Longtemps présentés comme un bloc unitaire, les pays émergents ont nourri la création d’un grand nombre d’indices ETF généralistes ou régionaux. Une approche qui mérite d’être repensée en faveur d’ETF pays, alors que le principe longtemps avancé de décorrélation entre marchés émergents et développés semble aujourd’hui éculé, explique Marcus Weyerer, senior ETF investment strategist chez Franklin Templeton.
Les pays émergents sont traditionnellement vus comme des producteurs de matières premières. La hausse des cours est-elle une aubaine ?

C’est autant une aubaine qu’un sujet d’inquiétude, car les émergents sont exportateurs et importateurs de matières premières. Certes, la Chine occupe une position dominante sur le marché mondial des terres rares, mais elle est une grande importatrice de pétrole. Certains pays encore classés comme émergents, comme la Corée et Taïwan, importent presque tout. Néanmoins, il est vrai que d’autres profitent de la hausse des cours et de l’exclusion de la Russie des échanges mondiaux. C’est notamment le cas du Brésil, qui produit des terres rares, du pétrole, des matières premières agricoles… Si l’on prend les émergents d’un point de vue agrégé, la hausse des matières premières a sans doute un impact légèrement négatif, notamment à cause du poids de la Chine et de l’Inde dans les indices actions.
Cette vision agrégée n’est donc plus forcément adaptée à la réalité économique ?
Les facteurs de croissance d’une grande partie des émergents ne sont plus ceux d’il y a 20 ou 30 ans, comme le fait de bénéficier d’une main-d’œuvre importante mais peu qualifiée et à faible productivité, ou d’une population jeune. Cette définition ne saurait ainsi s’appliquer à la Corée ou à Taïwan, qui se sont imposés comme leaders sur des secteurs technologiques précis. De même, les émergents ne seront pas tous affectés de la même manière par la hausse des taux américains. Certains sont bien armés pour y résister car ont un équilibre budgétaire solide et ont su se doter d’une régulation efficace et de services financiers dans leur propre monnaie. Autant de facteurs qui justifient une approche de l’investissement au travers d’ETF mono-pays.
Quels pays émergents choisir aujourd’hui pour limiter son exposition au risque ?
Cela dépend de la typologie de risque que l’investisseur est prêt à prendre. Au Brésil, par exemple, il existe un faible risque politique à cause des élections à venir, mais le pays bénéficie des prix élevés des matières premières. La Chine est actuellement freinée par la politique du « zéro Covid » en vigueur. Cependant, le pays pourrait présenter un potentiel de rendement intéressant, car le marché a perdu 50 % de sa valeur, ce qui n’était pas arrivé depuis la crise financière mondiale, et se négocie à des niveaux historiquement bas en termes de ratio cours/bénéfices. On sait qu’elle deviendra la première économie mondiale d’ici 10 ans ou même moins, avec une nette avance dans la technologie. Avec des niveaux de PER autour de 10, cela peut être un bon moment pour y investir à long terme. Taïwan, avec sa position dominante sur les puces électroniques et 10 % des compagnies maritimes mondiales, constitue également un investissement intéressant, mais avec un risque politique élevé.
Les places boursières des émergents se sont beaucoup structurées ces dernières années : l’investissement via des ETF est-il toujours une solution adéquate ?
Pour avoir une exposition globale à un marché émergent sans allouer trop d’argent et de temps en recherche sur les valeurs, les ETF demeurent une très bonne solution. Détenir un indice agrégé sur les pays émergents n’est pas forcément une mauvaise stratégie. En revanche, il est utile d’ajuster cette exposition en fonction des objectifs d’investissement et du budget de risque, en y adjoignant des ETF ciblés sur des émergents spécifiques. Certains pourront apporter une bonne protection contre la hausse des taux américains, d’autres une exposition positive à la hausse des matières premières, certains conféreront au portefeuille un biais plus technologique. Historiquement, les émergents étaient achetés pour leur potentiel de croissance et leur décorrélation avec les pays développés, qui n’est plus effective à l’heure actuelle. En revanche, les émergents contribuent toujours à hauteur de 60 % à la croissance mondiale et apportent de la diversification grâce à une sélection plus fine d’indices pays.