La lettre gestion des groupes internationaux

Octobre 2018

Profit split et redevance d’incorporel

Publié le 5 octobre 2018 à 16h44

Pierre Escaut, PwC Société d’Avocats

Dans ses commentaires révisés de juin 2018 sur la méthode du profit split, l’OCDE confirme qu’il peut être utilisé pour fixer un taux de redevances, et l’illustre sur la base d’un exemple. Notre article rend compte de cette application particulière du profit split1.

Par Pierre Escaut, avocat associé, PwC Société d’Avocats

Il s’agit d’une application peu connue. Dans la plupart des cas en effet, ce n’est pas la méthode du profit split qui est utilisée : la licence d’un actif incorporel donne lieu à la facturation de redevances avec un taux qui s’exprime en pourcentage du chiffre d’affaires. Ce taux est alors déterminé par référence à ceux constatés dans le cadre de contrats similaires (avec le même type d’actifs incorporels utilisés dans des secteurs d’industrie proches) qui sont conclus entre des sociétés indépendantes. La méthode de prix de transfert alors utilisée est celle «du prix comparable sur le marché libre».

Mais, de fait, fixer un taux de redevances revient à partager des profits entre donneur de licence et licencié, et le taux de redevances retenu dans un contrat ne fait que refléter le résultat de la négociation aboutissant à ce partage.

Des analyses empiriques montrent que de façon générale les profits qui reviennent au donneur de licence représentent de l’ordre de 20% à 33% de ceux réalisés par le licencié en exploitant l’actif incorporel considéré. Ces constats, qui reposent sur une analyse statistique, ont été formalisés dans la littérature prix de transfert sous l’appellation de «rule of thumb».

Cette règle n’est pas reconnue en tant que telle par l’OCDE, mais, dans le même esprit, l’OCDE indique que les profits associés à un actif incorporel doivent être pris en compte pour déterminer un taux de redevances2 ; il s’agit en particulier d’éviter une situation où un taux de redevances mettrait structurellement en pertes le licencié, où des cas où un même taux de redevances appliqué sur des marchés différents se traduirait par des différences de profitabilité incohérentes.

Par ailleurs, l’OCDE reconnait qu’il peut être approprié dans certains cas de déterminer le taux de redevances sur la base d’un partage des profits entre donneur de licence et licencié.

Cela concerne des situations où, en application des règles générales relatives au profit split

(cf. l’article du présent cahier sur le profit split), les activités du donneur de licence et celles du licencié sont fortement intégrées et/ou des situations où chacun d’eux effectue des contributions uniques et de valeur. Dans des situations de ce type, il sera plus difficile, voire impossible, d’utiliser la méthode du prix comparable sur le marché libre, à défaut de disposer de références de marché suffisamment proches de la situation spécifique considérée.

Les profits à partager sont alors soit les profits réels si les deux parties supportent les risques, soit les profits anticipés si seulement l’une des parties supporte les risques. L’OCDE donne l’exemple suivant pour illustrer l’application du profit split dans ces deux cas de figure (commentaires révisés de juin 2018 sur le profit split, annexe 2, exemple 13).

Il s’agit  d’une société A établie dans un pays A, société mère d’un groupe de vente au détail dans le domaine de la mode, qui a développé un savoir-faire spécifique et une marque avec un marketing intensif. La société A décide de développer ses activités dans un pays B à travers une société B de son groupe. Elle donne en licence à la société B le savoir-faire et la marque pour les exploiter dans le pays B. La société B détient un savoir-faire important en matière de vente au détail dans le domaine de la mode, et une expérience spécifique pour développer des marques à travers des approches marketing innovantes. Il apparaît donc que les contributions des sociétés A et B aux activités à réaliser dans le pays B sont uniques et de valeur, et que l’utilisation de la méthode du profit split est donc fondée. Se pose alors la question des profits réels ou anticipés à partager.

Dans un premier cas de figure, la société A ne supporte pas de risques significatifs  au titre de l’exploitation par la société B des actifs incorporels. Il convient alors de partager, à travers les redevances payées par B, les profits anticipés par la société B sur une durée appropriée; il est possible d’utiliser à cette fin la méthode du «discounted cash flow», où sont pris en compte les projections actualisées de chiffres d’affaires et de profits du licencié.

Les profits anticipés sont partagés en estimant la valeur relative des contributions des sociétés A et B à la génération des profits. Si l’on conclut par exemple que le licencié doit conserver 70 % des profits anticipés sur une période appropriée (en tenant compte par exemple de la durée de vie des actifs incorporels), le taux de redevances devra permettre d’aboutir à cette répartition.

Dans un second cas de figure, la société A ne se contente pas de donner en licence ses actifs incorporels : elle participe avec la société B aux activités marketing et de distribution réalisées dans le pays B, et les deux sociétés partagent les risques liés à la commercialisation des produits dans le pays B. Les profits seront également partagés en prenant en compte la valeur relative des contributions des sociétés A et B à la génération de ces profits, mais en prenant en compte les profits réels et pas les profits anticipés ; dans un tel cas, la société A supporte le risque de profits moins importants que prévus, ce qui se justifie au regard de son implication dans les activités réalisées dans la pays B.

Les nouveaux commentaires de l’OCDE confirment ainsi les possibilités d’application plus larges de la méthode du profit split, en particulier en matière de licence d’actifs incorporels où il est souvent difficile de disposer de comparables de taux probants. En fonction des situations, ce seront des profits anticipés ou des profits réels qui seront alors partagés.

Même dans une situation où la méthode du prix comparable est utilisable, il n’est pas exclu d’utiliser la méthode du profit split à titre corroboratif, pour s’assurer que le taux de redevances retenu aboutit à une répartition de profits équilibrée.

1. Nous avions précédemment évoqué ce sujet en janvier 2017 à la suite de la consultation publique de l’OCDE sur le profit split de juillet 2016.

2. L’OCDE précise ainsi que «dans le cas du transfert d’un actif incorporel ou de droits sur un actif incorporel, (…), il est essentiel de s’assurer que les comparables identifiés offrent dans les faits un potentiel de bénéfices similaire.» (§ 6.116 des principes directeurs en matière de prix de transfert de juillet 2017).


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