La lettre des fusions-acquisition et du private equity

Octobre 2016

Avances intra-groupe : les groupes appelés à revoir leur copie ?

Publié le 30 septembre 2016 à 16h27

Florian Burnat et Vincent Forestier

Au sein des groupes, la rémunération des sommes mises à disposition entre sociétés liées doit faire l’objet d’une attention particulière afin que soit retenu un taux de marché correspondant à une gestion commerciale normale.

Par Florian Burnat, avocat en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des transactions et private equity que dans le domaine de la fiscalité des particuliers, actionnaires et dirigeants. florian.burnat@cms-bfl.com  et Vincent Forestier, avocat en fiscalité. Il conseille au quotidien des sociétés dans le cadre de leurs problématiques en fiscalité directe ainsi que dans leurs opérations d’acquisitions, de LBO et de restructuration.  vincent.forestier@cms-bfl.com 

Les entreprises retiennent généralement dans leurs relations financières avec des sociétés qui leur sont liées une rémunération basée sur les modalités de financement de la société prêteuse. L’administration fiscale, quant à elle, n’hésite pas à réintégrer l’écart des taux d’intérêt entre le coût de financement externe d’une société et le taux auquel elle prête les sommes tirées si celui-ci est négatif (en d’autres termes, si la société prêteuse prend à sa charge une partie du coût du financement sans le refacturer à la société liée emprunteuse).

Pourtant, et conformément au principe récemment rappelé par la cour administrative d’appel (CAA) de Versailles1 dans un arrêt du 9 février 2016, le juge de l’impôt n’apprécie en général pas la normalité du taux des avances consenties par la société prêteuse par rapport à celui qu’elle supporte pour son propre endettement.

Dans cette affaire, il a en effet été jugé qu’une avance de trésorerie ne doit pas être confondue avec un emprunt et que les conditions financières applicables (notamment le taux d’intérêt) doivent en tenir compte. Selon les juges, «les sommes mises […] à la disposition de la société Rhodia en compte courant d’associé ne présentent pas le caractère d’emprunts contractés auprès d’une filiale que la société mère s’engage à rembourser dans un délai, et selon un échéancier, déterminés contractuellement».

Cette décision retient que la rémunération d’avances de fonds doit être appréciée par rapport à celle que le prêteur pourrait obtenir d’un établissement financier ou d’un organisme assimilé auprès duquel il placerait, dans des conditions analogues, des sommes d’un montant équivalent. Les juges ont considéré qu’au cas d’espèce les avances, en raison de leurs caractéristiques (sommes mises à disposition de manière permanente, remboursables à tout moment, absence de convention de prêt, montant ayant constamment fluctué), étaient assimilables à un placement financier sous forme de parts de SICAV ou fonds communs de placements monétaires.

Bien que conforme à une jurisprudence établie2, on peut néanmoins s’interroger sur l’application de cette solution lorsqu’une entreprise s’est endettée exclusivement en vue de reprêter ces sommes à des entités liées à un coût inférieur à celui qu’elle supporte. En pareille hypothèse, la CAA de Paris a préféré apprécier la rémunération des avances consenties au regard du coût de refinancement du prêteur3. En poursuivant la même logique, le Conseil d’Etat a également semblé nuancer sa position traditionnelle bien que la rédaction de la décision ne permette pas d’en tirer une interprétation certaine en ce sens4.

En conclusion, lorsqu’une société s’endette puis reprête les sommes tirées auprès des sociétés de son groupe, compte tenu de l’insécurité née des récentes décisions des juridictions administratives dont on peine à comprendre la logique d’ensemble, la prudence commande de rémunérer ces avances a minima au coût de refinancement qu’elle supporte. En effet, le taux des OPCVM monétaires semble ne constituer qu’un plancher que l’entreprise pourrait rehausser. Bien entendu, cette solution ne donne pas entière satisfaction à l’emprunteur qui pourrait être conduit à réintégrer une partie des intérêts servis chaque fois que le coût de refinancement retenu serait supérieur soit au plafond légal de déduction de l’article 39, 1, 3°, du CGI, soit au taux de marché, lorsque celui-ci est invocable par l’emprunteur.

Il est donc important de réfléchir à la construction juridique des flux intragroupes, en particulier lorsque ces canaux de remontée de trésorerie sont utilisés aux fins de remboursement de la dette senior dans des opérations de LBO, les modalités de mise à disposition des sommes justifiant des modalités de rémunération différentes.

1. CAA Versailles, 3e ch., 9 février 2016, n° 15VE00394.

2. CE, 8e et 7e s.-s., 7 octobre 1988, n° 50256 ; CE, 10e et 9e s.-s, 31 juillet 2009, n° 301936.

3. CAA Paris, 10e ch., 27 mai 2014,

n° 13PA01773.

4. CE, 10e s.-s., 28 novembre 2012,

n° 340971, Sté Camefi.

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Au sommaire de la lettre


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