(AOF) - Avec le passage à l’électrique, beaucoup d’équipementiers "sont dans une véritable impasse", affirme Me Philippe Druon. Avocat associé en restructuring au sein du cabinet international Hogan Lovells, il est à la tête de l'équipe restructurations et procédures collectives. Dans un entretien accordé à AOF, il détaille les défis auxquels font face ses clients dans ce moment crucial.
Me Druon, en tant que spécialiste des restructurations, vous êtes aux premières loges pour assister aux conséquences du passage à l'électrique sur l'industrie automobile. Quelles sont les conséquences concrètes de ce bouleversement sur les acteurs pour lesquels vous travaillez ?
Le secteur vit un véritable choc tellurique dû au passage du thermique à l'électrique, car près de 80% des pièces d'une voiture thermique disparaissent : comme il n'y a pas de carburant pour un véhicule électrique, il n'y a plus non plus par exemple de réservoir ou de pot d'échappement. Cela place les sous-traitants concernés, dont l'outil de production est ultra spécialisé, dans une véritable impasse industrielle. D'autre part, et on omet souvent de le mentionner, une voiture électrique nécessite de revoir beaucoup de standards car elle est beaucoup plus lourde qu'une voiture thermique. Cela impose un certain nombre d'ajustements, comme par exemple au niveau des pneumatiques, car actuellement on observe un taux de crevaison très important.
Cela demande donc une réorientation de la R&D…
Absolument. Il a été demandé des années durant à ces industriels de développer des technologies très pointues pour une pièce ou un modèle spécifique qui à un horizon proche ne sera plus produit. C'est ce qui fait qu'aujourd'hui des centaines de milliers de brevets sont à jeter à la poubelle et que la reconversion de leurs détenteurs devrait être extrêmement compliquée. Or les brevets constituaient une partie de l'excellence et de la compétitivité du secteur.
Et cette adaptation technologique n'est pas le seul défi actuel des industriels …
Cette transition très périlleuse se conjugue avec l'arrivée d'une concurrence asiatique très agressive, avec des acteurs chinois partis de rien et qui ont investi massivement, dopés à l'argent public. Ils se retrouvent à l'arrivée avec des prix si compétitifs qu'ils en deviennent quasiment imbattables : pour les équipementiers européens, il y a donc un effet de ciseaux.
Comment vos clients du secteur automobiles s'adaptent-ils ?
Pour essayer de sauver l'entreprise, mon rôle est de négocier avec les parties prenantes, donc les banques, les actionnaires, l'État mais aussi les constructeurs. Pour leur adaptation il y a forcément des mesures sur l'emploi, car c'est souvent la variable d'ajustement des entreprises, mais ils recourent aussi à des ajustements industriels, des fermetures de sites et des réorientations de production vers d'autres types de pièces. Il n'y a pas de solution type valable pour tous les acteurs, c'est en fonction de la nature de la difficulté que la solution est trouvée.
Quel est l'enjeu pour les constructeurs ?
Les constructeurs ne peuvent pas se permettre que leurs sous-traitants arrêtent soudainement leur production. Aujourd'hui, de nouvelles voitures thermiques sortent des usines tous les jours, donc il faut bien qu'il y ait une forme de maintien de la production. D'autre part le parc thermique actuel doit être entretenu avec des pièces de rechange, même si l'essentiel de l'économie automobile repose sur la vente de voitures neuves.
Il y a une controverse entre les constructeurs sur le maintien du calendrier réglementaire sur les émissions de CO2…
La même division existe chez les équipementiers, certains prônent un report des échéances et d'autres le statu quo. Le paysage industriel est tellement divers que là non plus il n'y a pas de solution unique.
Propos recueillis par Matthieu Richard-Molard.