INTERVIEW – Romain Saguy, chief revenue officer, Coinhouse

« La régulation des plateformes d’échange de cryptoactifs est un enjeu de première importance »

Publié le 18 novembre 2022 à 16h00

Thomas Feat    Temps de lecture 4 minutes

Valorisée 32 milliards d’euros il y a encore quelques semaines, la plateforme d’échange de cryptoactifs FTX.com a fait faillite la semaine dernière sur fond d’accusation de malversations. Cette débâcle vous surprend-elle ?

Romain Saguy, chief revenue officer, Coinhouse : Elle est effectivement surprenante. La plateforme était, jusqu’alors, la deuxième plus importante de la cryptosphère. Au cours des derniers mois, elle s’était portée à la rescousse d’autres plateformes en difficulté, ce qui laissait présager d’une bonne santé financière. Son fondateur et dirigeant, Sam Bankman-Fried, s’était fait à plusieurs reprises le porte-voix du secteur auprès des autorités, et militait d’ailleurs activement pour renforcer sa régulation.

Les faits reprochés à FTX s’apparentent à des malversations dont la nature n’est pas intrinsèquement liée aux cryptoactifs. La plateforme est d’abord soupçonnée d’avoir utilisé une grande partie des fonds de ses clients pour couvrir les pertes subies par une autre société fondée par son directeur général, le fonds d’investissement Alameda Research. Elle est ensuite suspectée de délit d’initié. Alameda Research aurait effectivement investi dans des cryptoactifs peu avant leur référencement sur FTX.

Les pertes engendrées chez les investisseurs risquent-elles de susciter une défiance générale vis-à-vis des plateformes ?

Romain Saguy : Lorsque, à la suite d’une série d’événements, les clients particuliers et professionnels de FTX.com ont tenté ces dernières semaines de retirer leurs avoirs, la plateforme n’a pu satisfaire leur demande. Des millions d’entre eux se trouvent aujourd’hui dans l’incapacité de récupérer leurs fonds. Compte tenu de l’importance de ses pertes, il est très peu probable que FTX, placée en faillite, soit jamais en mesure de les rembourser. L’effet des potentielles malversations de la plateforme sur le comportement des investisseurs est d’ores et déjà visible.

La faillite de FTX menace-t-elle, selon vous, l’existence de toute la cryptosphère ?

Romain Saguy : Elle met en péril la survie d’un certain nombre de sociétés qui lui avaient confié leurs fonds, mais pas l’existence du marché des cryptoactifs dans son ensemble. Bitcoin, Ethereum, ainsi qu’un certain nombre de leurs déclinaisons, sont des réseaux décentralisés qui n’ont pas, à proprement parler, de liens financiers ou technologiques avec FTX. Les technologies qui sous-tendent ces protocoles, les blockchains, trouvent par ailleurs de multiples débouchés dans un très grand nombre de secteurs, ce qui renforce leur légitimité. En revanche, il est certain qu’en accentuant la chute des cours des principaux cryptoactifs à l’œuvre depuis un an et en engendrant une crise de confiance, la faillite de FTX fragilise le marché.

Cette affaire ne montre-t-elle pas la nécessité de mieux encadrer les plateformes ?

Romain Saguy : Il s’agit d’un enjeu de première importance. Dans ce domaine, la France est pionnière. En effet, la loi Pacte a porté création du dispositif d’agrément par l’AMF des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN), dont l’un des volets concerne précisément la sécurisation des fonds des investisseurs. En Europe, le projet de règlement MiCA, en cours d’élaboration, prévoit justement l’instauration d’un dispositif d’homologation inspiré de l’initiative française. Ce chantier ambitieux et structurant ne pourra, en revanche, être réellement pertinent que s’il s’applique à l’intégralité des acteurs qui opèrent sur le territoire européen. Il faut éviter que des sociétés étrangères puissent proposer leurs services à des utilisateurs européens sans être tenues de se soumettre aux exigences du règlement MiCA. C’était justement le cas de la société FTX Trading Ltd, basée aux Bahamas.

L’année 2022, marquée par l’effondrement du stablecoin Luna, les faillites de la plateforme de prêt Celsius et de FTX, puis par la chute brutale des cours des cryptomonnaies, restera comme une année noire pour le marché des cryptoactifs. Constitue-t-elle un tournant ?

Romain Saguy : La chute des cours des cryptoactifs était attendue compte tenu de la nature cyclique du marché et de celle, plus particulièrement, du bitcoin, dont l’offre est programmée pour aller décroissante dans le temps. La tendance baissière que nous connaissons aujourd’hui fera vraisemblablement place à une dynamique haussière, comme ce fut le cas après les krachs de 2018 et 2021. Pour les acteurs de l’écosystème, ces périodes moins euphoriques doivent être mises à profit pour construire les produits et services pérennes de demain.

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