(AOF) - La conjoncture de l’immobilier de commerce devrait rester défavorable en 2025. Telle est la conviction de Vincent Desruelles, directeur d’études chez Xerfi et auteur de l’étude "L’immobilier de commerce à l’horizon 2026 – Redynamiser l’attractivité des centres commerciaux et des retail parks". Dans un entretien accordé à AOF, il détaille les raisons de cette crise et les initiatives déployées par les acteurs pour en sortir.
Se dirige-t-on vers une nouvelle année de morosité pour l'immobilier de commerce ?
C'est fort probable. Nous tablons sur une baisse de 2% de la fréquentation des magasins en 2025 comme en 2024. Nous parlons ici des entrées dans les points de vente. C'est une baisse un peu structurelle. Certes elle est due à un faisceau de difficultés, parmi lesquelles les pressions sur le pouvoir d'achat, qui a moins progressé qu'on ne le pensait. Mais il y a aussi des évolutions structurelles des modes de consommation et l'obsolescence du modèle des espaces commerciaux, qui les met en difficulté. Les exploitants souffrent déjà d'un taux de vacance de 15% dans les centres commerciaux et de 10% pour les points de vente en pied d'immeuble.
Les enseignes ont déployé beaucoup d'efforts dans le courant de la décennie 2010 pour enrayer une baisse de fréquentation déjà engagée, avec quelques succès. La crise du Covid a malheureusement annulé une partie de ces efforts au niveau global.
Mais crée-t-on encore des centres commerciaux en France ?
La création de centres commerciaux se raréfie. Après qu'en 2023, seul un village de marque est sorti de terre (le McArthurGlen Paris-Giverny, dans l'Eure), les ouvertures des centres Neyrpic, près de Grenoble (Isère), développé par Apsys, et Central Park Grand Epagny près d'Annecy (Haute-Savoie), ont été les seules de l'année.
Il faut dire qu'après le passage des lois "climat et résilience" et "zéro artificialisation nette", la création de centres est en théorie quasiment impossible, sauf dérogation. Les rares projets qui aboutissent actuellement ont été lancés il y a parfois dix ou quinze ans : le processus est toujours très long et complexe car il y a souvent beaucoup de recours, et parfois des annulations, comme dans le cas d'EuropaCity en 2019. Le projet de centre commercial Open actuellement porté par le groupe Frey dans la zone de Ferney-Voltaire (Ain), a été lancé il y a une quinzaine d'années.
Est-ce pour cela qu'on assiste à une consolidation du secteur ?
La consolidation est là d'abord à cause de la nécessité d'investir pour rénover les centres, du fait d'un risque d'obsolescence assez marquée et du virage de la décarbonation. Plusieurs opérations récentes ont eu lieu ces derniers mois. Carmila (groupe Carrefour) a acquis Galimmo, la foncière de Cora, suite au rachat de l'enseigne par Carrefour. Galimmo apporte une cinquantaine de sites à Carmila.
Cette conjoncture difficile est-elle liée à un secteur en particulier ?
Le secteur de la mode a été un moteur de l'activité de l'immobilier de commerce : or il a été sérieusement mis en difficulté, voire décimé sur certains segments, comme le milieu de gamme : il a notamment beaucoup souffert de l'agressivité de l'"ultra fast fashion", rendue possible par des plateformes de e-commerce à très bas coûts, mais aussi du recours accru à l'achat d'occasion. Cela a amené des défaillances douloureuses pour l'immobilier de commerce.
La création de "retail parks" est-elle la solution ?
La fréquentation d'un centre commercial dépend notamment beaucoup de la présence d'un hypermarché. Or le modèle de consommation rattaché aux hypermarchés est un peu déclinant, et beaucoup de foncières cherchent à faire évoluer leur modèle, et à créer des lieux de shopping, comme ces retail parks (ou parcs d'activités commerciales) qui, restent relativement solides en termes de consommation.
Il s'agit d'ensembles commerciaux à ciel ouvert, souvent installés en périphérie des villes, et plusieurs de ces "retail parks" devraient ouvrir en 2025. Avec un modèle commercial très dépendant de la voiture, les acteurs cherchent à répondre à la volonté des collectivités locales de proposer des espaces plus mixtes, moins monoactifs. En conséquence, les programmes de restructuration d'entrée de ville devraient se multiplier dans les prochaines années et pourraient intégrer des logements, des résidences étudiantes, des bureaux ou encore des espaces de logistique.
Quels sont les moyens déployés pour faire des lieux de vente des lieux de vie ?
L'offre de restauration, qui a été renforcée, est bien ancrée : dès qu'un centre entreprend une extension, il y a toujours une offre de restauration élargie qui y est développée. Cependant nous arrivons aujourd'hui aux limites de cette tendance, après quelques ratés comme au centre Lyon Part Dieu, qui comprenait deux espaces de restauration et dont le "food court" a fermé cette année.
L'offre de loisirs fait-elle partie des tendances émergentes ?
Elle est moins mature que l'offre "food", mais nous constatons la création de salles d'escalade, de salles de sport/fitness, de salles de jeux, et parfois de lieux uniquement centrés sur les loisirs, qui prennent la place d'anciens centres commerciaux, comme Boom Boom Villette à La Villette. Ce sont cependant deux métiers différents. Les foncières spécialisées ne doivent pas perdre l'"ADN" shopping qui reste leur cœur de métier. Il ne s'agit pas pour elles de devenir des opérateurs de centres de loisirs, mais de faire évoluer l'offre pour faire venir un flux différent et des consommateurs moins habitués. Nous pouvons citer comme exemple la rénovation du hangar portuaire Halle J1 à Marseille par Adim, qui va permettre de créer un pôle loisirs avec aussi des commerces et des bureaux.