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"Le rebond des acquisitions dans la pharma devrait continuer en 2024 "(V. Lefebvre-Dutilleul, EY)

Publié le 24 janvier 2024 à 16h16

  AOF

(AOF) - "Le rebond des acquisitions observé en 2023 dans le secteur santé devrait continuer en 2024". C’est ce qu’affirme Virginie Lefebvre-Dutilleul, responsable du secteur Sciences de la vie/santé chez EY et co-auteur de l’étude annuelle "Firepower" sur le "pouvoir d’acquisition" des entreprises du secteur. Dans un entretien accordé à AOF, l’associée d’EY Société d’avocats, détaille les raisons de cette conviction.

L'année 2023 s'est-elle achevée sur un bon bilan en matière de fusions-acquisitions dans le secteur santé ?

A la mi-décembre, le total des fusions et acquisitions avait atteint 191 milliards de dollars américains, en hausse de 34% par rapport à 2022. Cette hausse n'est pas due à une augmentation du nombre des transactions : nous n'avons enregistré que 118 opérations en 2023 contre 126 en 2022. Les transactions de 2023 étaient nettement plus importantes, et surtout elles étaient le fait des grandes pharma, pour 69% d'entre elles, contre seulement 38% en 2022. Si les énormes fusions comme le rachat d'Allergan par AbbVie en 2020 pour 63 milliards de dollars sont plus rares aux États-Unis, les grandes pharma ont toutes signé au moins un accord d'un milliard de dollars ou plus en valeur en 2023.

Qu'est-ce qui vous fait penser que les fusions acquisitions seront aussi nombreuses en 2024 dans le secteur?

On observe une conjonction de facteurs propices. Il y aura dans les années à venir un manque à gagner de croissance pour les entreprises pharmaceutiques, que nous estimons à plus de 120 milliards de dollars d'ici 2028. Un facteur important est la prochaine "falaise des brevets" qui concernera des produits biotech frappés par la concurrence des biosmiliaires. Les entreprises pharma ont par ailleurs accumulé une puissance d'achat ou "puissance de feu" ("Firepower") quasiment aussi élevée que l'an dernier, à 1370 milliard de dollars. On note que la capitalisation boursière de Novo Nordisk a progressé de 41% sur un an, et celle d'Eli Lilly de 52%, portées par les positions de leader de ces sociétés sur le marché émergent de la lutte contre l'obésité. Enfin faire une IPO (introduction en bourse) est beaucoup plus compliqué aujourd'hui pour les biotech qu'il y a quelques années. Tout porte donc à croire que le rebond des acquisitions observé en 2023 devrait continuer en 2024.

Pourquoi faire une IPO est-il devenu plus complexe pour les biotech ?

Le marché des IPO est plutôt fermé en ce moment aux entreprises biotech : après un brusque rebond observé post-Covid  ces opérations sont beaucoup plus rares et concernent essentiellement des portefeuilles de médicaments matures, de sorte que le rachat devient quasiment la seule voie de sortie pour ces sociétés biotech quand elles ont des besoins de financement en fin de phase d'essais cliniques (les partenariats étant plutôt noués sur des produits en début d'essais). Maintenant que l'effet Covid s'estompe, les investisseurs réorientent leurs fonds vers d'autres secteurs, après avoir été sur-orientés, surinvestis dans le secteur de la santé. Le niveau actuel des taux d'intérêts fait également que d'autres placements peuvent être plus intéressants.

En va-t-il de même pour la medtech ?

Le secteur de la medtech est très différent, beaucoup plus fragmenté, nous observons moins de grosses opérations, mais ne voyons pas ce secteur décoller en termes d'acquisitions. Les modalités de valorisation sont davantage au cas par cas et il est pour l'instant impossible d'en tirer des leçons. En 2023, le secteur a connu une autre année morose, sa part dans l'activité M&A dans le domaine des sciences de la vie tombant à 18% contre une moyenne quinquennale de 26 %. 46 transactions avaient été conclues au 10 décembre 2023, en légère baisse par rapport aux 49 opérations répertoriées en 2022, et les volumes ont diminué de 28 %, à 34 milliards de dollars.

La suite des événements vous a-t-elle donné raison ?

Notre étude se fonde sur des données qui s'arrêtent le 10 décembre. Fin décembre, nous avons pu constater que nos prévisions se réalisaient, car les labos ont continué à annoncer des acquisitions, comme BMS.  Nous nous sommes cependant demandé pourquoi le marché n'était pas plus actif, car c'est une bonne reprise mais pas un marché complètement "booming".

Il y a donc aussi des vents contraires ….

Oui, et notamment l'IRA (Investment reduction act) mis en œuvre aux Etats-Unis, qui donne la possibilité de négocier de façon centralisée le prix des produits, et notamment ceux des produits les plus couteux pour les régimes Medicaid et Medicare. Auparavant les labos négociaient avec des PBM (pharmacy benefit managers) privatisés, et ce changement est important pour les entreprises.

Or les biotech vivent dans un environnement compliqué et elles ne peuvent pas toutes intégrer dans les dimensions de leur recherche les données à produire pour négocier le prix de leurs produits. Les négociations commenceront par les produits matures, mais il faut désormais intégrer dans l'évaluation du marché la capacité à négocier un prix avec les autorités HTA. Cette évolution nécessaire des mentalités a rendu les acteurs plus prudents sur les entreprises cherchant des financements. Il y a aussi d'autres facteurs, comme le fait que les valorisations restent très élevées.

Est-ce que ce contexte rend les groupes pharma plus prudents ?

Ces entreprises préféreront rechercher des investissements à faible risque susceptibles de générer de la croissance à court terme. Les entreprises détenant des produits en phase avancée ou commercialisés représentaient 60 % de toutes les acquisitions de médicaments innovants sur les 11 premiers mois de 2023, soit la proportion la plus élevée depuis 2019, avant la pandémie.

Les grandes entreprises pharma sont-elles généralement récompensées de leurs rachats ?

Nous avons fait une étude sur l'écart de rentabilité entre les entreprises qui font des acquisitions et celles qui n'en font pas, il y a un rapport de 3 pour 1 :  les entreprises qui font des acquisitions sont en moyenne trois fois plus rentables que celles qui n'en font pas. Cependant il ne suffit pas d'avoir le bon partenaire, le bon deal, il faut aussi derrière exécuter correctement. Intégrer et développer les synergies nécessite quasiment autant d'efforts que le rachat lui-même, et nos clients ont tendance à ne pas toujours dégager les ressources suffisantes.

Propos recueillis par Matthieu Richard-Molard

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