capital-investissement, qui a atteint des records en 2021. Une frénésie qui concerne également les personnes physiques et les family offices, de plus en plus séduits par cette classe d’actifs et devenus la deuxième catégorie de souscripteurs derrière les compagnies d’assurances.

Avec :

  • Yoann Caujolle, directeur d’investissement et du développement au sein de la direction fonds de fonds, Bpifrance 
  • Alexis Dupont, directeur général, France Invest
  • Débat animé par : Pascal Koenig, président fondateur, Insight AM

Un alignement des planètes. C’est ainsi que les professionnels décrivent l’effervescence d’un secteur en plein essor en France, et qui séduit de plus en plus de monde. « Les levées des fonds d’investissement français ont de nouveau atteint des niveaux records avec une croissance évaluée à plus de 35 % au premier semestre 2021 », fait remarquer Pascal Koenig, président fondateur d’Insight AM. Pour preuve, les récents chiffres de France Invest. « En 2021, 24,5 milliards d’euros ont été levés rien qu’en capital-investissement, tous souscripteurs confondus », révèle Alexis Dupont, directeur général de France Invest. Une caractéristique particulière cette année : le poids des particuliers et des family offices, avec aujourd’hui près de 4,8 milliards d’euros levés auprès de cette population. « Les family offices français, notamment, ont presque triplé le montant des souscriptions », précise Alexis Dupont.

Démocratisation

Une démocratisation certaine du private equity qui a notamment poussé Bpifrance à lancer en février dernier son deuxième fonds grand public, Bpifrance Entreprises 2 (BE2), 18 mois seulement après le lancement de BE1. Comme le premier, le portefeuille de BE2 comporte quelque 1 500 entreprises dans des secteurs variés. « Nous sommes ravis d’avoir pu lancer ce produit, qui est complètement nouveau sur le marché et rencontre un grand succès », commente Yoann Caujolle, directeur d’investissement et du développement au sein de la direction fonds de fonds de Bpifrance. Cet engouement des particuliers pour le non-coté, même en cette période de crise, a plusieurs explications. « Cette population est désormais assez bien équipée pour comprendre la classe d’actifs, conseillée, et on trouve également des anciens entrepreneurs à succès qui ont été eux-mêmes accompagnés par des fonds d’investissement, et qui reviennent, analyse Alexis Dupont. Il y a surtout aujourd’hui un vrai sujet de sens, avec des actifs qui sont tangibles. On comprend ce dans quoi on investit. »

Perspectives et opportunités

Face à cet appétit grandissant des personnes physiques et des family offices, comment améliorer l’offre de fonds pour poursuivre sur cette lancée ? « Il y a aujourd’hui un nombre important de nos fonds partenaires qui réfléchissent à diversifier leur base de LPs en ouvrant un canal retail, observe Yoann Caujolle. C’est un mouvement qui est à l’œuvre. Plus généralement, on s’attend à voir sur le marché davantage de fonds portés par des particuliers qui souhaitent se doter d’un canal patrimonial ou retail. » Concernant les opportunités d’investissement, chacun mise sur la santé ou encore la cybersécurité. « Ce que l’on regarde également beaucoup aujourd’hui, quelle que soit la nature du sous-jacent, ce sont les critères ESG, et notamment le “E”, souligne Yoann Caujolle. On cherche des GPs qui ont une vision du marché à cinq ans sur l’impact environnemental. Si l’on veut céder l’actif dans quelques années, il faut en effet se projeter et faire un travail de due diligence pour aller chercher une bonne valorisation. » Pour la suite, le directeur d’investissement appelle à davantage de souplesse pour pouvoir s’adresser aux particuliers non professionnels et non avertis de manière optimale. « On tombe rapidement dans des lourdeurs, déplore-t-il. On s’adapte, mais on serait tout de même preneur d’une petite réflexion sur la clientèle moins patrimoniale. » A bon entendeur. 

Le financement de fonds devenu incontournable chez les acteurs du private equity

Les produits de financement de fonds se développent en vue d’accompagner la croissance des entreprises dans un contexte de reprise économique. Le point sur leurs caractéristiques et leur possible évolution.

Avec :

  • Alexandre Armbruster, head of private equity & infrastructure funds, Caisse des Dépôts
  • Karel Kroupa, managing partner, Argos Wityu
  • Olivier Vermeulen, managing partner, Paul Hastings

Débat animé par : Elise Gourier, associate professor in Finance, ESSEC Business School

Protéiforme, le financement de fonds couvre tout le cycle de vie d’un fonds et sous-tend les relations entre le limited partner (LP) et le general partner (GP). Selon Elise Gourier, associate professor en Finance à l’Essec Business School, ce dernier trouve dans ces différents montages un moyen de mitiger les risques et d’améliorer notamment la gestion des cash-flows. Le plus répandu actuellement ? L’equity bridge financing (EBF) ; un financement-relais apparu il y a une quinzaine d’années dans le monde du private equity, qui vient assurer la transition avant que ne soient effectués les appels de capitaux auprès des souscripteurs. « On l’utilise avec deux objectifs : faciliter la gestion des appels de fonds pour nos propres souscripteurs et LPs, et optimiser le taux de rendement interne (TRI), notamment dans les phases initiales d’investissement », liste Karel Kroupa, managing partner chez Argos Wityu.

Une éducation à faire

Côté LPs, l’utilisation de l’EBF est aussi une pratique très courante comme l’atteste Alexandre Armbruster, head of private equity & infrastructure funds à la Caisse des Dépôts. « Ce qui varie, c’est l’usage qui en est fait sur la durée d’utilisation, note-t-il. Les fonds nord-américains peuvent par exemple l’utiliser trois semaines seulement, d’autres jusqu’à 12 mois. Ce n’est pas forcément une bonne chose car quand le GP est bon, il n’y a pas besoin d’optimiser son TRI à outrance. » Pour les phases de vie suivantes, les facilités NAV prennent de plus en plus souvent le relais. « Ce sont des financements qui sont assis sur la valeur des actifs dans le portefeuille, explique Olivier Vermeulen, managing partner de Paul Hastings. Cela permet aux fonds de récupérer un peu de liquidités pour investir. On voit aussi des financements de plus en plus hybrides, qui sont un mélange d’EBF et de NAV. La principale complexité d’un financement de fonds, c’est qu’on ne vient pas forcément nous voir assez tôt, alors que l’aspect préparatoire est le plus important. » Alexandre Armbruster remarque également un véritable essor du NAV financing, notamment côté GPs. « Il faut juste savoir dans quelles proportions l’utiliser, et comprendre ce que l’on signe, insiste-t-il. Les GPs doivent être transparents à ce sujet, à travers des documentations ad hoc et des schémas de simplification montrant le champ des possibles. »

Tendance de fond

De manière générale, l’utilisation de ces différents produits apparaît comme une vraie tendance de fond. « Il peut y avoir des arrêts temporaires et des prêteurs qui lèvent le crayon, dans un contexte inflationniste qui va nécessairement arriver », tempère toutefois Karel Kroupa. « La difficulté, c’est que toutes les banques n’ont pas le même accès aux financements EBF, car elles n’ont pas toute la même capacité à traiter la demande », remarque de son côté Olivier Vermeulen. Lequel note également des financements de fonds désormais très réceptifs aux problématiques ESG. « On a fréquemment mis en place des règles de bonne conduite, car les fonds d’infrastructure sont très friands du sujet, révèle-t-il. Il y a une vraie demande de la part de l’ensemble des acteurs, côté prêteurs comme côté emprunteurs, et une démarche collective pour que ces critères ESG soient respectés. » 

«On voit des financements de plus en plus hybrides, qui sont un mélange d’EBF et de NAV»

Olivier Vermeulen Managing partner ,  Paul Hastings

ESG & impact : le private equity en quête de sens…

Une transformation plutôt qu’une transition. C’est ainsi que les spécialistes du capital-investissement désignent le virage ESG qui impacte aujourd’hui les entreprises et l’économie de l’Hexagone, d’autant plus depuis la crise sanitaire. Une situation qui oblige les fonds, ainsi que leurs conseils, à s’adapter…

Avec :  

  • Sylvain Lambert, associé responsable et co-fondateur du département développement durable, PwC France
  • Nicola Di Giovanni, associé private equity, Winston & Strawn
  • Emmanuel Laillier, head of private equity, Tikehau
  • Mathieu Cornieti, CEO, Impact Partners
  • Débat animé par : Henry Saint-Bris, président, Ansa Services

L’ESG et l’ISR connaissent une accélération tous azimuts dans le secteur du private equity. « Il y a une urgence d’agir, affirme Henry Saint-Bris, président d’Ansa Services. C’est d’abord dû à un phénomène de génération : les baby-boomers sont partis des zones de pouvoir et ont été remplacés par des CEO quarantenaires qui embauchent des jeunes dans la vingtaine. Sans compter que les marques précèdent désormais le régulateur, et que la finance a compris que si l’on voulait être net zéro en 2050 ou 2040, il fallait transformer toute l’économie. » Mathieu Cornieti, CEO au sein de la société de gestion Impact Partners, ne croit pour sa part pas tant à un changement de génération qu’à une urgence presque vitale d’intégrer ces critères dans les stratégies d’investissement des fonds. « Si les choses changent aujourd’hui, c’est qu’il est déjà trop tard », assure-t-il.

«Notre fonds de transition énergétique identifie et sélectionne des entreprises qui vont avoir un impact en ce sens.»

Emmanuel Laillier Head of private equity ,  Tikehau

Transformation du modèle

Une statistique issue d’une récente étude du cabinet PwC vient illustrer cette transformation à marche forcée : en 2021, 66 % des investisseurs ont ainsi classé la création de valeur comme l’un des principaux moteurs de l’investissement responsable. « Les grands acteurs cotés sont en train de revoir leur dialogue avec leurs investisseurs et parlent désormais climat, matérialité et gouvernance, rapporte Sylvain Lambert, associé responsable et co-fondateur du département développement durable chez PwC France. Cela n’est pas sans conséquences sur les stratégies d’entreprises et les investissements, mais aussi sur des business qui sont condamnés à plus ou moins long terme. » Nicola Di Giovanni, associé en private equity chez Winston & Strawn, évoque également une transformation radicale du modèle. « Ce changement, on le constate en tant qu’avocats et on accompagne nos clients en ce sens, en les aidant notamment à y voir plus clair dans la nouvelle jungle réglementaire et législative. Les LPs et fonds de fonds considèrent désormais l’ESG comme un critère d’investissement à part entière. » Ainsi, les directeurs RSE sont aujourd’hui légion au sein des fonds, toutes tailles confondues, de même que les politiques internes ad hoc.

«Les grands acteurs cotés parlent désormais climat, matérialité et gouvernance à leurs investisseurs.”»

Sylvain Lambert Associé responsable et co-fondateur département développement durable ,  PwC France

Création de valeur

Chez Tikehau Capital, un « Climate Center » a été créé pour réfléchir à ces sujets, et des feuilles de route sont mises en place. « Notre fonds de transition énergétique identifie et sélectionne des entreprises qui vont avoir un impact en ce sens, ajoute Emmanuel Laillier, head of private equity au sein de la société de gestion d’actifs alternatifs. Nous avons par exemple récemment investi dans une ETI italienne qui fabrique des rotors et des stators. Depuis, cette société a pu investir massivement en Europe et doubler son chiffre d’affaires sur le segment du véhicule électrique. Tout l’enjeu est d’aider ces entreprises à transitionner et à créer en même temps de la valeur. » C’est d’ailleurs un fait : à l’issue de la crise sanitaire, les sociétés les plus résilientes sont celles qui avaient mis l’accent sur leur politique RSE. « Nous-mêmes, en tant qu’avocats, sommes également jugés dans les appels d’offres sur notre engagement à respecter ces normes et sur notre démarche RSE », témoigne Nicola Di Giovanni. Sylvain Lambert relève également un autre sujet prenant de plus en plus d’ampleur : la guerre des talents. « L’attractivité devient un enjeu majeur, assure-t-il. Chez PwC, tous métiers confondus, 78 % des questions portent sur ce que l’on fait en matière de RSE et de diversité. » 

«Les LPs et fonds de fonds considèrent désormais l’ESG comme un critère d’investissement à part entière.»

Nicola Di Giovanni Associé private equity ,  Winston & Strawn

Pour les managers, l’arrivée d’un fonds au capital peut poser un véritable défi de gouvernance. Afin que le mariage soit réussi, il est donc impératif de respecter quelques prérequis et de ne pas négliger le fonctionnement du couple CEO/CFO, qui doit s’adapter au langage des uns et des autres.

Avec :

  • Jean-Luc Izoard, directeur administratif et financier, Ellisphère
  • Claire Revol-Renié, associée corporate, Scotto Partners

Débat animé par : Susanne Liepmann, international group Cfo, Htl Biotechnology et présidente, Fi Plus

Les LBO ont beau avoir le vent en poupe, plusieurs éléments sont à prendre en compte pour éviter le désastre. Le premier réside dans la qualité même de la société cible. « Il faut qu’elle soit créatrice de valeur et résiliente, avec des perspectives de développement et un business plan ambitieux mais raisonnable, liste Jean-Luc Izoard, directeur administratif et financier d’Artémis, holding de la société Ellisphère. Il faut également une équipe de management soudée et expérimentée sur son business et son marché, et un bon feeling avec l’ensemble des fonds. »

Alignement des intérêts

Les conseils sont également pour lui indispensables dans la réussite d’un LBO et aident à créer l’alignement des intérêts entre le fonds et les managers. Un élément fondamental selon Claire Revol-Renié, associée corporate chez Scotto Partners. « Je parle souvent du “contrat business plan” : le management le porte sur un plan opérationnel et le fonds d’investissement doit s’assurer qu’il va être correctement mis en place, explique-t-elle. Le management package est la clé de tout cela, car il permet de mettre tout le monde sous la même bannière. » Quant à la mise en place d’un co-contrôle juridique, l’associée l’atteste : il est essentiellement demandé dans des cas où le management est minoritaire en equity. « Nous avons eu cette année deux ou trois cas de co-contrôle qui ont été demandés et obtenus sans problème, indique-t-elle. C’est une sécurité psychologique dans certaines situations, comme une sorte de garde-fou. Mais systématiquement, ces clauses de co-contrôle sont amoindries par des clauses de sous-performance. » L’important étant d’être bilingue fonds/management et de s’assurer du bon fonctionnement du couple CEO/CFO, comme l’affirme Susanne Liepmann, CFO chez HTL Biotechnology et présidente de FI Plus. « On en revient toujours à l’alignement des intérêts, souligne-t-elle. Il faut aussi parfois savoir dire non, notamment dans les LBO secondaires ou tertiaires où le management est à la fois acheteur et vendeur. »

«Les clauses de co-contrôle sont systématiquement amoindries par des clauses de sous-performance.»

Claire Revol-Renié Associée corporate ,  Scotto Partners

Négociation et perspectives

Pour Jean-Luc Izoard, le pouvoir de négociation des managers, faible au départ dans un LBO primaire, augmente au fil des investissements, de l’expérience et de la montée au capital des managers. « Les points clés qu’il faudra négocier portent sur le montant des investissements et des réinvestissements, sur les clauses de leaver et de partage de valeur, ainsi que sur les clauses de gouvernance », détaille-t-il. Avec la crise sanitaire, les cabinets ont néanmoins dû renégocier des management packages, dans la mesure où le fameux alignement des intérêts s’est parfois retrouvé rompu. « Il y a eu une vraie collaboration fonds/top management sur ce sujet, atteste Claire Revol-Renié. On nous a demandé de mettre en place des clauses de suspension ou encore des promesses de rachat afin de décaler le calcul à des jours meilleurs. » Les arrêts du Conseil d’Etat ont également compliqué les choses. « Nous réfléchissons actuellement à des solutions sur les management packages en cours, mais elles se heurtent forcément à des sujets business et commerciaux », poursuit l’associée. La solution ? « Nous sommes convaincus qu’elle se trouvera dans une évolution législative, dans une prochaine loi de finances par exemple. » 

Private equity : vers une croissance de l’investissement « distressed debt » ?

Dans un environnement macro-économique bousculé par les crises successives, les opportunités d’investissement en « distressed debt » sont nombreuses pour les fonds. Et les récentes évolutions législatives pourraient bien appuyer davantage ce phénomène.

Avec :

  • Alexandra Bigot, restructuring partner, Latham & Watkins
  • Arnaud Joubert, partner - debt advisory & restructuring, Rothschild & Co
  • Joanna Rousselet, administrateur judiciaire, Abitbol & Rousselet

La crise de liquidités de 2008 a laissé la place à une crise plus conjoncturelle, induite notamment par le Covid-19 et plus récemment par le contexte géopolitique. Mais elle n’en est pas moins dévastatrice pour certains secteurs d’activité. « La crise sanitaire a engendré des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement, et l’irruption de la guerre en Ukraine est venue ajouter encore plus de disruption en impactant notamment l’énergie, expose Arnaud Joubert, associé debt advisory & restructuring chez Rothschild & Co. Nous sommes face à un contexte macroéconomique d’inflation très forte que nous n’avons pas connu depuis 40 ans. »

Des opportunités à saisir

Un contexte qui crée des opportunités pour les spécialistes de la « distressed debt », avec notamment un ajustement des prix des obligations high yield ou des term-loans émis par les sociétés sous LBO qui a donné l’occasion à plusieurs investisseurs de rentrer à des prix considérés comme très décotés. « Mais nous ne sommes pas encore dans des zones d’investissement de type “debt to equity”, précise Arnaud Joubert. Nous sommes plutôt à l’aube de quelques accidents industriels de sociétés qui n’arriveront pas à gérer l’inflation de leurs coûts, et qui vont avoir des niveaux de trading de dette qui vont s’effondrer et pourront donner lieu à des investissements plus agressifs de la part d’investisseurs spécialisés. » Joanna Rousselet, administratrice judiciaire chez Abitbol & Rousselet, anticipe des opportunités d’investissement en « distressed debt » dans des secteurs tels que le retail, le BTP, la restauration, le tourisme, le transport ou encore l’événementiel. « Il va aussi y avoir des opportunités micro liées à des actionnaires familiaux qui ne pourront plus suivre les besoins de financement de leur groupe, mais aussi calendaires, car les premières échéances des PGE devront bientôt commencer à être remboursées. » Pour Alexandra Bigot, associée en restructuring chez Latham & Watkins, les investisseurs en « distressed debt » sont particulièrement intéressants pour permettre de mobiliser des liquidités importantes rapidement. « Sans ces fonds, pendant la crise sanitaire, des entreprises telles que Vallourec ou Technicolor n’auraient pas pu trouver les liquidités suffisantes car malheureusement, nous n’avons pas ce genre de fonds en France », fait-elle remarquer.

«Sans les fonds “distressed debt”, pendant la crise sanitaire, des entreprises telles que Vallourec ou Technicolor n’auraient pas pu trouver les liquidités suffisantes.»

Alexandra Bigot Associée restructuring ,  Latham & Watkins

Evolution du cadre juridique

Les récentes évolutions législatives pourraient bien changer la donne et attirer davantage de fonds « distressed debt » pour investir en France, notamment avec l’ordonnance du 15 septembre 2021 portant sur la transposition de la directive européenne du 20 juin 2019 dite « Restructuration et insolvabilité ». Y compris des acteurs hexagonaux. Un « changement de paradigme » selon Joanna Rousselet qui salue un droit un peu moins politique et plus économique, et donc plus intelligible pour les investisseurs. 

Le mécanisme de cross-class cram-down, avec un renforcement des droits des créanciers dans la monnaie, ou encore la possibilité d’imposer un plan aux actionnaires, y compris un plan prévoyant la conversion de dette en equity, font partie des évolutions qui pourraient séduire les fonds distressed. « C’est un changement dans les rapports de force, mais avec des garde-fous pour chacun », se félicite-t-elle. « On se rapproche de ce qui se fait dans le monde anglo-saxon, et l’on devrait donc attirer des investisseurs en “distressed debt” qui ne voulaient auparavant pas investir en France, considérée comme un pays trop “borrower-friendly” », estime pour sa part Arnaud Joubert. 

Restructuring - Directive sur les procédures de restructuration préventive : les nouvelles règles du jeu 

L’ordonnance du 15 septembre 2021 entrée en vigueur le 1er octobre dernier, qui transpose la directive européenne « Restructuration et insolvabilité », vient redistribuer les cartes entre créancier et débiteur. Focus sur un texte à la fois complexe et novateur.

Avec : 

  • Julien Bracq, rapporteur, CIRI - Comité interministériel de restructuration industrielle
  • Guilhem Bremond, partner, Paul Hastings
  • Charlotte Fort, administrateur judiciaire associée, FHB

Débat animé par : Véronique Pernin, CEO founder, VP STRAT

Avec la transposition de la directive européenne du 20 juin 2019 dite « Restructuration et insolvabilité », c’est un certain nombre de mesures d’urgence prises dans le cadre de la crise sanitaire qui ont été pérennisées, telles que la possibilité d’obtenir des « standstill » judiciaires en procédure de conciliation. C’est en tout cas ce qu’indique Julien Bracq, rapporteur au sein du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI). « Cette réforme ne bouleverse pas l’architecture du droit français en la matière, mais elle a été faite dans le souci de rendre la place française plus attractive en se rapprochant des standards appliqués dans d’autres pays, affirme-t-il. Son but est de renforcer la cohérence et la gradation entre les procédures et d’opérer un rééquilibrage entre les différentes parties prenantes : débiteurs et créanciers, mais aussi créanciers “in the money” et “out of the money”. »

«Le“cross-class cramdown”repose sur trois stades : constitution des classes, vote, et soit j’obtiens la majorité des deux tiers dans chacune des classes, soit j’ai des classes qui vont imposer leur majorité aux autres.»

Guilhem Bremond Associé ,  Paul Hastings

Questions de classes

Outre la fusion des procédures de sauvegarde accélérée et de sauvegarde financière accélérée, la réforme, qui concerne un nombre limité d’entreprises – 20 millions d’euros de chiffre d’affaires et 250 salariés, ou 40 millions d’euros de chiffre d’affaires sans conditions –, prévoit notamment la suppression des plans à 10 ans imposés par tribunal en sauvegarde, mais aussi l’introduction du système de « cross-class cram-down », ou application forcée interclasse. Lequel permet aux créanciers dans la monnaie d’imposer un plan aux autres classes de créanciers ayant moins voix au chapitre. « Les questions de valorisation et de rang des différentes parties sont au cœur du dispositif, car c’est sur cette base que l’on va déterminer qui est dans la monnaie et qui ne l’est pas », commente Julien Bracq. Guilhem Bremond, associé chez Paul Hastings, salue de son côté un « système intelligent, car cohérent économiquement ». « Il repose sur trois stades : je constitue des classes, je les fais voter, et soit j’obtiens la majorité des deux tiers dans chacune des classes, soit j’ai des classes qui vont imposer leur majorité aux autres », détaille-t-il.

L’entreprise avant tout

Un rapport de force modifié, donc, mais pas la finalité de la démarche. « Si l’on se place du point de vue de l’actionnaire, tout le système est construit pour inciter à trouver un accord le plus tôt possible, idéalement dans la phase amiable de façon confidentielle, indique Charlotte Fort, administratrice judiciaire associée chez FHB. Dans le cas où l’on n’y parviendrait pas, les outils déployés derrière ont une graduation et une coloration très nettes. » Pour l’administratrice judiciaire, quelques complexités subsistent, notamment sur les réparations en cas d’appel de la décision qui arrête le plan de façon forcée. Un point que le texte actuel ne fixe pas. Le principal avantage étant, pour elle, que le tribunal garde toute sa place dans le processus. « Quelle que soit la négociation, à la fin, il faudra démontrer sa robustesse économique au tribunal, conclut-elle. Le but n’est pas de jouer, mais de redresser l’entreprise et de lui donner des fondamentaux solides. » 

Fiscalité et capital-investissement : tendances et nouveautés post-crise

Après un coup d’arrêt dû à la pandémie, 2021 a vu les contrôles fiscaux reprendre leur cours normal. Tour d’horizon entre nouvelles tendances et actualité européenne.

Avec : 

  • Edouard de Rancher, associé, Winston & Strawn
  • Hélène Montredon, directrice fiscale, BPI France
  • Débat animé par : France Vassaux d’Azemar de Fabregues, directrice  générale adjointe, France Invest

Suite aux suspensions de délais induits par la crise sanitaire, l’année dernière a été marquée par un retour à la normale des contrôles fiscaux. « Nous avons constaté une attention particulière portée à tous les aspects procéduraux, des réunions de synthèse très structurées ainsi qu’un allongement des délais de reprise », rapporte Hélène Montredon, directrice fiscale de Bpifrance. La loi relative à la lutte contre la fraude du 23 octobre 2018, qui a notamment fait sauter le fameux verrou de Bercy, continue également d’impacter ces contrôles en ce qui concerne les pénalités. « Dorénavant, dans un certain nombre de cas, la transmission des dossiers se fait automatiquement au procureur de la République, poursuit-elle. Le problème qui se pose, c’est lorsqu’il y a une première application de la pénalité de 40 % ; on vit ensuite six ans avec une sorte d’épée de Damoclès au-dessus de la date car s’il y a une deuxième pénalité, alors la transmission se fait aussi automatiquement. Cela déséquilibre le rapport de force avec l’administration fiscale. »

Jurisprudence

Edouard de Rancher, associé chez Winston & Strawn, salue à ce sujet une nouveauté : le Service de mise en conformité fiscale (SMEC). « On peut aller le voir de manière anonyme pour exposer le sujet, et bénéficier d’une réduction des pénalités, explique-t-il. De manière générale, aujourd’hui, près d’un tiers des contrôles fiscaux sont déclenchés grâce au data mining. » En cas de contentieux, la jurisprudence est riche, notamment sur le management package. Concernant plus particulièrement les règles liées à l’administration de la preuve sur le taux applicable dans les opérations de financement, huit fiches ont été publiées en décembre dernier sur le site impots.gouv. « Nous avons mené ce travail avec le contrôle fiscal, commente France Vassaux-d’Azémar de Fabrègues, directrice générale adjointe chez France Invest. Nous avons eu une avalanche de contrôles sur ces sujets-là, et heureusement, ces fiches sont venues assainir la question de l’administration de la preuve. » Pour Hélène Montredon, si elles sont « bienvenues », les fiches publiées par l’administration fiscale sont néanmoins arrivées tardivement pour l’essentiel et reprennent des éléments déjà donnés par les jurisprudences. « Or, la jurisprudence a un temps qui n’est pas celui du capital-investissement », souligne-t-elle.

«De manière générale, aujourd’hui, près d’un tiers des contrôles fiscaux sont déclenchés grâce au data mining.»

Edouard de Rancher Associé ,  Winston & Strawn

Evolutions européennes

Au niveau européen, les textes sont également très fournis entre ATAD 1, visant à limiter la déductibilité des charges financières à 30 % d’Ebitda, ou encore ATAD 2, destiné à lutter contre les dispositifs hybrides. Des textes comportant « beaucoup de zones grises » selon Edouard de Rancher, et surtout particulièrement complexes. « Ils ne sont pas identiques dans tous les pays de l’Union européenne, avec des phénomènes d’harmonisation qui vont prendre du temps et des textes qui ne sont pas toujours d’une clarté limpide », pointe Hélène Montredon. La directive ATAD 3 dont l’objectif est de s’attaquer aux sociétés écrans, censée entrer en vigueur en janvier 2024 avec une transposition courant 2023, ne devrait pas arranger cela… « Cela va encore complexifier les choses, souffle la directrice fiscale. Et lorsqu’il y a de la complexité, il y a de l’insécurité. » 

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