Instruments d’intéressement privilégiés par les groupes cotés depuis leur instauration en 2004, puis délaissés à la suite de leur fiscalisation dissuasive en 2012, les plans d’attributions gratuites d’actions (AGA) devraient, à la faveur de la refonte de leur régime juridique, social et fiscal issu de la loi Macron, trouver un nouveau terrain d’expansion dans les opérations portant sur le capital des sociétés non cotées.
Par Laurent Hepp, avocat associé, spécialisé en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity, notamment dans le cadre de structurations fiscales, laurent.hepp@cms-bfl.com, Arnaud Hugot, avocat associé en Corporate/Fusions & Acquisitions. Il assiste des industriels, des fonds d’investissement et des managers dans le cadre de tous types d’opérations de fusion-acquisition et de private equity, tant nationales qu’internationales, arnaud.hugot@cms-bfl.com, et Ghislain Dintzner, avocat en droit social. Il intervient principalement en conseil dans cette matière et accompagne au quotidien de nombreuses entreprises notamment du secteur financier et bancaire, ghislain.dintzner@cms-bfl.com
Attendue pour la fin du printemps, c’est finalement au cœur de l’été que la réforme du régime des actions gratuites portée par la loi Macron est entrée en vigueur le 7 août 2015. Mais le retour en grâce de cet instrument d’intéressement préféré des groupes français1 ne devrait pas se limiter au traditionnel outil de rémunération alternative bien connu des groupes cotés.
Les nouvelles caractéristiques des AGA les rendent en effet potentiellement compatibles, dans des conditions fiscales et sociales acceptables, avec les schémas d’association au capital des managers (management packages) mis en place dans les opérations de Private Equity et en particulier dans les opérations de LBO. Toutefois, cette compatibilité requerra des opérateurs qu’ils intègrent et anticipent certains aménagements de la pratique actuelle.
Situation ante : AGA et management packages, tels deux chiens de faïence…
Alors que l’alignement des intérêts financiers des managers et des investisseurs en capital est l’une des composantes essentielles des opérations de LBO, les contraintes légales attachées aux «AGA première génération» avaient conduit les praticiens à les écarter de leur «boîte à outils», pour au moins deux bonnes raisons :
- une incompatibilité de délai : les AGA étaient enserrées dans deux périodes successives, de deux ans chacune, dites «d’acquisition» et de «conservation», dont le cumul pouvait s’avérer peu compatible avec les contraintes de liquidité des fonds d’investissement ;
- une fiscalisation inadaptée, devenue même décourageante, imposant notamment à la société émettrice le versement d’une contribution patronale égale à 30 % de la valeur de l’action dès la mise en place du plan alors même que les conditions d’acquisition pouvaient ultérieurement ne pas être satisfaites.
Afin d’atteindre son objectif d’alignement, la pratique s’est donc tournée vers des supports d’investissements compatibles avec les moyens financiers – par hypothèse limités – des managers intégrant un rendement financier subordonné à certains niveaux de performance de l’opération de reprise : BSA, ABSA, et depuis quelques années, actions de préférence (très majoritaires aujourd’hui) sont ainsi venus accompagner les actions ordinaires (par nature moins risquées fiscalement) souscrites par les investisseurs financiers.
Mais l’administration fiscale a rapidement manifesté sa défiance à l’égard de ces instruments «sur mesure» soumis au régime fiscal des plus-values beaucoup plus favorable (voire très optimisant lorsque les titres étaient souscrits dans le cadre d’un PEA) que celui applicable aux «régimes légaux» tels que ceux des AGA auxquels aurait, selon elle, vocation à se conformer tout schéma d’association des salariés au capital de leur entreprise…
De ce désaccord majeur est né un contentieux sur la requalification en salaires des gains générés par certaines composantes des management packages, sur lequel la jurisprudence est encore loin d’être définitivement fixée, et qui fait peser sur ces schémas d’investissement une épée de Damoclès fiscale contraire à la dynamique que ces associations visent à favoriser.
La réconciliation induite par la loi Macron
L’assouplissement majeur apporté par la loi Macron au régime juridique des AGA tient à la double réduction de la période d’«acquisition» qui est ramenée à un an minimum et de la période de «conservation», qui, cumulée avec la période d’acquisition, doit désormais être de deux ans minimum (au lieu de quatre dans le régime ancien) : il devient donc juridiquement possible d’attribuer des actions gratuites et de les rendre cessibles en seulement deux ans (1 + 1 ou 2 + 0).
Concomitamment, la contribution patronale est ramenée à 20 % et ne s’applique qu’au moment de l’acquisition des actions, l’assiette de cette contribution étant constituée par leur valeur à cette date. L’ancienne contribution salariale de 10 % sur le gain d’attribution est, pour sa part, supprimée et compensée partiellement par des prélèvements sociaux dus aux taux de 15,5 % en raison de l’imposition de ce gain comme revenu du patrimoine. Fiscalement, l’avantage salarial lié à l’attribution gratuite de l’action est soumis au régime des plus-values : ainsi, en cas de conservation des actions gratuites pendant au moins deux ans (voire un an dans certains cas), c’est sur une assiette réduite d’un abattement pour durée de détention de 50 % que sera calculé l’impôt sur le revenu du manager.
Cette nouvelle donne juridico-fiscale est de nature à créer un fort intérêt pour ces instruments dans la structuration des futurs management packages, et venir sérieusement concurrencer les émissions d’ABSA ou d’ADP largement répandues aujourd’hui. Ce d’autant plus qu’un plan d’AGA peut valablement porter sur des ADP dont l’attribution et les caractéristiques juridiques et financières peuvent elles-mêmes être soumises à certaines conditions de performance.
Certes, ces AGA subissent de plein droit une contribution patronale de 20 % (à laquelle échappent les actions «payantes») et répondent à une fiscalité de droit commun des plus-values pour leurs bénéficiaires sur la totalité du gain. Mais ce niveau de fiscalisation «intermédiaire» devrait trouver sa contrepartie dans une plus grande sécurité fiscale et sociale, étant au demeurant observé que les évolutions fiscales récentes (intégration des plus-values au barème progressif, exclusion des BSA et des ADP du régime du PEA) avaient déjà sérieusement banalisé la fiscalité des éventuels gains attachés aux management packages.
Une pratique à adapter et à construire
Au-delà de ces considérations socialo-fiscales, les AGA ne présentent en pratique pas que des avantages par rapport aux actions payantes et chaque schéma devra être analysé avec soin afin de choisir entre ces deux instruments, voire de les panacher entre eux. Voici quelques illustrations de ce propos.
Comme leur nom l’indique, les AGA sont gratuites. Cela facilite bien sûr l’accès au capital des managers mais est susceptible de réduire leur motivation et leur responsabilisation financière au succès de l’opération (faute de risque de perte) donc de «désaligner» dans une certaine mesure leurs intérêts de ceux des fonds. Une combinaison entre actions gratuites et actions payantes devrait permettre de remédier partiellement à cet inconvénient.
Ensuite, outre la nécessité pour la société attributrice de s’assurer qu’elle disposera bien de réserves comptables futures suffisantes pour procéder à l’émission des AGA à l’expiration de la période d’acquisition, les limites légales de quotités d’AGA pouvant être émises globalement (10 % du capital de la société, voire 15 % pour les PME) ou individuellement (10 % maximum pour une même personne) pourront restreindre leur utilisation sur certaines opérations. Là encore, une combinaison d’actions gratuites et d’actions payantes pourra s’avérer utile.
Enfin, dans les relations entre groupes d’actionnaires, les managers bénéficiaires d’AGA ne pourront pas être regroupés dans une ManCo (société de managers) puisque, par définition, les AGA ne peuvent être attribuées qu’à des personnes physiques. Ainsi, les actionnaires financiers devront vivre au capital de la holding de reprise avec des personnes physiques minoritaires, ce qui peut constituer une sérieuse contrainte en termes de gouvernance et de maîtrise du capital. A cet égard, il conviendra également de déterminer où placer le curseur entre la durée de la période d’acquisition (favorable à la gestion des clauses de leavers) et celle de la période de conservation (qui aura avantage à débuter le plus rapidement possible pour faire courir le délai de détention fiscal).
Ainsi donc, si les AGA sont appelées à s’inviter dans les opérations de Private Equity, leur compatibilité avec les exigences juridiques et financières de la pratique de marché résidera sans doute, au cas par cas, dans la juste détermination de leurs conditions financières de performance et dans une combinaison appropriée avec les instruments payants existants.