La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Mars 2016

Investissements français à l’étranger : quelle substance pour les holdings ?

Publié le 25 mars 2016 à 10h36    Mis à jour le 25 mars 2016 à 17h04

Romain Marsella et Johann Roc’h

Dans un contexte de multiplication des normes anti-abus (droit interne, droit conventionnel, travaux BEPS de l’OCDE, textes anti-abus communautaires), la sécurité juridique des structures d’investissement n’aura sans doute jamais été aussi fragilisée dans les rapports avec les administrations fiscales.

Par Romain Marsella, avocat associé en fiscalité. Il intervient en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés et les assiste notamment dans le cadre d’opérations d’acquisition et de restructuration. romain.marsella@cms-bfl.com

Et Johann Roc’h, avocat en fiscalité internationale. Il intervient en matière de private equity dans les opérations de financement et d’acquisition dans un contexte international. Il intervient également en matière de fiscalité des entreprises, pour une clientèle de groupes internationaux.johann.roch@cms-bfl.com

Dans un contexte de multiplication des normes anti-abus (droit interne, droit conventionnel, travaux BEPS de l’OCDE, textes anti-abus communautaires), la sécurité juridique des structures d’investissement n’aura sans doute jamais été aussi fragilisée dans les rapports avec les administrations fiscales.

Du point de vue français, l’administration fiscale dispose de plusieurs armes pour critiquer les structures d’investissement à l’étranger. Elle peut tout d’abord recourir à la procédure de répression des abus de droit, par exemple, pour remettre en cause le bénéfice du régime mère-fille à raison des dividendes distribués par la structure étrangère (cf. en ce sens les décisions fondatrices Pléiade1 et Sagal2).

Elle peut également tenter de se placer sur le terrain de la territorialité pour attraire en France les bénéfices réalisés par la structure étrangère et les soumettre à l’impôt sur les sociétés français3. Elle peut encore utiliser les dispositifs anti-abus spécifiques, au premier rang desquels l’article 209 B du CGI, pour taxer en France, en tant que revenus de capitaux mobiliers, les bénéfices réalisés par la filiale étrangère. Pour différents qu’ils puissent être, ces mécanismes exigent tous de l’administration fiscale qu’elle s’intéresse plus particulièrement à la substance de la filiale étrangère. Ainsi, s’agissant de l’abus de droit ou de l’article 209 B appliqué dans un contexte européen, l’Administration devra démontrer que le recours à la structure étrangère procède d’un montage artificiel, c’est-à-dire que la structure étrangère est dépourvue de substance. De même, s’agissant cette fois de territorialité, l’Administration devra démontrer que la structure étrangère dispose d’un établissement stable en France ou que son siège de direction effective y est situé, ce qui nous renvoie une nouvelle fois au lieu de situation de la substance de la filiale étrangère.

Cela étant, si les contours de la substance d’une société demeurent encore difficiles à cerner pour des sociétés de manière générale, ils le sont plus encore s’agissant d’une société holding. En effet, la grille de lecture traditionnelle posée par la jurisprudence communautaire (cf. arrêt Cadbury Schweppes4), reposant sur des éléments «objectifs et vérifiables par des tiers, relatifs notamment au degré d’existence physique (…) en termes de locaux, de personnel et d’équipements», apparaît à l’évidence peu adaptée à l’activité des holdings. En effet, est-il réellement pertinent d’apprécier la substance d’une holding au regard de ses locaux, de son effectif salarié ou encore de ses équipements ? A ce jour, la jurisprudence du Conseil d’Etat n’est en tout état de cause pas clairement fixée sur ce point. Certaines décisions pourraient même être considérées comme préoccupantes (cf. décision Bolloré5 notamment).

Les propositions de l’OCDE n’apportent pour leur part pas d’élément majeur à cette problématique même si la substance est présentée comme l’un des trois piliers des actions présentées.

La directive communautaire, récemment transposée en droit français, introduisant une clause anti-abus en matière de régime mère-fille, ne nous éclaire pas davantage par la référence à des montages «non authentiques», pas plus que sa définition dans le texte, à savoir des montages qui n’ont pas été mis en place pour des motifs commerciaux valables reflétant la réalité économique.

Enfin, la proposition de directive communautaire anti-abus, si elle ne nous éclaire pas davantage dans son projet de dispositions CFC («controlled foreign corporation»), pourrait surtout dégrader plus encore la situation, en ce qu’elle propose l’introduction de mécanismes (clause de switch-over et règles CFC) qui, hors Union européenne, s’appliqueraient en faisant fi de la substance locale.

Il ne reste dès lors plus qu’à espérer que les tribunaux auront rapidement l’occasion de fixer des critères pertinents quant à la substance nécessaire et suffisante des holdings.

1. CE, 18 février 2004, 8e et 3e s.-s., n° 247729.

2. CE, 18 mai 2005, 8e et 3e s.-s., n° 267087.

3. Illustration récente : CE, 7 mars 2016, Société Compagnie internationale des wagons-lits et du tourisme, n° 371435.

4. CJCE, 12 septembre 2006, n° 196/04.

5. CE, 4 juillet 2014, 3e, 8e, 9e et 10e s.-s., n° 357264 et 359924.


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