Gestion des risques / Marché

Vers une résurgence du risque de défaillances

Publié le 9 novembre 2021 à 17h25

Anne del Pozo    Temps de lecture 8 minutes

Le rebond de la croissance économique ne doit pas masquer l’apparition de nouvelles incertitudes, notamment liées à des problématiques d’approvisionnement, la hausse des coûts de matières premières, les pénuries de main-d’œuvre et l’inflation, ou encore la menace persistante de la Covid-19. Des risques qui pourraient finir par peser sur les trésoreries des entreprises et le rythme des défaillances d’entreprises, dès lors que les dispositifs publics de soutien seront levés.

Un an et demi après le début de la récession mondiale liée à la pandémie de la Covid, la reprise économique se poursuit en cette fin d’année. Les progrès de la vaccination en Europe occidentale et en Amérique du Nord ont permis d’éviter de nouvelles vagues de restrictions de la mobilité, et alimentent l’optimisme quant à la possibilité d’éviter de nouveaux confinements. Ainsi, le secteur manufacturier mondial a connu une reprise rapide depuis mi-2020, sous l’effet de l’augmentation des dépenses en biens de consommation. En raison de la robustesse de la demande des ménages, la vigueur des flux commerciaux reste un soutien clé à la croissance économique, notamment en Asie-Pacifique. La demande d’électronique et de produits de base profite en effet à plusieurs marchés de la région, comme la Corée du Sud et Taïwan. L’économie de plusieurs grands exportateurs de produits de base (Russie, Ukraine, Afrique du Sud, Chili, Algérie, etc.) est également soutenue par la hausse des prix. Dans les pays d’Europe centrale et orientale, la compétitivité des exportations de la région et la large intégration dans les chaînes de valeur européennes sont également favorables à la croissance des exportations. En termes de tendances sectorielles, l’assouplissement et la levée des restrictions dans les pays où les taux de vaccination sont les plus élevés contribuent à une réorientation des dépenses des ménages vers les services à fort contact tels que le commerce de détail, l’hôtellerie et les loisirs. La reprise du secteur du tourisme reste en revanche plus difficile.

L’économie française suit la tendance mondiale

Dans ce contexte mondial, l’économie française devrait pour sa part connaître une croissance de 5,4 % en 2021, après une forte contraction de 8,2 % en 2020 (Oxford Economics). Le rebond économique sera principalement porté par la demande intérieure. La consommation et l’investissement des ménages augmenteront respectivement de 3 % et 10,5 %, les investissements des entreprises bénéficiant des importantes mesures de relance mises en œuvre. Alors que la consommation des administrations publiques augmentera de 4,7 %, les exportations devraient rebondir de 11 %, après une contraction de plus de 16 % l’année dernière. L’inflation devrait augmenter de 1,5 % cette année, en raison de la reprise et de la hausse des prix de l’énergie. En 2022, l’économie française devrait croître de 5,3 %, avec une nouvelle hausse des investissements et des exportations (respectivement de 4,5 % et 9 %).

Les perturbations des chaînes d’approvisionnement freinent la dynamique de la reprise

Malgré ces perspectives positives, les signes indiquant que la reprise mondiale perd de son élan s’accumulent. Le niveau élevé de l’épargne dans les pays à haut revenu a entraîné une reprise rapide des dépenses de consommation. Dans le même temps, les perturbations dues à la pandémie ont créé des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement qui entravent l’activité des entreprises. Les vents contraires s’accumulent ainsi, notamment du côté de l’offre. Les prix des matières premières, les coûts des intrants et les taux de fret ont bondi depuis l’été 2020. Cela a notamment été le cas de l’énergie – en particulier avec la flambée des prix du gaz en Europe et en Asie – et des prix des métaux, du bois et des denrées alimentaires. Cette concurrence pour les matières premières et les intrants limite la production industrielle au niveau mondial et, dans certains cas, a un impact sur les ventes. La pénurie de semi-conducteurs a par exemple des répercussions sur un large éventail d’industries, de l’automobile aux technologies de l’information et de la communication, tant dans les économies avancées qu’émergentes.

L’inflation gagne du terrain

La hausse généralisée des prix des matières premières et produits de base s’est également traduite par une augmentation des prix à la consommation. Le taux d’inflation harmonisé dans la zone euro a atteint 3,4 % en septembre, soit le niveau le plus élevé depuis treize ans. Cette évolution fait écho à une hausse de l’inflation dans la plupart des régions du monde, notamment aux Etats-Unis, où le taux d’inflation a également atteint un niveau record de 5,4 % au cours des quatre derniers mois avant septembre. Un pic d’inflation est attendu prochainement dans les économies avancées, mais les risques sont orientés à la hausse. Ce casse-tête de l’inflation pourrait être compliqué par les signalements de pénuries de main-d’œuvre, les entreprises offrant des rémunérations plus élevées afin de pourvoir les postes vacants. Une augmentation des coûts de main-d’œuvre pourrait se traduire par des pressions inflationnistes persistantes. Face à ce risque, certaines banques centrales – dont la réserve fédérale américaine et la banque d’Angleterre – ont déjà signalé que la fin des politiques monétaires ultra-accommodantes était proche. En Europe, si la BCE suit de près la dynamique de l’inflation avec inquiétude, le resserrement de la politique monétaire reste une perspective plus lointaine.

Hausse attendue des défaillances en 2022

La dynamique de reprise économique mondiale jouera un rôle important dans la façon dont les Etats retireront les mesures publiques de soutien. Le rythme de retrait des mesures publiques de soutien aura quant à lui un impact sur le rythme auquel les entreprises devront puiser dans leurs trésoreries pour financer leur activité. Un point d’autant plus important que de nombreuses entreprises demeurent encore aujourd’hui en situation de fragilité, au risque de se retrouver en situation de défaut de paiement. C’est notamment le cas des entreprises qui, avant la crise, étaient déjà qualifiées comme étant « zombies » et qui ont été artificiellement maintenues à flot par les mesures publiques de soutien, mais aussi des entreprises fragilisées par l’explosion de la dette relative à la crise. Autant de facteurs qui impacteront l’évolution du volume des défaillances d’entreprise. Certes, depuis le début de la crise, la tendance sur le front des défaillances est plutôt à la baisse. A l’échelle mondiale elles ont reculé en 2020 (-12 %). Un rythme qui devrait se poursuivre sur la même tendance en 2021 (-6 %) du fait de la prolongation de nombreuses mesures publiques de soutien qui ont permis, dans un contexte général de politiques monétaires accommodantes et de forte reprise économique, de réduire la pression sur la trésorerie des entreprises.

« Si l’on regarde les niveaux de défaillances, il apparaît que les pouvoirs publics ont réussi à aider les entreprises à surmonter la crise : en 2020, les soutiens publics déployés ont permis d’éviter une défaillance sur deux en Europe de l’Ouest et une défaillance sur trois aux Etats-Unis. L’extension de ces dispositifs a d’ores et déjà permis de garder les défaillances d’entreprises à un bas niveau en 2021, mais la suite dépendra de la façon dont les autorités débrancheront les aides au cours des prochains mois », explique Maxime Lemerle, directeur des recherches sectorielles et défaillances chez Euler Hermes.

Cependant, selon Euler Hermes, le retrait des mesures publiques de soutien devrait déclencher une normalisation progressive des défaillances d’entreprises. L’assureur-crédit prévoit une hausse des défaillances à l’échelle internationale de +15 % en 2022, après deux années de recul prononcé. Mais avec un retrait des dispositifs étatiques souvent réalisé de manière progressive et ajustée, le retour à la normale des niveaux de défaillances prendra plus de temps : en 2022, les défaillances d’entreprises devraient repartir à la hausse (+15 %), restant toutefois à un niveau inférieur à celui constaté avant la crise (-4 %).

En France, les défaillances d’entreprises ont reculé de -38 % en 2020. Le recul devrait se poursuivre en 2021 (-17 %), également du fait du soutien massif aux entreprises qui a été déployé dès le début de la crise et prolongé depuis. Euler Hermes estime d’ailleurs que les dispositifs publics français ont permis d’éviter plus d’une défaillance d’entreprise sur deux en 2020. « Nous prévoyons néanmoins un fort rebond des défaillances en France en 2022, de l’ordre de +40 %. Ce rebond ne sera pas suffisant pour rattraper les niveaux de 2019. Toutefois, il est annonciateur d’une tendance : une reprise lente, mais progressive et durable, de la recrudescence des défaillances d’entreprises en France, synonyme de résurgence du risque d’impayés », répond Ana Boata, directrice de la recherche économique d’Euler Hermes. Face à cette conjoncture, le risque client doit plus que jamais faire l’objet de toutes les attentions.

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