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Santé: "Il faut protéger les start-ups des prédateurs étrangers" (Me Ph. Druon, Hogan Lovells)

Publié le 6 juin 2024 à 16h06

  AOF

(AOF) - La prochaine baisse des taux d’intérêt représente un espoir pour les start-up du secteur de la santé qui ont vu leurs financements s’assécher brusquement: c'est ce qu' affirme Me Philippe Druon, avocat chez Hogan Lovells, et spécialiste des restructurations. Dans un entretien accordé à AOF, il souligne la nécessité de protéger les sociétés innovantes en difficulté, des assauts de prédateurs, notamment américains.

Le secteur de la santé a traversé une période d'abondance en matière de financement…

Absolument. Dans le domaine bio-médical, il y a eu pendant longtemps beaucoup d'argent investi pour le développement de nouvelles technologies, de nouvelles molécules, de nouveaux appareils, etc. L'argent était abondant, notamment parce que les taux d'intérêt étant extrêmement bas, il était plus rentable pour les investisseurs de se tourner vers le capital risque ou le venture capital, que d'investir dans des instruments plus classiques mais à très faiblement rentabilité. Toutefois, cette époque est révolue, à tout le moins pour le moment.

Le retournement du marché est donc une catastrophe pour bien des sociétés du secteur…

Lorsque le marché s'est retourné, notamment le marché obligataire, et que les investisseurs peuvent obtenir aujourd'hui 7% voire 8%, les fonds qui se dirigeaient vers ces activités par définition plus risquées, se sont assez brutalement détournés des start-up et parmi elles, les sociétés biotech, pour aller vers des investissements dont le profil risque/rentabilité est plus attractif. Du coup, vous aviez des sociétés qui avaient levé une série A et qui prévoyaient de lever une série B ou une série C et qui n'ont pu lever cet argent pour finaliser leurs projets, l'argent s'étant orienté ailleurs.

L'argent s'est donc raréfié très soudainement, créant un effet de ciseaux, puisque ces sociétés-là n'avaient pas anticipé ce tarissement des sources de financement, et avaient déclenché des programmes d'investissement qui pour certains étaient très lourds.

Donc c'est surtout la pénurie de financement qui provoque actuellement des restructurations financières, et non pas le manque de compétence des dirigeants ?

Non. Nous avons en France et notamment dans la biotech la chance d'avoir des dirigeants qui sont extrêmement compétents, qui pour certains ont perdu tout ce qu'ils avaient investi mais continuent néanmoins de tout faire pour sauver leur entreprise, faire aboutir leurs projets. Cette crise n'est donc en aucun cas liée à la compétence des managers. C'est tout simplement que si vous avez besoin de financer des projets, surtout dans des start-up, il y a des risques élevés de ne pas y arriver, et qu'à la fin le projet ne soit pas rentable : les fonds préfèrent donc un risque bien inférieur pour une rémunération correct. Actuellement sur le marché obligataire, avec un mécanisme un peu malin avec effet de levier, vous allez obtenir entre 7% et 8%.

Ça descend en cascade. Ce sont d'abord les LPs des fonds d'investissement qui souhaitent une politique d'investissement plus prudente, ensuite ce sont les fonds qui impriment à leurs équipes une politique plus prudente, et au final ce sont ces sociétés qui étaient financées, et qui ne le sont plus.

Et alors, quelles sont les perspectives pour les sociétés biotech dans les mois à venir ? Est-ce que la baisse prévue des taux d'intérêt pourrait faciliter la tâche ?

La baisse des taux d'intérêt, si elle se répercute sur le marché obligataire et sur les marchés financiers de façon générale, va nécessairement aider par une sorte de mouvement de balancier. Il y aura aussi et surtout les actionnaires qui ont investi massivement pendant des années, et qui pour ne pas tout perdre, décideront souvent de remettre au pot. Il n'y aura pas immédiatement de nouveaux entrants.

Pour qu'il y en ait rapidement, il faudrait que les taux redescendent, et qu'ils redescendent au niveau où ils étaient c'est-à-dire à des niveaux historiquement bas. Il faut voir analyser l'intérêt d'un investissement dans le secteur de la santé, ça prend du temps, car il faut appréhender la technologie et sa capacité à aboutir à quelque chose d'innovant et de profitable. L'analyse de la molécule YXYZ pour déterminer si elle sera vraiment un anti-cancéreux efficace, ne se fait pas en 5 minutes. Pour ceux qui sont déjà actionnaires cette analyse est faite et donc le retour de balancier sur les taux va clairement aider et ce sera plus rapide.

Ces difficultés de financement font que les start-ups de la santé deviennent des proies pour des acteurs étrangers…

On a en face de nous une économie mondiale qui se réjouit d'éventuelles défaillances d'acteurs du secteur de la French Tech parce qu'il y a une approche clairement prédatrice de certains pays compte-tenu de la qualité de nos chercheurs, ingénieurs, etc…. Si une société française a dépensé des dizaines et des dizaines de millions pour développer une technologie, une molécule, un système, un appareil et que la société tombe en faillite, je vous promets que des Américains seront là et rachèteront la société y compris à la barre, car cela représentera des économies substantielles pour acquérir des technologies qui les intéressent et pour lesquelles l'essentiel des investissement en recherche et développement aura déjà été fait.

Ces initiatives sont-elles souvent couronnées de succès?

Ce système de prédation est extrêmement efficace, c'est une réalité que j'ai moi-même constatée. Chaque fois qu'une belle entreprise française rencontre une difficulté, pour autant qu'elle ait des brevets, qu'elle ait développé des molécules ou des dispositifs proches de l'exploitation commerciale, des prédateurs américains accourent.

Il est essentiel selon moi de défendre ces entreprises françaises, de ne pas laisser des technologies développées par des chercheurs, des médecins français, partir à l'étranger à bon compte, alors qu'on est quasiment sur le point d'atteindre la profitabilité. Il en va de même dans bien d'autres secteurs de l'économie.

Propos recueillis par Matthieu Richard-Molard

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