Les générations digitales natives ont de nouvelles façons de consommer et de travailler, obligeant les entreprises à se réinventer sur de multiples aspects et à engager une transformation de leur organisation. Si la valorisation de l’expérience et du parcours client représentent souvent le premier objectif de cette transformation, elles n’en sont pas le seul élément moteur ni la seule finalité. En s’engageant dans cette démarche, les entreprises favoriseront la mise en œuvre de nouveaux business models et façons de travailler, le développement de l’innovation et donc, l’émergence de nouveaux services ou produits. Une stratégie qui nécessite de s’appuyer sur les technologies du digital.
- La nécessité de mettre en place une stratégie omnicanal
- Les autres leviers de la transformation digitale
- Les freins qui subsistent
- Accompagner le changement
- Vers une accélération des transformations
- Recruter de nouvelles compétences
- Le digital permet l’ouverture à un écosystème
- Les technologies qui accompagnent la transformation digitale
- La transformation digitale contribue au développement de nouveaux services
La nécessité de mettre en place une stratégie omnicanal
Anne Lacouberie, directrice marketing stratégique d’Econocom : La révolution digitale est impulsée par le collaborateur et le client et par leur expérience personnelle au quotidien. Ils ont du mal à concevoir que, dans leur entreprise ou dans les points d’accueil de leurs enseignes préférées, ils ne disposent pas des mêmes outils que ceux qu’ils utilisent à titre personnel. Par exemple, seulement 30 % des entreprises équipent tous leurs collaborateurs d’outils mobiles et seulement 18 % ont profondément remis en cause l’organisation des espaces de travail pour prendre en compte le digital1.
Ana Athayde, directrice marketing et stratégie internationale d’Akio : Aujourd’hui, le client souhaite interagir avec la marque quand il veut, comme il veut et à partir du canal qu’il choisit. Il s’attend à ce que la marque soit capable de lui répondre sur le même canal en fonction de ses problématiques. La marque subit donc cette évolution des comportements et des usages, qui ne sont plus uniquement l’apanage des jeunes générations. Elle la subit d’autant plus que tout cet univers digital ne remplace pas le contact humain mais vient le compléter. Il faut donc que la marque soit capable d’engager sa transformation digitale et de s’adresser aux clients via cet ensemble de canaux tout en développant une relation de proximité avec eux.
Guillaume Lefebvre, responsable du département R&D «User Experience» de Worldline : Au-delà du web et de la tablette, les utilisateurs finaux ont besoin d’immédiateté. Or, ces éléments clés sont à la source de la transformation de nos clients. Par exemple, nous travaillons sur la transformation digitale de McDonald’s. Concrètement, nous avons déployé des outils permettant aux clients de commander et de payer en ligne pour que le restaurant ne soit plus qu’un lieu de plaisir et de consommation. Ces nouveaux parcours clients laissent aux consommateurs plus de temps pour choisir et leur évitent le stress d’une file d’attente. Le parcours client était donc le point de départ de ce projet. A cela s’est ajoutée la volonté pour la marque d’individualiser sa relation avec chaque consommateur en lui apportant le bon contenu au bon moment. Or, pour s’engager dans cette démarche, il était nécessaire de mettre en place des canaux online et de digitaliser les restaurants. Dans ces transformations, nous parlons certes du consommateur mais nous agrégeons par ailleurs beaucoup d’autres choses telles que la connaissance client, la relation client, la data, le multicanal au sens du «online». Si un certain nombre de ces projets ne sont pas nouveaux, en revanche, nous entrons aujourd’hui dans une phase d’accélération de ces transformations, portée par la maturité des technologies et des utilisateurs. Il est d’ailleurs, à ce sujet, intéressant de se pencher sur la façon dont les utilisateurs profitent de ces nouvelles technologies. Par exemple dans le monde, 90 % des SMS envoyés sont aujourd’hui lus dans les trois minutes qui suivent. En France, 48 % des gens répondent dans la minute aux SMS qu’ils reçoivent. Ils ont besoin que le service évolue au même rythme que les usages qu’ils ont des nouvelles technologies.
Andrew Amiach, fondateur d’iCave et directeur des Crayères des Montquartiers : De notre côté, nous n’avons pas, dans le cadre de notre activité, la même problématique de gestion du temps car nous travaillons sur la maturation des vins. Nous nous sommes néanmoins rendu compte que les particuliers avaient envie de profiter de leurs vins avec plus de souplesse et d’interactivité. Dans le cadre de notre digitalisation, nous avons créé un produit très spécifique pour les particuliers qui manquent de place pour stocker leurs bouteilles et souhaitent être accompagnés dans la gestion de leur cave à vin. Le digital nous a été d’autant plus précieux dans cette approche client qu’il nous permet de délivrer un service très précis, «à la bouteille».
Fabien Barrois, cofondateur et codirigeant de Tailor Corner : Pour notre part, nous sommes partis d’un besoin et d’une problématique marché. Notre idée consistait donc à faire des costumes sur mesure de manière à rendre accessibles tous les choix possibles. Il nous a fallu ensuite réfléchir à la façon dont nous pouvions délivrer ce service, en fonction des attentes du consommateur. En matière de vêtement, le consommateur demande souvent à voir le produit. Or, comment voir un costume qui, fait sur mesure, n’est pas confectionné par avance ? Nous avons donc dû inventer un concept et pris la problématique à l’envers et mis en place un nouveau parcours client qui passe par la relation que nous avons avec le client, conjuguée aux outils digitaux. Aujourd’hui, nous constatons qu’un certain nombre de grandes enseignes de prêt-à-porter sont attentives à ce que nous faisons et à notre business model, qui est complètement différent du leur, même si le produit, au final, est le même. Néanmoins, nous nous inscrivons davantage comme une société qui vient en complément des autres acteurs du marché du prêt-à-porter plutôt que comme un challenger qui vient les «ubériser».
Les autres leviers de la transformation digitale
Olivier Laborde, directeur Marketing, Innovation & Digital chez Natixis Assurances : Les collaborateurs «bousculent» également l’entreprise. Ce sont aussi des clients, des consommateurs qui vivent le digital et s’approprient les usages numériques au quotidien. Ils attendent de les retrouver sur leur lieu de travail. Ainsi chez Natixis Assurances, les collaborateurs sont l’un des moteurs forts de la transformation digitale. Car si nous voulons une relation client fluide et digitale, il faut une relation collaborateur fluide et digitale. Nous croyons fortement que c’est parce que nous aurons des collaborateurs acculturés au digital que nous pourrons mettre en place une relation client et des business models pertinents pour le digital.
Bertrand Duperrin, responsable du pôle transformation d’entreprises chez Emakina : Selon Altimeter Group, 85 % des entreprises ont entrepris leur transformation digitale mais 25 % seulement savent pourquoi. Aujourd’hui tout le monde a les yeux rivés sur l’expérience client, mais c’est une vision très court termiste qui finit par se heurter à la réalité humaine de l’entreprise. Il n’est pas envisageable de construire durablement un business model construit sur l’expérience client sans que cette dernière ne soit supportée par une expérience employé. A l’ère digitale, une entreprise qui n’est pas une expérience n’est plus une marque, elle devient au mieux une commodité. Il importe donc de s’interroger avant tout sur l’expérience que l’on veut offrir au client, les services à lui apporter, pour aligner l’expérience employé derrière en termes de process, d’outils et modèle de travail et de management. On ne peut s’approprier, penser et délivrer une expérience qu’on ne vit pas soi-même. La transformation digitale c’est donc aussi voir le collaborateur comme le premier client de l’entreprise. Sans cela, on reste au stade d’une promesse qu’on est incapable de délivrer. Ensuite seulement vient la question de la technologie.
Anne Lacouberie : Les entreprises les plus avancées dans leur transformation digitale sont, d’après notre baromètre1, autant performantes dans leur relation client que dans leur expérience collaborateurs. Elles se caractérisent également par un engagement fort de la direction quant à la bonne marche de cette transformation digitale. Ces entreprises développent de fortes interactions et des partenariats nombreux avec leur écosystème, notamment en innovation ouverte. Leurs principaux moteurs sont l’innovation, la croissance et la conquête de nouveaux territoires.
Laurence Augoyard, CEO Altares : La transformation digitale des entreprises peut également être déclenchée par d’autres facteurs : une nouvelle réglementation ; l’open data qui va créer autant d’opportunités de transformation digitale et donc de nouveaux modèles digitaux ; l’arrivée de concurrents alternatifs (ubérisation) qui force les sociétés à se réinventer ; la recherche de leviers de croissance à l’international, car le digital permet plus rapidement d’être «global» ; l’écosystème. Nous sommes en effet aujourd’hui dans une data économie, une économie partagée. Les sociétés de conseils, les start-ups ou autres jeunes entreprises, font bouger les lignes en «challengeant» les entreprises traditionnelles sur la façon d’exercer leur activité.
Bertrand Duperrin : Jack Welch, l’ex-CEO de General Electric, disait : «Quand la vitesse du changement à l’extérieur de l’entreprise dépasse la vitesse du changement à l’intérieur, la fin est proche.» De manière générale, il s’agit de donner à l’entreprise les moyens d’avancer et de se transformer au même rythme que son marché et que ses clients, de suivre le rythme d’évolution de leurs attentes et de leurs exigences. Cela passe par trois impératifs que les directions générales ont bien saisis. Le premier est de travailler l’axe de la connaissance client. Indispensable pour être en anticipation plutôt qu’en réaction ainsi que pour augmenter la valeur perçue de l’expérience proposée. Le second est l’innovation, car la connaissance sans capacité à innover, tester, améliorer rapidement n’amène pas loin. Le troisième est un besoin de simplification. L’entreprise a répondu à la complexification du monde par de la complication interne à un point tel qu’elle a perdu toute agilité et qu’un grand nombre de collaborateurs ont perdu de vue la raison d’être de leur mission. Et il y a urgence à agir : selon Deloitte, l’espérance de vie des entreprises du Fortune 500 est passée de 75 ans il y a 50 ans à 15 ans aujourd’hui et 52 % ont disparu ou ont été rachetées depuis 2000. Aucune entreprise n’est donc à l’abri, et les retournements de situation sont rapides.
Les freins qui subsistent
Olivier Laborde : Les collaborateurs sont généralement enthousiastes face au projet de transformation digitale de l’entreprise et ne sont pas un frein. De leur côté, les managers doivent suivre et adapter leur mode de management. En effet, l’une des facettes du digital, au-delà de la transparence, est la transversalité. Jusqu’à présent les grandes entreprises étaient organisées de manière très pyramidale. Avec les réseaux sociaux d’entreprise et la création de communautés d’experts, l’échange devient de plus en plus transversal et matriciel ce qui challenge le fonctionnement actuel. Les managers doivent revoir leur manière de fonctionner, ce qui n’est ni intuitif ni rapide.
Anne Lacouberie : Le manque de moyens financiers pour mener ces projets représente le premier frein naturellement cité par 35 % des entreprises. La sécurité des données apparaît également comme un obstacle pour 30 % d’entre elles. Enfin, la résistance interne au changement est responsable pour 35 % des entreprises, du ralentissement voire de l’inertie des projets. Ces freins, s’ils sont clairement identifiés et levés, nous montrent des leviers majeurs pour accélérer les nécessaires transformations. C’est la bonne nouvelle !
Bertrand Duperrin : il y a un vrai enjeu de leadership et de capacité à incarner le changement au niveau des directions générales. Elles ne peuvent plus se contenter de décider et faire exécuter, mais doivent prendre le temps de s’acculturer, désapprendre, apprendre, pratiquer et enfin se transformer elles-mêmes. C’est indispensable à la mise en mouvement de l’entreprise. Il faut avoir conscience que la culture digitale ne s’achète pas, elle se vit et s’incarne et qu’un escalier se balaie en partant du haut ! Et il faut du temps pour que les choses se passent rapidement.
Accompagner le changement
Guillaume Lefebvre : Même si les collaborateurs montrent à titre personnel une certaine appétence pour les outils digitaux, dès lors qu’il s’agit de les utiliser dans le cadre de leur travail, certaines questions se posent tandis que des façons de faire différentes doivent être mises en place. Par exemple, nous évoquions le fait que le digital requiert davantage de transparence de la part des collaborateurs vis-à-vis des utilisateurs. Un client qui appelle sa banque pour prendre rendez-vous va potentiellement s’attendre à voir apparaître en ligne l’agenda de son conseiller. Il convient donc d’accompagner les collaborateurs sur l’usage de ces nouveaux outils et la façon de délivrer le service qui en découle. Il s’agit d’une démarche compliquée car elle impose de revoir toutes les strates de l’entreprise pour s’inscrire dans un mode de fonctionnement transverse où chaque collaborateur pourra s’appuyer sur les compétences de ses collègues. Cet accompagnement porte sur les technologies mais aussi sur les méthodes à mettre en place pour créer et délivrer ces nouveaux services. Cela prend du temps mais demande aussi des moyens.
Laurence Augoyard : La transformation digitale doit aussi être vue comme une démarche stratégique qui va balayer de fond en comble tous les fondamentaux pour se réinventer. Il ne s’agit pas uniquement d’acculturer les collaborateurs mais de trouver de nouveaux modèles de revenus. A cette fin, il convient d’abord de partir d’une page blanche et d’oublier comment l’entreprise fonctionnait auparavant. Ensuite, il faut réfléchir avec les collaborateurs à de nouvelles façons de travailler, de penser l’activité, de concevoir les produits, de gouverner la société, de communiquer, d’innover. Même l’accompagnement des collaborateurs doit être pensé de manière complètement nouvelle. Tous les secteurs d’activité ont dû se réinventer à un moment ou à un autre. Mais avec la transformation digitale, c’est l’entreprise dans son ensemble qui doit se réinventer. Il s’agit d’un véritable phénomène de fond.
Vers une accélération des transformations
Olivier Laborde : Les transformations, les entreprises savent les mener. Certaines existent depuis plusieurs décennies, et elles ont su se transformer plusieurs fois pour répondre à l’évolution des besoins de leurs marchés. La grosse différence à l’ère du digital repose sur le rythme et la radicalité des changements ainsi que sur leur permanence. Au sein du pôle assurances de Natixis, le projet de transformation digitale a une petite année, même si la dématérialisation, les sites web et la signature électronique sont des technologies opérationnelles depuis plusieurs années. Le projet porte donc sur l’accélération et la globalité de la digitalisation du pôle pour répondre à la mutation de notre environnement. Nous avons décliné notre approche de la transformation digitale en deux axes. Le premier s’articule autour des collaborateurs, leur acculturation. A cet effet, nous avons par exemple mis en place une stratégie 360° : «le digital pour les collaborateurs par les collaborateurs», qui repose sur six piliers : informer, éduquer, communiquer, équiper, impliquer et «partenariser». Des «Digitalc@fés» montrent ce que sont une imprimante 3D et des lunettes connectées pour imaginer ensuite comment de tels objets pourraient être intégrés dans les usages dans le secteur de l’assurance. Nous organisons également des «digital weeks», semaines consacrées au digital avec des temps forts. Nous avons mis en place un réseau social d’entreprise et différentes communautés fleurissent notamment autour du digital. Elles permettent de partager la veille et les bonnes pratiques au sein de l’entreprise et aussi de se nourrir de ce qui se passe à l’extérieur. Le second axe de notre projet de transformation est stratégique. Convaincu que l’une des valeurs du digital est le collaboratif, nous avons pris le parti et le pari de rédiger un livre blanc partagé avec la direction, imaginant ce que pourrait être un assureur dans un groupe bancaire à l’ère du digital. Nous devons l’enrichir de manière collaborative avec l’ensemble des composantes métier de l’entreprise : RH, finance, commercial…
Andrew Amiach : Chez iCave, nous avons construit un plan de transformation partant du client mais qui a très vite pris en compte tous les besoins de nos opérationnels, de nos commerciaux, etc. Pour que ce projet soit une réussite, nous avons vraiment essayé de montrer qu’il représentait un avantage pour les collaborateurs dans leur quotidien. Le changement s’est ensuite opéré très vite. Du jour au lendemain, leur travail a considérablement été simplifié car, en amont, nous avions développé des outils adaptés, simples, clairs. Pour schématiser, nous travaillions avec des fichiers Excel et, aujourd’hui nous travaillons à partir de smartphones et d’une technologie NFC : tout va beaucoup plus vite.
Ana Athayde : La rapidité et la simplicité de mise en œuvre sont d’ailleurs les mots d’ordre de ces projets. Dans les projets d’omnicanalité que nous mettions en œuvre auparavant, l’objectif principal était la réduction des coûts. Certes, ces notions de coût et de gain en termes d’efficacité sont actuellement toujours très présentes dans les projets que nous menons. Mais nous constatons désormais que le collaborateur de l’entreprise revient au centre de ces projets et ce, de façon beaucoup plus intelligente. L’objectif consiste maintenant à mettre le bon agent, le bon outil et le bon canal en face du bon client au bon moment. Nous le voyons par exemple dans le secteur bancaire, où le client n’est plus mis en face d’une machine ou uniquement de son conseiller. L’évolution des agences lui permet également de prendre un rendez-vous avec un agent qualifié et de discuter avec lui à distance via des outils de communication adaptés et de qualité. Ce qui est intéressant dans ces projets de transformation, c’est la combinaison intelligente entre les outils et les collaborateurs. Le digital est tellement entré dans notre vie quotidienne, qu’il devient une part de nous et donc, se retrouve aussi dans l’entreprise. Nous sommes aujourd’hui réellement face à une évolution des comportements et beaucoup moins face à des postures, comme cela pouvait être le cas auparavant.
Fabien Barrois : Le digital permet de produire et rendre du service que ce soit pour le collaborateur ou pour le client. Par exemple, faire un costume sur mesure demande du temps. Or, le temps, dans le métier du prêt-à-porter, relève du domaine du luxe. En digitalisant certains process, nous réduisons cet espace-temps et donc, in fine, nous pouvons réduire le coût du costume. Par ailleurs, si nous avons cru longtemps que le développement d’Internet tuerait certains business models tels que la vente en magasin, force est aujourd’hui de constater que les magasins ne sont absolument pas désertés. En revanche, chez Tailor Corner, les clients ne se déplacent plus pour l’acte d’achat à proprement parler, mais pour avoir du conseil. C’est d’ailleurs toute la valeur ajoutée de nos magasins. La vente y est bouclée en cinq minutes mais le client reste avec nous pour prendre les mesures, faire la configuration de son costume, choisir la forme du col et la couleur du tissu.
Bertrand Duperrin : Les entreprises doivent d’abord se poser la question de leur métier. On voit bien la SNCF se positionner comme un acteur du transport au sens large en investissant des secteurs adjacents ou alternatifs au rail. AXA réinvente son métier pour accompagner l’assuré au quotidien par du service et ne plus limiter son contact avec le client à l’encaissement des primes et au règlement des sinistres. Cela va avec une nouvelle promesse et une nouvelle expérience qu’il faut être en mesure de délivrer non seulement en ligne mais également aux points de contact «physiques». Certes, les entreprises peuvent craindre l’impact des transformations sur leur business actuel, mais on n’est jamais mieux disrupté que par soi-même. Si elles ne le font pas, ce sont leurs concurrents qui le feront. Chaque cas est unique mais les grands axes de travail restent globalement les mêmes : la digitalisation des process relationnels, la mise en cohérence du online et du «physique» ainsi que l’empowerment des collaborateurs. Derrière ces chantiers, il y a un travail de fond à mener sur plusieurs fronts. Il faut déterminer la proposition de valeur des départements internes dans ce contexte nouveau. DSI, marketing, ou RH doivent construire une double proposition de service à l’égard du client et du collaborateur car leur rôle va changer radicalement. En interne, on se dirige notamment vers l’adoption de pratiques et outils issus du monde du client. Pour y parvenir, de nouvelles synergies doivent être mises en place, et si l’on présente souvent l’axe DSI-marketing comme l’axe fort de la transformation digitale, un axe RH-marketing va devenir de plus en plus indispensable pour transmettre ces pratiques et «réconcilier» l’orientation client et l’orientation employé. Bien sûr, ce processus de transformation doit se dérouler «digitalement» en termes d’approche : utilisation des technologies et plateformes digitales pour l’acculturation, implication de chacun, coconstruction.
Guillaume Lefebvre : Au-delà des clients et collaborateurs, il est également important de se pencher sur l’impact des projets de transformation digitale sur les systèmes d’information. Si cet impact est nativement intégré dans la création de start-up, il est en revanche particulièrement fort pour des grands comptes. En effet, la multiplication des canaux, des devices, des objets connectés, fait que le système d’information peut être sollicité à tout moment et de manière importante avec de nombreuses requêtes simultanées. En raison de leur activité, beaucoup de nos clients ont des systèmes d’information plutôt en silo. Ils ont entamé la transformation pour fusionner ces silos et faire en sorte que leur système d’information soit plus transverse. Mais avant d’en arriver à cette transversalité, adresser l’ensemble des devices des utilisateurs continuera de créer énormément de requêtes simultanées, de croisement de données. Beaucoup d’études ont d’ailleurs démontré que ces moments d’interactions, ces moments mobiles se traduisent par une volumétrie importante de sollicitations sur le ou les systèmes d’informations. Pour faire face à cette volumétrie, la nécessaire évolution des systèmes sera complexe et longue à mettre en œuvre. Une alternative s’offre néanmoins aux entreprises : la mise en place d’une plateforme digitale complémentaire qui serait capable d’accueillir l’ensemble des requêtes utilisateurs et d’y répondre de manière instantanée à partir de données venant du système d’information.
Laurence Augoyard : Si dans sa phase de réflexion l’entreprise ne se dégage pas de l’existant, elle prend le risque de se faire challenger par des nouveaux entrants sur son marché. En revanche, dans la mise en œuvre du projet il est important de tenir compte d’un existant.
Anne Lacouberie : Dans le cadre des grands projets de transformation digitale, beaucoup d’entreprises choisissent de conserver une partie de l’existant et procéder étape par étape. Néanmoins, certains CDO (chief digital officer), dans une logique de time to market, estiment qu’il est important de faire table rase de l’existant, notamment au niveau des systèmes d’information. C’est le cas pour les grandes entreprises, dont les SI sont souvent hétérogènes, parfois cloisonnés du fait de développements successifs ou d’acquisitions de sociétés disposant de leurs propres équipements.
Recruter de nouvelles compétences
Ana Athayde : Il s’agit d’un vrai défi notamment pour les grands groupes. Les DSI ne réfléchissent pas de la même manière et n’avancent pas au même rythme que les métiers qui, dans de nombreuses organisations, ont pris le pouvoir sur ces projets de transformation.
Anne Lacouberie : Les DSI sont souvent challengés, notamment avec l’arrivée des CDO (de plus en plus présents au comex), demandeurs d’un SI flexible, as a service pour le rendre digital et collaboratif. Il est important que DSI et CDO puissent travailler ensemble, justement pour avancer sur des quickwins digitaux, dans une logique de compatibilité avec l’existant.
Ana Athayde : N’oublions d’ailleurs pas que pour mener un projet de transformation digitale, il faut des compétences transverses.
Olivier Laborde : S’agissant d’un projet de transformation d’entreprise, il faut des compétences en matière de conduite du changement ; le changement étant souvent accompagné de perte de repères et d’incertitudes.
Anne Lacouberie : L’arrivée d’un CDO symbolise souvent la volonté de la mise en place effective d’un projet, surtout lorsqu’il dispose d’un budget et d’une équipe ou s’il a mandat pour travailler en transverse avec les autres entités qui pourront lui consacrer des ressources. S’il est présent au comité de direction et dispose d’un véritable champ d’actions, cela illustrera d’autant plus la volonté de l’entreprise d’avancer dans sa transformation digitale. La gouvernance est un driver fort de la transformation digitale.
Olivier Laborde : Le CDO a souvent pour vocation d’impulser le projet, de mettre en place un plan d’action global dont découle une priorisation des chantiers. Il évangélise son organisation et porte l’émergence de nouvelles pratiques et nouvelles manières de travailler via différents moyens : workshops, séminaires, formations, réseau social d’entreprise, événements… Il favorise l’échange transversal en impulsant la création de communautés d’experts autour de sujets clés tels que le big data, le digital, l’innovation… Il a ainsi un rôle de chef d’orchestre. A ce titre, il lui revient de catalyser les ressources, les énergies et les talents de l’entreprise qui sont les premiers rouages de la transformation business. Il va également influer sur le changement de culture, le choix des outils collaboratifs. A lui également de montrer et démontrer ce en quoi le digital peut favoriser l’apparition de nouveaux business models.
Laurence Augoyard : Un certain nombre de nos clients tentent de faire du digital en faisant évoluer les compétences des métiers historiques : raccourcir la mise en place du business plan d’un DAF, par exemple. Cependant, le digital est un sujet extrêmement technique et les entreprises qui, grâce au digital, développent leurs revenus de façon pérenne, sont celles qui maîtrisent des domaines et des compétences variés et évolutifs. Le lean management, le targeting, le retargeting, les data scientists, le data management, etc. sont autant de nouvelles compétences qui apparaissent et qui aujourd’hui sont rares, donc difficiles à trouver. Mais essayer de s’ajuster uniquement en adaptant les compétences actuelles est voué à l’échec.
Fabien Barrois : Dans notre entreprise, nous avons appris au fur et à mesure. Notre avantage repose sur le fait que le digital soit le cœur même de notre entreprise. La personne qui gère le digital doit comprendre parfaitement les problématiques web, les problématiques de production, de gestion magasin, de gestion logistique, etc. Autant de problématiques que nous devons ensuite relier à notre système d’information. Dans les grands groupes qui ont un historique derrière eux, cette approche s’est faite étape par étape, en silo. Aujourd’hui, tout l’enjeu pour ces entreprises consiste à centraliser ces problématiques et leurs contraintes dans un noyau unique qui leur permettrait ensuite de faire ce que nous, nous faisons nativement et simplement. Il faut placer le digital au cœur de la stratégie et, autour, y rattacher toutes les fonctions historiques de l’entreprise.
Andrew Amiach : De notre côté, nous avons essayé, dans notre approche, de développer des outils proches de ceux que nos collaborateurs utilisent au quotidien et qui soient simples à manipuler. Cette démarche a fortement contribué à la transformation digitale de notre entreprise.
Bertrand Duperrin : Si le CDO aide à initier des choses au début, on en voit aussi les limites. Dans les entreprises les plus avancées, c’est souvent le CEO ou un membre de la direction qui pilote la transformation sans qu’un poste ait été créé spécifiquement. D’ailleurs on commence à percevoir le mouvement inverse : par exemple la Française des Jeux vient d’annoncer la suppression de sa direction digitale. Quand le digital est partout il n’est plus enfermé dans une direction et ne constitue pas un silo de plus.
Le digital permet l’ouverture à un écosystème
Olivier Laborde : Le digital offre également de nombreuses opportunités d’ouverture vers les écosystèmes extérieurs, ce que l’on appelle l’open innovation. Le temps où la R&D n’était opérée que dans des laboratoires fermés et sécurisés est révolu. Même si les entreprises forment leurs collaborateurs, et que ceux-ci s’autoforment régulièrement par de la veille sur les réseaux sociaux et en suivant des MOOC, le rythme du changement est si effréné que ce n’est pas suffisant. Pour suivre la vitesse du changement et saisir les opportunités du digital, les entreprises doivent s’ouvrir à l’extérieur, aux start-ups, aux incubateurs, aux écoles et universités, pour favoriser la coconstruction de nouvelles offres et la définition de nouveaux modèles.
Fabien Barrois : En qualité de start-up, nous sommes approchés par des entreprises dont le métier n’a rien à voir avec le nôtre mais qui veulent se nourrir de notre modèle pour se transformer, voire, «s’auto-ubériser».
Olivier Laborde : Notre collaboration avec l’écosystème extérieur apporte des idées de nouveaux services, d’expérience client et inocule de nouvelles manières de travailler, inspirées des start-ups de la Silicon Valley telles que le «test and learn», le «failfast», le «droit à l’erreur»…
Anne Lacouberie : Une start-up peut faire gagner des projets magnifiques aux grandes entreprises. Nos différents partenariats avec des petites start-ups, notamment dans l’Internet des objets, nous ont permis de gagner à plusieurs reprises avec elles, des appels d’offres auprès de grands groupes, car Econocom a pu leur proposer une solution packagée innovante, sur mesure, intégrant les technologies de pointe et les services. Tous les acteurs engagés dans le projet y gagnent.
Andrew Amiach : Nous avons également été approchés par des entreprises qui ont un métier complètement différent du nôtre, mais qui s’intéressaient à la solution que nous avons développée pour tracer des bouteilles à l’aide de puces RIFD ; une étude notariale qui cherchait à tracer tous ses documents et archives, par exemple.
Guillaume Lefebvre : Au-delà de cette ouverture à l’écosystème, l’entreprise ne doit pas avoir peur d’adopter une approche «test and learn». Le droit de se tromper ne fait pas vraiment partie de la culture des entreprises françaises et européennes. Or, c’est essentiel dans la transformation digitale, car les équipes marketing ont aujourd’hui de multiples possibilités pour expérimenter le digital, mais peu de temps ou de moyens. Elles doivent donc faire des choix, notamment sur la partie outils et techniques, et être en mesure de s’adapter rapidement.
Bertrand Duperrin : Dans la mesure où le digital permet de mieux partager les savoirs et de mobiliser la bonne compétence au bon endroit, il est un facteur d’innovation majeur et ce d’autant plus qu’il permet de s’affranchir des frontières de l’entreprise. Il y aura toujours plus d’idées et de compétences dehors que dedans. Cela fait plus de 10 ans que chez Procter&Gamble le programme Connect and Develop permet de mobiliser des milliers d’expertises externes autour de la R&D avec des résultats plus que probants. Starbucks enrichit son offre et son expérience client grâce aux suggestions de ces derniers sur My Starbucks Idea. Aujourd’hui ces pratiques ne sont plus réservées aux pionniers car elles ont fait leur preuve et la maturité des organisations a évolué. Aujourd’hui l’innovation en écosystème fait partie des fondamentaux de l’entreprise digitale. Cela permet bien sûr d’accélérer et d’accéder à une quantité quasi infinie de talent, mais également de s’affranchir des lourdeurs et freins culturels internes en s’appuyant sur des partenaires à l’ADN digital qui, en plus de contribuer à l’innovation, permet à la grande entreprise d’observer et apprendre de leurs pratiques.
Les technologies qui accompagnent la transformation digitale
Guillaume Lefebvre : Pour mener à bien leur transformation, les entreprises ont la possibilité de s’appuyer sur différents outils digitaux : les technologies de connectivité qui permettent d’être toujours connecté pour remonter et piloter de la donnée ; les devices pour les utilisateurs (tablettes, smartphones, objets connectés) mais aussi pour les collaborateurs (écrans connectés dans un magasin ou dans une agence, outils collaboratifs…) ; les plateformes digitales qui accueillent l’ensemble des services rendus par ces devices et qui permettent de remonter les données ; les outils d’analyses des données tels que peuvent utiliser les data scientists. Enfin, toute la difficulté consiste à faire en sorte que ces technologies soient mises dans un socle commun et interfacées les unes avec les autres pour rendre le service accessible par tous à tout moment et en tout lieu. Pour ça, il est essentiel d’intégrer le système d’information, l’évolution au changement de collaborateurs, des directions, etc.
Ana Athayde : L’objectif in fine, consiste à utiliser la bonne information au bon moment pour rendre le bon service. Il faut trouver les moyens de faire communiquer les technologies puis centraliser la donnée pour ensuite l’analyser, l’exploiter et la restituer pour délivrer les bons services auprès des bonnes personnes. Aujourd’hui, dans notre domaine, nous sommes en capacité d’analyser toute la donnée client, que ce soit de la donnée structurée (acte d’achat, panier moyen, etc.) ou de la donnée non structurée (liée par exemple à son comportement d’achat), afin de lui donner de la valeur.
Fabien Barrois : Tailor Corner dispose d’une base de données unique sur laquelle tous les devices sont branchés. Nos clients passent par des bornes pour saisir leur commande dans notre système. Ensuite, ils passent à la caisse, également connectée au système, pour payer leur commande. Le responsable de magasin pour sa part valide la commande depuis son propre device qui est lui aussi connecté à notre base de données. Notre démarche consiste à être en capacité d’intégrer simplement sur notre plateforme technologique tous les nouveaux services que nous allons développer. Par exemple, nous sommes sur un projet de génération automatique de patronage. Entre le moment où le client fait sa commande et le moment où le patron est imprimé dans l’atelier, il n’y aura plus d’intervention humaine : le patron sera généré automatiquement dans notre système grâce à la donnée qui est traitée en conséquence.
Andrew Amiach : iCave dispose également d’une base de données unique à laquelle sont connectées différentes briques technologiques : les puces RFID sur les bouteilles reliées à ce système d’information, les opérateurs qui ont un outil en main pour se retrouver dans la cave et nos clients qui, à partir de leur propre smartphone, interagissent directement avec ce système d’information pour demander des retraits, une livraison et bientôt, des conseils.
Anne Lacouberie : Il est important de disposer de technologies permettant de gérer toutes les phases de l’acte d’achat ou de la délivrance du service. L’expérience digitale ne doit pas se limiter à l’espace de la boutique ou de l’agence : elle doit être pensée avant (avec des sites responsives par exemple pour gérer le cross-canal et le «geofencing»), pendant (avec des cabines d’essayage virtuel ou le paiement mobile sans file d’attente), et après (avec des enquêtes de satisfaction, la proposition de services complémentaires…).
Fabien Barrois : D’ailleurs, le SMS de push envoyé au client après la vente ne s’inscrit pas dans l’acte d’achat mais dans la satisfaction du client. Nous sommes alors véritablement dans une démarche de relation client sans rupture. Nous parlons d’ailleurs de moins en moins de parcours de vente mais de parcours client. Lorsqu’un client arrive en magasin, notre objectif ne consiste pas à lui vendre le plus grand nombre de costumes possibles, mais plutôt de satisfaire sa demande au mieux pour le fidéliser.
Olivier Laborde : Comme toutes les grandes entreprises, Natixis Assurances dispose d’un système d’information constitué de multiples sous-systèmes et technologies plus ou moins anciens et très processé. Nous ne partons pas d’une feuille blanche comme une start-up peut le faire. Cependant, nous héritons également de nombreuses données qu’elle ne possède pas. Un objectif, dans le cadre de notre transformation digitale, consiste à centraliser et traiter les données de l’ensemble des métiers, en veillant bien entendu au respect de la loi informatique et libertés mais aussi à celui des lois relatives au secret bancaire. Nous entendons ainsi délivrer plus de services personnalisés et à forte valeur ajoutée à nos clients. Nous travaillons également sur les outils (socle de confiance pour la signature électronique, applications adaptées aux smartphones et tablettes…) nous permettant de gérer les interactions omnicanales avec nos clients. Le digital et les nouvelles technologies permettent ainsi la personnalisation de masse des produits et services ainsi que la réduction des délais de mise en marché (time-to-market).
La transformation digitale contribue au développement de nouveaux services
Anne Lacouberie : La transformation digitale permet le développement de nouveaux services générant plus de croissance, de productivité et de satisfaction client. Par exemple, les ingénieurs et technico-commerciaux de Schneider Electric intervenaient sur site pour effectuer des relevés ou calculer la consommation énergétique de leurs clients, munis d’ordinateurs portables ou d’un calepin. Ils envoyaient ensuite leurs propositions, de retour à leur bureau. Pour eux, Econocom a conçu et développé une application mobile de diagnostics d’installations électriques. Des audits flashs réalisés chez leurs clients identifient les indices de pérennité ou d’obsolescence des matériels : le client en est ainsi informé en temps réel. Pour Schneider Electric, c’est non seulement du business additionnel mais aussi des process de collectes de données automatisées et homogénéisées et une connaissance accrue du parc clients pour anticiper ses besoins et proposer des services additionnels. Econocom a également aidé l’hôtel Pullman Paris Tour Eiffel à transformer et moderniser un processus clé de l’hôtellerie, le check-out. Les salles de petits-déjeuners ont été équipées de tablettes avec une application sur-mesure, développée par Econocom, afin d’aider le personnel à mieux planifier et à valider en temps réel le nombre de petits-déjeuners effectivement pris. La communication entre la salle et la réception a ainsi été optimisée, permettant d’établir une facturation juste et exhaustive. Cette opération a aussi eu pour effet de valoriser l’image de l’hôtel auprès de ses clients. Le Pullman Paris Tour Eiffel a obtenu un ROI en moins de trois mois.
Bertrand Duperrin : En équipant ses équipes de tablettes donnant accès aux données client et en recourant au big data, Qantas permet au personnel de bord d’avoir une gestion personnalisée de chaque client et d’entreprendre la bonne action en cas d’incident en fonction du profil de chacun. Il s’agit d’un très bon exemple d’empowerment du collaborateur, d’une meilleure expérience employé au service d’une meilleure expérience client. Mais on peut aussi arriver à faire des choses intéressantes avec des logiques simplissimes telles que le bouton Darty ou le bouton Dash d’Amazon. L’idée consiste ici à faciliter l’expérience client ou l’achat au travers d’un objet simple qui s’intègre dans notre quotidien. Plus généralement, les objets connectés couplés à l’utilisation des données vont permettre la création d’une foule de service qui vont s’intégrer dans le quotidien des utilisateurs avec une vraie promesse de facilitation et d’expérience pour le client et de nouvelles possibilités de business models fondés sur l’abonnement pour le fournisseur. Le produit devient un véhicule pour le service. Le développement de ces nouveaux services a donc également un impact majeur aussi bien en B2B qu’en B2C : une transformation des business models vers de l’abonnement et une exigence qui se déplace de la fourniture d’un produit à une garantie de valeur délivrée. La nouveauté est tout autant du côté du modèle économique que du service...
Guillaume Lefebvre : En B2B, le digital et le fait d’être toujours connecté a par exemple permis à Michelin de changer de modèle économique. Au lieu de vendre uniquement des pneus en B2B, l’entreprise vend désormais une «capacité de rouler». L’intégration d’un boîtier connecté qui remonte de la donnée permet désormais à la marque d’offrir de nouveaux services, par exemple autour de la maintenance ou du changement de pneumatiques. Le digital a ainsi permis à Michelin de changer son positionnement pour aller plus loin dans sa proposition de valeur. En B2C, Bosch Siemens, qui hier vendait un simple four, est aujourd’hui en mesure, grâce au digital, de vendre un four connecté offrant la possibilité de remonter de l’information pour faire de la prédiction de maintenance, de panne, ou encore, automatiser certaines fonctionnalités. Ce four connecté permet par exemple d’être piloté à distance. La marque, pour développer encore plus de services, s’est également attachée à rendre ce four interopérable avec d’autres objets connectés de la maison, tels que, par exemple, le thermostat Nest de Google qui détecte la présence ou non de personnes dans la maison et envoie en conséquence un message pour éteindre ou allumer le four à distance. Il s’agit d’un moyen de fournir un service supplémentaire mais également de délivrer une nouvelle expérience à l’utilisateur.
Ana Athayde : Les équipes techniques de Canal+ utilisent pour leur part la veille en temps réel de Twitter. Elle leur permet, lors d’un match diffusé, d’identifier les éventuels problèmes de son ou d’image subis par des téléspectateurs qui en feraient la remarque sur le réseau social. Il faut en effet savoir que dès lors qu’il y a un problème de diffusion, les téléspectateurs tweetent. Or, le tweet peut être géolocalisé. Cela permet à la chaîne de savoir si le problème est local ou général dans toute la France, et de faire l’intervention technique dans les minutes qui suivent. Cela permet également de répondre immédiatement au client pour le rassurer sur la prise en compte du problème et sa résolution. Un outil qui à la base est très lié à la veille et à la réputation de la marque, peut ainsi être utilisé par des équipes supports et techniques pour améliorer la qualité du service.
Laurence Augoyard : Certains exemples mélangent le digital et le smart data. Nous avons des groupes bancaires qui réinventent la façon dont leurs conseillers travaillent avec leurs clients, via de nouvelles interactions. Par exemple, chez LCL, l’objectif consistait à faire en sorte que le conseiller clientèle connaisse la situation, les besoins et les envies de son client lorsque ce dernier arrive en agence, grâce au digital. Pour remonter la connaissance du client auprès des agents, il a fallu développer un portail permettant de pousser de l’information. Nous rencontrons également de nombreux cas clients sur les Smart Cities, qui cherchent à mélanger de la data avec du digital afin que l’ensemble des objets connectés se parlent entre eux dans le but de faire réaliser des économies d’énergie, notamment. Ce sont des exemples intéressants car nous avons de nombreux champions français dans ce domaine-là qui exportent leurs idées, notamment en Chine. Le crowdfunding est aussi un exemple de disruption qui impose un nouveau modèle, et dont le fonctionnement nécessite de faire converger la donnée avec le digital. Nous sommes bien là sur un changement d’usage, un nouveau type de modèle en freemium accompagné de services associés. Rappelons d’ailleurs que la donnée est au cœur du digital. Elle permet de factualiser et de benchmarker. La donnée, notamment sur les objets connectés, permet de relier entre eux des usages et des personnes, des signaux qui permettent de créer de la valeur. Le digital permet également de bénéficier d’un avantage encore peu exploité pour le moment : la création d’un patrimoine data, incorporel, pas encore valorisé au bilan mais qui, un jour, pourrait l’être. Enfin, la donnée n’a d’intérêt que si, pour l’utilisateur final, elle est neutre. Nous revenons alors sur la notion d’accessibilité, de convivialité de l’expérience client. Derrière tous ces enjeux, il ne faut cependant pas occulter la problématique de la sécurisation et de la confidentialité de la data. En matière de B2B, le droit est assez flexible car il est aujourd’hui poussé par les Américains. Ce qui n’est en revanche pas du tout le cas en matière de données personnelles avec lesquelles, en France, nous avons des garde-fous grâce à la CNIL.
Anne Lacouberie : Pour gagner en satisfaction client, en compétitivité et en fidélisation de leurs collaborateurs, les entreprises savent qu’elles doivent adopter les usages et les outils de leurs utilisateurs.
Fabien Barrois : Les services digitaux proposés aujourd’hui par les entreprises sont des facteurs entrant en ligne de compte dans le choix des consommateurs quant à un produit ou une prestation. Ils deviennent des éléments différenciateurs sur le marché.