La déduction des intérêts d’emprunt est un élément essentiel de l’équilibre financier d’un LBO. Cet équilibre a été plusieurs fois remis en cause par le législateur français ces dernières années, soit pour lutter contre des pratiques jugées abusives (Carrez), soit plus généralement pour renflouer les caisses de l’Etat (rabot). La loi de finances pour 2014 a modifié la rédaction du I de l’article 212 du Code général des impôts (CGI) pour ne permettre la déduction des intérêts payés à une entreprise liée que si l’entreprise débitrice démontre que l’entreprise liée créancière est assujettie à raison de ces mêmes intérêts à un impôt au moins égal au quart de l’impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun.
Ces dispositions, qui s’intègrent dans un contexte plus général de lutte contre les instruments hybrides sous l’impulsion de l’OCDE et de la Commission européenne, ont récemment fait l’objet d’un projet de commentaires de la part de l’Administration (le «Projet»)(1). Il convient d’esquisser l’impact que ces nouvelles règles peuvent avoir pour les financements LBO, avant d’envisager s’il est possible de restructurer certains financements.
La place des instruments hybrides dans les LBO
Le Projet permet d’écarter du champ d’application du dispositif un certain nombre de structures de financement assez classiques, dans la mesure où l’entreprise française doit rapporter la preuve que l’entreprise prêteuse liée est soumise à un impôt dont le montant est au moins égal à 25 % de l’impôt français déterminé dans les conditions de droit commun et que les intérêts sont bien inclus dans la base, sans pour autant qu’un impôt soit nécessairement effectivement versé(2). Le Projet précise expressément qu’il n’est pas tenu compte des charges de toutes natures venant diminuer le résultat imposable du créancier(3) et qu’il est indifférent que l’entreprise prêteuse ait un résultat nul ou déficitaire(4). Ainsi, les financements octroyés par des sociétés belges bénéficiant du régime des «intérêts notionnels» devraient être hors champ du dispositif. Si le Projet contient en effet un exemple où il est fait mention d’une législation étrangère autorisant une réfaction sur le montant de l’intérêt(5), tel n’est pas le cas des intérêts notionnels dans la mesure où l’imposition des intérêts et la déduction de l’intérêt notionnel sont deux écritures indépendantes.
Restent les vrais hybrides. Ainsi, par exemple, d’un emprunt octroyé par une société liée sous forme d’une obligation remboursable en actions (ORA). Ce type d’obligations, plus ou moins sophistiquées, est parfois utilisé pour structurer un financement mezzanine. Ici aussi, ce financement devrait rester hors champ en raison de l’absence, en principe, de lien de dépendance entre le mezzaneur et la société débitrice.
S’agissant des entités transparentes, leur traitement spécifique a été simplement ébauché au cours des discussions parlementaires, en laissant un certain nombre de questions en suspens. Les positions prises par l’administration fiscale dans le Projet, refusant par exemple la possibilité de déduire les intérêts en cas de superposition d’entités transparentes, doivent inciter les fonds étrangers utilisant des entités transparentes(6) à revoir leur structure avec le plus grand soin.
La restructuration des financements existants
Eu égard au large champ d’application des nouvelles règles, il convient de procéder à une revue des prêts existants en vue d’une éventuelle restructuration. Toutefois, rendre un financement qualifiant est-il en soi abusif ? S’agissant du dispositif prévu à l’article 209 IX du CGI (dispositif «Carrez»), le contribuable dispose clairement d’une faculté de mise en conformité(7). De la même manière, il nous semble pour notre part que rendre un prêt qualifiant au regard des dispositions de l’article 212-I du CGI ne devrait pas être regardé comme étant ipso facto abusif. Il convient cependant de prendre garde à la restructuration mise en œuvre, afin que celle-ci ne soit pas critiquée par l’administration fiscale sous l’angle de l’abus de droit. En effet, on pourrait imaginer qu’un prêt non qualifiant octroyé par une société étrangère soit refinancé par un prêt qualifiant, mais que la société prêteuse se refinance elle-même par un prêt non qualifiant.
Dans une telle hypothèse, l’appréciation ne pourra bien entendu se faire qu’au cas par cas. Il nous semble qu’une structure consistant à interposer entre la société française et le prêteur initial une société de refinancement sans substance, qui se refinance elle-même via un prêt hybride auprès du prêteur initial, risque d’être regardée comme artificielle. La structure peut être moins caricaturale ; ainsi, par exemple, d’une société dotée de la substance nécessaire, avec des sources de financement multiples et ne se refinançant pas directement auprès du prêteur initial. Le caractère artificiel n’étant pas, de prime abord, évident et, en supposant que l’Administration démontre la motivation fiscale exclusive, se pose la question de l’intention du législateur. L’intention affichée par celui-ci était de «lutter contre l’optimisation fiscale permise par les produits hybrides et l’endettement artificiel»8, étant précisé que les exemples présentés par le législateur traitent de relations bilatérales.
S’agissant d’un texte anti-abus, celui-ci devrait être interprété strictement. C’est d’ailleurs cette interprétation stricte qui a prévalu s’agissant de la condition d’assujettissement à l’impôt. Dans une interprétation stricte, on pourrait invoquer que si le législateur avait voulu sanctionner les instruments hybrides dans un contexte tripartite (voire plus), il aurait pu le faire et que son silence indiquerait qu’il n’en est rien. Cela étant, la recherche de l’intention du législateur est toujours un exercice délicat et la prudence est de mise. Plus largement, les questions suscitées par la nouvelle rédaction de l’article 212-I du CGI soulignent la relative faiblesse des dispositions prises unilatéralement par les Etats pour lutter contre les méfaits supposés des instruments hybrides.
(1). BOI-IS-BASE-35-50-20140415.
(2). Projet, n°60.
(3). Projet, n°70.
(4). Projet, n°60.
(5). Projet, n°100.
(6). BOI-IS-BASE-35-30-10-20140325, n°200.
(7). BOI-IS-BASE-35-30-10-20140325, n°130.
(8). Rapport Assemblée nationale, 2013 n°1428, p. 346