L’assimilation des sociétés étrangères à des sociétés françaises est un exercice délicat. L’exercice se complique davantage lorsqu’il est question de véhicules régulés. Les affaires récentes « Sté Phoenix Union » (1) et « Société Invest Conseils » (2) le démontrent. Si l’arrêt « Sté Phoenix Union » illustre utilement la méthode d›assimilation dégagée par la décision « Artémis » (3), le jugement « Société Invest Conseils » surprend sans convaincre.
Affaire « Sté Phoenix Union » : illustration d’une méthode d’assimilation bien établie… jusqu’ici tout va bien
Les faits de l’espèce étaient simples : une société de droit suisse mettait à disposition gratuite de son associé deux appartements situés à Cannes ; cette mise à disposition gratuite des biens était conforme aux prévisions statutaires de la société dans la mesure où l’objet social prévoyait expressément cette faculté. Au regard de ses qualités juridiques, la société de droit suisse a été tout d’abord assimilée par l’administration à une société anonyme de droit français et, partant, à une société de droit français passible de l’impôt sur les sociétés. Puis, l’administration s’est fondée sur la notion d’acte anormal de gestion afin d’exiger l’imposition de loyers que la société aurait dû normalement percevoir de son associé.
La mise à disposition gratuite d’un bien immobilier par une société passible de l’impôt sur les sociétés constitue en effet une renonciation à recettes qui, lorsqu’elle est contraire à son intérêt social, doit être réintégrée dans ses bénéfices imposables.
Afin d’assimiler la société suisse à une société anonyme de droit français, l’Administration, suivie par les juges du fond, a ainsi étudié l’ensemble des caractéristiques juridiques propres de la société helvète et a notamment relevé sa nature de société de capitaux et la responsabilité de son associé limitée au montant de ses apports.
Saisi de cette affaire, le Conseil d’État a logiquement validé la méthode d’assimilation employée en rappelant le principe, aujourd’hui bien établi, posé par la jurisprudence Artémis : « Il appartient au juge de l’impôt, saisi d’un litige portant sur le traitement fiscal d’une opération impliquant une société de droit étranger, d’identifier dans un premier temps, au regard de l’ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable. Compte tenu de ces constatations, il lui revient ensuite de déterminer le régime applicable à l’opération litigieuse au regard de la loi fiscale française ».
Le Conseil d’État a par ailleurs confirmé que le caractère civil ou commercial de l’objet social du véhicule étranger est indifférent pour l’analyse de comparabilité4. L’exercice d’assimilation commande, en effet, d’analyser les caractéristiques de la société étrangère au regard des seules dispositions de droit civil et de droit des sociétés étrangers qui en régissent la constitution et le fonctionnement. Parmi ces différentes caractéristiques, le critère de la responsabilité des associés apparaît prépondérant. En revanche, les règles de droit fiscal ou comptable applicables dans le pays de constitution du véhicule sont indifférentes.
Force est de constater toutefois que cette grille d’analyse se complexifie en présence de véhicules régulés. A l’enveloppe juridique s’ajoute en effet un habit réglementaire répondant à des critères bien spécifiques.
Décision « Société Invest Conseils » : analyse lacunaire des juges de première instance… rien ne va plus
Dans cette affaire, une société française a formé une réclamation contentieuse afin d’obtenir l’application du régime mère-fille aux distributions reçues d’un véhicule d’investissement constitué sous la forme d’un limited partnership de droit écossais. La société considérait, en effet, que le véhicule écossais devait s’analyser en une société en commandite simple de droit français dont elle était associée commanditaire. Par suite du rejet de la réclamation l’affaire a été portée devant le tribunal administratif de Paris où l’administration a fait valoir que le véhicule écossais était assimilable à une société de libre partenariat.
Les juges du fond se sont rangés derrière la position de l’administration. Pour se faire, ils ont développé une analyse en deux temps.
– Dans un premier temps, conformément à l’analyse de la société requérante, ils ont conclu que le véhicule écossais devait être assimilé à une société en commandite simple en relevant qu’il (i) disposait d’une personnalité morale distincte de celle de ces associés, (ii) faisait cohabiter des associés commandités et des associés commanditaires (iii) et que les commanditaires n’étaient responsables qu’à hauteur de leurs apports. Cette analyse, conforme à la méthode d’assimilation façonnée par le Conseil d’Etat, nous semble être la seule pouvant prévaloir.
– Dans un second temps, ils ont poussé l’analyse à une étape supplémentaire en soulignant le point suivant : « Il est constant que le «partnership» dénommé Mezzanine Management Fund IV exerce une activité de fonds d’investissement. Il s’ensuit que s’il doit être assimilé […] à une société en commandite simple, il doit plus précisément être regardé, au sein de cette catégorie, comme une société de libre partenariat ». En d’autres termes, dès lors qu’il exerce une activité de fonds d’investissement, le véhicule écossais doit nécessairement s’analyser en une société de libre partenariat ; ces dernières étant des « Fonds Professionnels Spécialisés » constitués sous forme de société en commandite simple. L’activité exercée par le véhicule écossais semble donc être ici le seul critère ayant guidé le tribunal administratif dans ce second temps de leur réflexion.
Cette analyse manque, selon nous, de rigueur et ne convainc pas. Rappelons tout d’abord, s’il en est besoin, qu’une société en commandite simple peut tout à fait « exercer une activité de fonds d’investissement » sans pour autant prendre l’habit d’un « Fonds Professionnel Spécialisé ». Il s’agit, dans ce cas, d’un « Autre FIA » qui relève du régime fiscal de droit commun et dont les distributions bénéficiant aux commanditaires sont, en principe, éligibles au régime mère-fille.
Seule l’analyse des caractéristiques réglementaires spécifiques d’une société étrangère est de nature, selon nous, à permettre son assimilation à un véhicule réglementé de droit français. A ce titre, l’administration elle-même fournit dans sa doctrine officielle5 une liste précise des critères de comparabilité permettant une telle assimilation en matière de retenue à la source. Ils sont au nombre de quatre concernant les « Fonds Professionnels Spécialisés » :
– existence d’un agrément ou d’un enregistrement auprès d’une autorité de tutelle ;
– existence d’un dépositaire soumis à une surveillance prudentielle et répondant à certaines obligations ;
– existence d’une société de gestion agissant par délégation du fonds ou, à défaut, existence de moyens humains techniques au niveau du fonds pour le gérer ;
– certification des comptes par un CAC.
Au cas particulier, l’analyse retenue par le tribunal administratif de Paris ne nous paraît pas satisfaisante dans la mesure où, selon nous, cette analyse règlementaire aurait dû également porter sur ces quatre critères d’ordre réglementaire. S’agissant de la distinction « Autre FIA » et « Fonds Professionnels Spécialisés », le critère déterminant devrait être l’existence d’un agrément ou d’un enregistrement du véhicule écossais auprès d’une autorité de tutelle locale.
1. CE, 9e et 10e ch., 22 juill. 2022, n° 444942, Sté Phoenix Union Co.
2. TA Paris, 9 juin 2022, n°2010825/2-3, Société Invest Conseils.
3. CE 24 novembre 2014 n° 363556, Plén., Sté Artémis SA.
4. Le critère de l’objet social retenu dans la décision Sté Immobilière Saint-Charles (CE, 3e et 8e ss-sect., 24 mai 2006, n° 278737, Sté immobilière Saint-Charles) semble donc avoir été définitivement abandonné.
5. BOI-RPPM-RCM-30-30-20-70, §90